« Autour d’eux, la ville nocturne s’écoulait comme un courant marin coloré par des protozoaires luminescents. » H.M.
Voilà, la boucle est bouclée. Et pour ce roman, l’expression est « on ne peut plus juste ».
Fin du gros pavé, ce 1Q84, dernier roman d’un de mes écrivains préférés Haruki Murakami.
Je ne parlerai pas du prix exorbitant (ben si finalement j’en parle) proposé par son éditeur français, soit la somme de 69,50 €. Le livre est cher en France et cette triplette ne déroge pas à la règle. Bref, fermons cette parenthèse qui n’est pas tout-à-fait à l’honneur de l’édition française (d’autant plus que c’est un éditeur qui a ma sympathie), mais le business est le business comme on dit généralement, n’est-ce pas ? Il est vrai qu’avoir dans ses rangs un écrivain pressenti maintes fois pour le prix Nobel et « malgré cela » vendant ses livres à foison « à la Marc Levy » n’est pas commun.
Voilà l’histoire étonnante de Tengo et Aomamé est terminée ; le roman est réussi bien sûr et est tout-à-fait « murakamien ». Tous les thèmes du maître sont là : tant dans l’histoire « fantastique » avec ces deux mondes « parallèles » que dans l’écriture du romancier japonais : prendre son temps, utiliser les descriptions comme des choses essentielles, majeures, en « faire trop » quasiment. Prendre son temps (et se perdre en chemin, ou plutôt disgresser…), c’est bien le terme à utiliser et c’est ainsi que ce qui pourrait être des nouvelles comme « Les amants du spoutnik » ou « Le passage de la nuit » deviennent des romans.
Les deux lunes sont longtemps les seuls aspects du fantastique du « quotidien » de 1Q84 - à part bien sûr les little people et les chrysalides - ; l’autre fantastique pourrait être les mains serrées des deux protagonistes, une fois enfants à 10 ans et la seconde fois, 20 ans après. Comme un réajustement. Un étirement du temps. L'enfance est importante chez Murakami, ou l'adolescence - ce qui est somme toute - fort proche.
Tous les livres de Murakami sont d’ailleurs à mes lectures des « réajustements » entre un quotidien banal, la vie d’individus pour la plupart sans histoire, des situations de tous les jours ET ce qu’il y a à voir « derrière », les fameux mondes parallèles, peut-être des mondes oniriques où la psychanalyse aurait sa place, des mondes proches des nôtres mais où certaines règles sont différentes avec souvent des passerelles ou des canaux entre ces mondes. Ces terres parallèles viennent d’elles-mêmes et ne se révèlent pas à tous, les héros murakamiens sont des privilégiés ou des victimes, c’est selon.
Tous les livres de Murakami ont cette poésie-là. Une distanciation et une forme de renoncement nostalgique.
1Q89 ne déroge pas à la règle, l’univers est profondément murakamien, l’écrivain décrit avec un luxe étonnant les mondes qu’il a inventés ; il « prend son temps », comme il aime à courir ses marathons. Parfois cela va très loin comme ce triple livre, des fois on se dit « quand même » qu’il aurait pu raccourcir certaines scènes, certaines descriptions, mais au final il reste toujours la même chose : le sentiment d’avoir lu un grand livre et d’y avoir pris un grand plaisir. Et de fermer le dernier tome avec une forme de nostalgie, ou de malaise typique de cet auteur. Ce n'est certes pas le meilleur roman, ni le plus ambitieux de l'auteur, sans doute un peu trop "commercial" (même si ce terme ne veut rien dire pour un tel écrivain), mais encore une fois le plaisir du lecteur est là, et c'est somme toute le but, non ?
Maintenant comme le dit Haruki Murakami lui-même, il va falloir attendre patiemment que le « réservoir » se remplisse et, quand il débordera, il se remettra à écrire ; j’espère – quant à moi- que cela ne sera pas trop tardif – j’ai peur cependant, vu le travail qu’a dû représenter ce livre et le succès ahurissant qu’il a reçu, que l’écrivain ne se repose quelque temps et mette du temps à oublier les deux lunes, la grosse jaune et la petite verte et rabougrie.