
« En toute simplicité, subrepticement, Pierre Dumayet nous restitue cette arche de Noé témoin d’un temps d’avant la loi, salut aussi d’une espèce humaine miraculée sans nécessité. Brossard et moi tresse sensiblement pour notre plus grand plaisir une métaphysique ordinaire. Le récit baroque soliloque sur un mode impressionniste avec chacun en propre, mais par hasard. Ecrit en creux, il nous convie au festin des restes. »

Telle est la quatrième de couverture du livre Brossard et moi de Pierre Dumayet, Editions Verdier, 1989.
Qu’est ce livre ? Un roman ? Un récit ? Un OVNI littéraire sans nul doute. Une énigme disait un critique, un conte baroque, une autobiographie …Toujours est-il qu’en bon manieur de mots, Pierre Dumayet nous offre un festin jouissif. Il y a à déchiffrer, mais surtout à lire, et y prendre plaisir.
Ecrit en 1989, on arrive à situer les lieux, il y a de la Normandie et la mer, le récit commence d'ailleurs par l'évocation de celle-ci. On comprend aussi qu’il y a quatre personnes, le narrateur, Brossard (une sorte de double), la femme de Brossard et une seconde femme. « Nous formons vraiment un couple à quatre. » est-il dit. « et si nous formions une secte ! ». Un chien jaune aussi est présent ; plus tard arriveront d’autres personnages, une tante, un gendarme chef, deux chiens supplémentaires sachant rire. Une troisième femme, enfin, jeune. La sœur de Brossard et encore d’autres personnages…
Dans ce livre, tout le monde part et revient, il y a un ballet sans cesse de gens qui rentrent et qui sortent, dont un improbable voyage au Mali. Allons faire une promenade nous dit Dumayet. Rentrer dans la maison, la quitter, discuter, voter telles sont les occupations les plus fréquentes de ces gens. Il y a des conflits en permanence, mais chacun revient. A la fin, il manque une pipe, peu importe, on passera par St Claude en acheter une. Puis on en fabriquera. Enfin la boucle est bouclée, Brossard et le narrateur rentrent chez eux à la fin du récit. Leur maison est devenue une sorte d’autel que l’on fait visiter.
Dans ce livre écrit merveilleusement bien avec une verve délicieuse, on passe sans cesse du coq à l’âne ; l’absurde est bien présent, il y a du Ionesco sans hésitation. Beaucoup d’humour, de richesse d’expressions et de mots, beaucoup de dérision. Beaucoup de jeux « avec » les mots. Surréalisme aussi, le narrateur va se confesser au début du récit parce qu’il n’aime pas le bleu, « seulement le bleu ? » lui demande le curé ? et plus loin : « Qui parlait d’amour fou ? ». Autobiographie naturellement « Est-ce que mes pipes me disent bonjour ? » demande le narrateur. Et puis du délire dans l’écriture : « on sent bien que rien n’est écrit, que la suite est aléatoire. » « J’ai toujours aimé attendre. Quand on attend on est toujours baroque : on ne sait pas exactement ce qu’on fait. » « Elle est belle comme une amibe ». Le narrateur va à la banque demander un prêt, « une aide à l’entreprise »
« Quel est l’objet de cette entreprise ?
- survivre. »
On apprend les prénoms de certaines personnes par télégramme, c’est plus drôle, sinon il y aurait des erreurs de communication. Beaucoup de compassion aussi.
C’est riche et truffé d’inventions « On voit qu’il est aveugle, dit Brossard, quand on lève une bouteille, il ne tend pas son verre. » . Délires aussi sur la forme de l’œuf et du cocotier, sur le chien jaune. Un critique parle aussi de Michaux, de Pierrot le fou…
Tout ce bric-à-brac pourrait n’avoir ni queue ni tête ou n'être qu'un exercice de style, il y a pourtant une histoire : celle de Brossard et lui perdue dans une multitude d’histoires annexes, mais essentielles, secondaires mais primordiales, un récit dont on suit le cheminement et qui passionne le lecteur un tantinet attentif cependant. Une percussion de mots salutaire. Une originalité exemplaire.
« Mais qui est Brossard ? L’un de nous. »
Cela doit faire 4 ou 5 fois que je lis ce livre et je pense n’avoir absorbé que 20 ou 30 % de ses offres.
Bref il y a encore beaucoup à lire. Roman d’une existence ? Roman/récit d’un écrivain d’exception ? Sans nul doute.
Il a écrit :
La Maison vide, 1996
Le Parloir, 1995
La Vie est un village, 1992
La Nonchalance, 1991
Brossard et moi, 1989
Autobiographie d'un lecteur, 2000
Des goûts et des dégoûts, 1996
Narcisse, 1986
La Tête, 1980
Monsieur a-t-il bien tout dit aujourd'hui ? 1967
Radio et télévision :
La Der des der, une émission de Michel Polac, M6, 1989.
Le Divan, d'Henry Chapier, FR3, juillet 1989.
Fréquence lire, Radio France Internationale, 20 avril 1991.
Ex-Libris, par Patrick Poivre d'Arvor, TF1, 31 janvier 1991.
Caractères, de Bernard Rapp et Martine Saada, FR3, 1992.
Coup de coeur, par Cella Minart, RFI, 1992.
Panorama, France Culture, octobre 1996.