Si je n’ai mieux à faire
à Georges Banu, toujours proche
Un jour, je serai trop vieux pour me souvenir
comment j’ai gaspillé ma jeunesse.
Je serai peut-être le vieux Monsieur, celui qui
autrefois écrivait des poèmes, des conventions à l’envers,
subterfuges de l’âge.
Je serai peut-être le sympathique clochard, le maître d’orchestre
de l’armée de pigeons qui hantent ce bourg de province
où année après année l’esprit fut stigmate,
une erreur génétique, un crachat en plein vent
fouettant toujours en plein ton visage.
Je serai l’éclat coloré d’une vitre brisée par une voix tonitruante,
un pauvre alexandrin égaré dans le cirque de l’univers.
Un jour, si je n’ai rien de mieux à faire,
rusé comme un chat qui a volé la voix de l’enfant,
je chanterai dans un registre absolument faux l’hymne de la perdition
et, montant au ciel comme une feuille de journal,
je flotterai encore un instant dans les rêves matinaux des bourgeois
noyés dans les flots dépourvu de magie du dégoût
dans lequel vogue sans but leur vie.
La révolution n’a pas eu lieu
Le masque que je dois retirer tous les jours commence
À m’ennuyer comme une vieille cocotte qui s’agrippe
À ta jeunesse hypocrite. Seulement si tu n’étais pas si innocent,
Pareil à une brique sur laquelle le soleil passe chaque jour pile-poil à l’heure
À laquelle un banquier, usé par les affaires, boit le thé coupé d’un nuage
De venin bien que le docteur lui ait prescrit le silence de l’oubli. Que j’apprenne
Des juifs le truc littéraire avec la grandeur de la gloire ante-mortem
Pour qu’au crépuscule je sorte tranquille dans la ruelle bondée de curieux
Sifflant un petit chant que j’aurais inventé. Seulement si je comprenais un
Instant plus tôt que je saute d’éclipse en éclipse - un comparatiste
Agacé d’avoir compris : les poètes révolutionnaires finissent dans l’oubli
Et les vieilles cocottes sont accompagnées sur le dernier chemin par un mendiant
Auquel elles donnaient un centime après chaque rendez-vous avec le grand amour.
Seulement si je comprenais – et ça c’est un vieux truc littéraire une calamité.
Eté vers la fin du monde
Plus jeune que je ne le suis, impossible. Toi, à mes côtés
dans un verre de l’esprit – rien ne nous fait vaciller.
Bruns, inspirés, pareils aux glaçons carboniques
sur la langue d’un buveur de cognac. Été, vers la fin du monde.
Le journal de demain nous apprend dans quel siècle nous avons vécu,
le dernier pont sur le Styx tangue dans le vide,
le soleil tombe comme une poupée des bras d’une fillette,
d’une mansarde le saxophone d’un adolescent
fait échouer les gammes
de même que la poésie laisse l’homme compter son argent
le reste étant donné à tout ce que nous payons avec l’âme.
de même qu’une belle femme garde sa grâce dans la peau fine
d’entre nos doigts.
Toi, à mes côtés – un cou de cygne retourné vers la poitrine
d’un poulet mort.
Versions françaises par Geta Rossier
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Nicolae Coande
Né le 23 septembre 1962. Il vit à Craiova, où il dédie son temps à préserver le goût de la poésie et l'arôme de l'amitié de la ville. Début avec „În margine” (En marge) (Ed. Ramuri, 1995), pour laquelle il reçoit le Prix de l’Union des Écrivains Roumains. 12 livres de poésie publiés, 7 livres d'essais. Certains des livres les plus récents publiés: La mémoire d'un mort est ma mémoire, Edition « Max Blecher », 2019, Je ne suis pas la Bête, Edition « Max Blecher », 2022 (poesie), Le grenier Europe (Edition Paralela 45, 2019), Le manuel du chasseur de poètes, Edition Hoffman, 2021 (essais). Résidences littéraires en Allemagne, Autriche, Suisse, Espagne. Le Prix Mihai Eminescu de l’Academie Roumaine, 2017, pour poésie.
« L’une des voix les plus fortes et les plus clairement définies des années '90. » (Claudiu Komartin, éditeur, poète).
Georges Banu
Ces jours-ci nous sommes tristes en Roumanie, notre bon ami George Banu, le grand critique et homme de théâtre, est décédé le 21 janvier à Paris.
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