À la plage, quelques bavards disaient qu'elles avaient été lâchées à cause des moustiques. Je croyais qu'elles ne dévoraient que des pucerons.

Sur l'eau salée, elles flottaient un assez long moment puis mouraient. Mortes, les élytres s'ouvraient, les ailes aussi ; elles ressemblaient alors à de petits soutiens-gorge pour fées ou de minuscules sous-marins. Un homme et une petite fille - je les ai vus - ont passé l'après-midi à récupérer les nageuses survivantes, un bras en l'air comme un phare et l'autre récupérant. Le bras hors de l'eau recouvert de coccinelles est ensuite ramené au bord de l'eau et les coléoptères rejoignent alors le sable salvateur.
Cette méthode n'était guère satisfaisante car le bras fatiguait. Dès lors c'est sur la tête que les peu fringants insectes furent déposés. Là aussi de temps en temps une suicidaire ou une épuisée chutait, il fallait encore la récupérer.
Mais si dans l'eau les cohortes de coccinelles étaient impressionnantes, petites pirogues rouges et noires perdues dans l'immensité, c'est sans doute à la limite de la mer et des vagues qu'elles étaient les plus nombreuses. Des centaines de coccinelles bousculées par les flots hésitaient, certaines ne bougeaient plus, mortes ou trop fatiguées, d'autres se dirigeaient vers le salut à l'opposé de l'eau dès que celle-ci se retirait.
Un très jeune enfant à côté de moi semblait faire des exercices de kung-fu au ras de l'eau ; je compris plus tard qu'il tentait d'arrêter la mer par ses mouvements, il cherchait lui aussi à sauver ses amis à six pattes. Je voyais l'homme et la petite fille venir régulièrement sur la plage, un, un bras en l'air, l'autre la tête pleine de taches rouges. Tous deux avaient un air sérieux, de professionnel. Une mission.
Certaines de ces coccinelles, une fois vos pieds découverts, se décidaient à escalader les mollets pour se mettre à l'abri des marées.
Je rentrais dans l'océan, un peu trop froid à mon goût, nageais un peu ; je m'imaginais en vacances. Je n'étais plus assisté, j'étais là au centre de l'eau comme un être humain isolé. De retour vers la plage, je récoltais moi aussi quelques-uns de ces hexapodes perdus. Je les posais sur ma tête. Je sentais les minuscules insectes marcher sur mon crâne, heureux un moment d'être sur une terre ferme.
Le soleil tapait fort, la marée montait, les baïnes allaient être recouvertes, les châteaux de sable engloutis. En remontant ainsi, mon corps sortait de l'eau et j'avançais ; je me disais qu'enfin aujourd'hui j'avais donné un sens à ma vie, à ma baignade. Le sauvetage de quelques dizaines individus vivants qui pataugeaient avec moi dans ce drôle de monde. Je montais haut sur la plage. Et libérais mes acolytes. La petite fille en passant me sourit, "vous aussi, vous les sauvez !" dit-elle. Elle repartit vers les flots. Le petit garçon continuait frénétiquement ses mouvements de karaté pour arrêter les vagues.
J'allais respirer l'air sec et goûtais les sentes boisées alentour. Un gros soleil orangé devenait oblique, s'enfonçait en irradiant. Ma journée semblait se terminer très correctement.

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