
Je l'avais trouvé par hasard, il traversait le macadam nonchalamment, ignorant le danger qu'il courait : moi et ma boîte d'allumettes vide qui servait de prison aux coléoptères malchanceux. Je le ramassais et appréciais ses élytres gris pointillés de noir et ses longues antennes si fragiles et fines. Trouver un tel longicorne était chose exceptionnelle. Il se servait de ses antennes pour tapoter et se renseigner ainsi sur son nouvel environnement.
Le soir, chez moi, je le posai dans mon bocal de cyanure, l'humidité dégagée par l'insecte donnerait du gaz cyanhydrique mortel ; il garderait ses belles couleurs ce qui n'est pas toujours le cas avec l'éther.
Le lendemain, je le sortais, traversais son corps avec une épingle de Karlsbad N°4 et l'épinglais sur du polystyrène ; j'écartais les pattes, les deux antérieurs vers l'avant et les quatre postérieurs vers l'arrière en position "naturelle", j'étirais les antennes et essayais de les placer symétriquement, je le laissais la journée, il devait se durcir et garder une bonne position. Enfin je le plaçais dans mon carton à insectes vitré, celui que je réservais aux Longicornes ; c'était le plus beau, dessous j'inscrivais sur une petite étiquette "Saperda carcharias" en soignant ma calligraphie. J'indiquais aussi le lieu et la date. Je rapprochais du nouveau venu une fiole de Sauvinet contenant de l'huile de créosote afin de le préserver des attaques de ces minuscules insectes et acariens qui se nourrissent des organes internes des Coléoptères.
Et c'est là depuis quelques jours qu'il avait commencé une marche sans fin ; bien vivant, il balançait ses pattes et ne comprenait sans doute pas pourquoi il ne progressait pas. Le frottement des pattes contre le carton produisait ce bruit presque imperceptible.
Horrifié, j'ouvris en hâte la boîte, pris l'aiguille avec le malheureux et remis le tout dans mon bocal de cyanure ; là encore il essaya de marcher quelques minutes puis s'affaissa.
Je me recouchais mal à l'aise, plus encore ma compagne ; je le laissais plusieurs jours, bien plus qu'il n'était nécessaire. Enfin, cette fois bien mort, je le remis dans la boîte. Que d'insectes morts et desséchés, mais lui n'avait rien perdu de sa superbe avec sa robe grise et noire. Je m'imaginais, moi percé et balançant mollement mes membres pour m'échapper, peut-être que les extraterrestres ont ce genre de collection aussi et que des spécimens d'hommes sont là, épinglés dans de grandes boîtes.
Depuis cette péripétie, je ne porte plus sur moi de boîte vide apte à recueillir tous ces insectes et mes bocaux à cyanure n'ont plus reçu de pensionnaires, quelques toiles d'araignées dans le garage ont recouvert ces flacons maudits ; quant à moi mes loisirs de coléoptériste amateur ont pris fin.
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