Je suis de l'autre côté, le long du Cher, face à cette petite plage de sable où j'allais adolescent lors de mes peines de cœur, ma mobylette cachée loin derrière dans les fourrés. Il fallait traverser un pré humide, herbes hautes et ronciers, enfin le fleuve jaillissait et la petite plage formait l'angle des deux fleuves. L'endroit n'a pas changé, un vilain pont ferroviaire casse la magie du lieu ; mais les fleuves sont là toujours aussi impétueux, majestueux, indomptés.
Voilà, plus de trente après, je suis revenu. Mes yeux font le tour, embrasent le pays, comme une stase initiatique, un rituel de ressourcement. Le gris des eaux bouillonne.
Ce jour-là, sur ma plage, un couple est assis, serré, l'homme, je crois, enserre la femme. Ils sont loin, mais je les imagine tremblants, attentifs aux parfums du lieu ; il n'y a pas que moi à être attiré par le charme du site. De ce côté, une voie pavée fait illusion, on pourrait se rappeler un passé de marins, de quais, de barques pour traverser, aller boire un coup de l'autre côté, chercher des rimes dans les bras et les îles.
Le Bec du Cher s'est modernisé : de nombreux sacs plastiques décorent les branches des saules et peupliers. Le monde moderne, tant de salissures transformant mes arbustes aimés en squelettes dégoûtants.

Finalement je ne sais pas trop ce que je fais là, à la recherche de quoi ? Encore de mon passé. C'est une maladie, un mauvais conformisme, chercher ce recul du temps, se gaver de souvenirs heureux ou malheureux, quêter ainsi des lambeaux d'émotion. À vrai dire, on devrait vivre dans le présent, non ? Et puis la solitude est la plus mauvaise des compagnes, il faut penser aux siens, éloigner doutes et hésitations. Ne plus chercher d'hypothétiques étoiles, ces fameux éclairs, toujours ces mélanges de vie rêvée et de vie vécue. Il faut s'en satisfaire, on a perdu notre divin. Nous ne sommes que fragiles et complexes. Mais nous devons vivre.
Je scrute, regard errant, à trois cent soixante degrés le paysage autour de moi, en pleine crise de romantisme ; pour un peu je déclamerais des vers ; gueulant bien fort ; absorbant l'énergie du moment. Finalement, je suis déçu, qu'imaginais-je ? l'homme aime trop les simplifications.
Non, je suis seul, les eaux bouillonnent ; l'endroit est gris et vert ; un banc de sable affleure, un oiseau s'y pose ; le temps s'effiloche ; j'ai donc vieilli, mes joues et mon cou empâtés. Mais le retour à l'enfance a toujours du bon : les pieds au sol, je suis bien là, vivant ; le sable est froid, le printemps se montre et je suis là sans bourgeons en moi. Je me rends compte que je n'ai pas de bourgeons en moi, là où les eaux de mon enfance se mêlent.

SOS Loire Vivante
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