Petit garçon, j'accompagnais souvent ma mère pour aller au centre ville y faire des courses. Une large avenue coupait la cité sur des kilomètres, les coureurs de Bordeaux Paris passaient par là chaque année le dimanche matin et toujours je me disais que cette très longue ligne droite devait être pour eux fort démoralisante, même en étant abrités par ces petites motos si pittoresques qui n'existent plus maintenant. Je me rappelle encore ces gros bonhommes tournant nonchalamment leurs jambes sur leur vélo à moteur, protégeant du vent les frêles athlètes qui les suivaient. C'était un temps où les champions sportifs étaient un peu fous et pleins d'orgueil.
Pour moi c'était bien long l'arrivée en centre ville et de nombreux magasins et boutiques bordaient l'avenue principale. Il y avait le "paradis des enfants", où régulièrement j'achetais un ou deux coureurs cyclistes afin de compléter ma collection. Pas très loin du "paradis des enfants" en face, à l'angle d'une petite placette avec église se trouvait un magasin de chaussettes, bas et collants. Dans la vitrine, de nombreuses jambes de femmes étaient là amputées, isolées ou par deux avec le bassin. Enfant, ces morceaux de corps me traumatisaient. Souvent les jambes étaient à l'envers, le pied tendu en l'air. Sur chacune de ces fines jambes était enfilé un bas, noir ou blanc, soie ou nylon, résille rarement, plutôt des motifs simples ; les collants couleur chair étaient fréquents. Enfant, ces jambes-là m'attiraient déjà bien plus que les photos de sous-vêtements féminins que je pouvais voir dans quelques magazines et je passais régulièrement devant cette boutique jetant un coup d'œil un peu coupable, puis traversant, ravi, l'avenue vers le "paradis des enfants".
Un jour ma mère entra dans cette boutique avec moi pour acheter des collants classiques couleur chair ; je ne crois pas avoir vu ma mère en mettre d'autres. J'étais là intimidé car dans le magasin, c'était encore mieux : des affiches et photos aux murs et d'autres jambes décoraient l'intérieur. Cela me troublait beaucoup. Ma mère hésitait entre telle ou telle couleur que je trouvais quant à moi très proches, couleur chamois, chair ou saumon, de ces teintes si communes. Nous étions là quand soudain le vendeur - un homme - fit quelque chose dont je me souviens encore aujourd'hui. Subitement il entra sa main dans un collant, écarta les doigts et fit jouer les mailles, tour à tour, il ouvrait puis fermait sa main pour enfin montrer son poing fermé, sa peau recouverte du textile puis se dirigeant vers une fenêtre montrant ainsi la teinte du collant à la lumière du jour. Enfin ma mère se décida et acheta deux paires de collants de la même couleur.
Aujourd'hui bien longtemps après j'ai encore en moi le souvenir brutal de cette main d'homme pénétrant ce collant, comme une main voleuse ou violeuse caressant la peau de ma mère. Depuis cette histoire, je garde une émotion particulière lorsque j'observe dans les vitrines des jambes féminines gainées, les bas et collants aujourd'hui sont encore plus attirants que ceux d'autrefois ; de même je profite de mes errances dans les rues pour jeter un coup d'œil rapide mais intéressé sur toutes ces jeunes femmes marchant en robe, ou en jupe, robes courtes ou minijupes et qui ont habillé leurs jambes. Toutes textures et toutes couleurs m'intéressent. J'entends presque le bruit de l'acrylique : une espèce de crissement très particulier que je trouve très sensuel et attirant. Ce bruit aussi très singulier que fait une main d'homme caressant et re-caressant des jambes habillées, quel plaisir de passer ses doigts sur ce tissu synthétique, passer juste le haut des doigts comme en effleurant, sentir les ongles qui crochent, les mailles élastiques, c'est pour moi un délice. Et ce fut bien à mon adolescence mes premiers plaisirs érotiques. Et la découverte réelle d'un autre sexe, très différent du mien, ma véritable altérité.
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