Un mot à propos de « la route » de Cormac Mac Carthy.
Le propos ici n’est pas de savoir s’il s’agit d’un roman de Science-Fiction ou non, à vrai dire on s’en fout. Mais pour dire qu’il s’agit sans doute du meilleur livre que j’ai lu depuis quelque temps.
Et je ne suis pas le seul avec plus de 2 millions de livres vendus aux Etats-Unis. Et un accueil dithyrambique en Europe.
Je parle de ce livre car sa lecture m’avait bouleversé, gêné, enthousiasmé. Mais je viens de le « relire » à nouveau par le biais d’un CD.
Dans l’excellente collection Livraphone Editions. (Livraphone 119-121 rue Blomet 75015 Paris / http://www.livraphone.com
Le livre est lu de manière REMARQUABLE par Eric Herson-Macarel au meilleur de sa forme. La diction sans aucun doute magnifie encore mieux le livre, les dialogues en particulier qui pouvaient paraître à la seule lecture un peu « monotones », il n’en est rien, ils sont au contraire très « justes » et très bouleversants. Je conseille donc ce magnifique CD pour ceux qui voudrait lire « autrement ». D’ailleurs le terme « long poème en prose » que certains ont utilisé à propos de ce livre se fait mieux comprendre par la diction.
La Route a reçu le James Tait Black Memorial Prize en Angleterre et le Prix Pulitzer aux Etats-Unis en 2007.Obligeant son auteur à sortir de sa retraite et à accepter quelques interviews. Meilleur livre étranger et second meilleur livre de l'année pour le magazine "Lire".
Le roman se passe donc dans un futur post-apocalyptique, un hiver nucléaire sans doute de plusieurs années. Tout est mort, végétaux, animaux, hommes et un grand feu gigantesque a tout détruit, il ne reste que de la cendre qui semble sans fin descendre des cieux ; les couleurs ne seront jamais revues, ni le soleil qui ne percera jamais le manteau nuageux. Mac Carthy décrit cet univers avec une précision horrible et juste, son vocabulaire choisi avec un soin exceptionnel montre une fin du monde possible, logique, effroyable, inconcevable bien sûr mais vraisemblable.
Un homme et son fils (aux cheveux blonds, c'est la seule couleur du livre) tentent de survivre, les principaux problèmes : le froid (il neige et il pleut et vente sans cesse), manger (l’exploration des maisons abandonnées se révèlera capital), se cacher et lutter contre la barbarie car une partie des rescapés humains se tournera vers le non-humain avec une sauvagerie inouïe. Il y aura donc les « gentils « et les « méchants ». Nos deux héros sont du côté des gentils, mais il faut survivre quand même.
C’est tout aussi une histoire d’amour entre un fils et un père. Une explication de la paternité (d’ailleurs ce livre est dédié à son jeune fils que Mac Carthy a eu de son troisième mariage), du passage d’un flambeau, eux qui détiennent « le feu ». L’écriture est claire, le choix des mots est étonnant, une perfection. 245 pages pour parler du gris sans jamais ennuyer, c’est fort ! Certains reprochent justement la longueur de ce texte, je trouve au contraire que l’écrivain a su trouver la bonne taille, le ton juste, l’équilibre parfait entre la narration et le choix des mots. L’écriture dans ce roman peut surprendre, on passe à la fois de descriptions très soignées de la nature, des villes, de la catastrophe à des phrases d’une apparente trop grande simplicité. Or justement le miracle est là : c’est l’équilibre des écrivains d’exception. L’accumulation des « et » dans l’écriture souligne dans le travail de tous les jours l’activité de survie du père, et ça fonctionne.La fin bien sûr à la fois attendue et redoutée, fait venir les larmes aux yeux. La pirouette finale est un tantinet décevante, mais un peu de couleurs après tant de gris soulage.
Quel beau livre ! Quel traumatisme de tels livres ! Que la fonction d’écrivain est belle !
« Autrefois il y avait des truites de torrent dans les montagnes. On pouvait les voir immobiles dressées dans le courant couleur d’ambre où les bordures blanches de leurs nageoires ondulaient doucement au fil de l’eau. Elles avaient un parfum de mousse quand on les prenait dans la main. Lisses et musclées et élastiques. Sur leur dos il y avait des dessins en pointillé qui étaient des cartes du monde en son devenir. Des cartes et des labyrinthes. D’une chose qu’on ne pourrait pas refaire. Ni réparer. Dans les vals profonds qu’elles habitaient toutes les choses étaient plus anciennes que l’homme et leur murmure était de mystère. » C. Mc Carthy.
Le livre vient d’être adapté dans un film avec Viggo Mortensen, je ne connais rien encore au film, il n’est pas encore sorti aux Etats-Unis, je crains un peu le pire cependant ; il me semble que ce livre n’aurait pas dû devenir un film, ou alors il aurait fallu respecter le texte intégral de l’auteur, ce qui est impossible ; on va y perdre beaucoup de magie et de poésie et de sensibilité. Les acteurs ne seront jamais assez maigres et moribonds et l'on sait que les scènes "horribles" du livre seront à l'écran, Hollywood dans ce cas fait souvent trop de pathos et de sensationnel et de larmes et pas assez de poésie et de retenue ; Charlize Theron jouera même le rôle de la mère alors que dans le livre elle est juste esquissée sur 4-5 lignes fantomatiques, bref sans doute décevant. Mais attendons…
Claude 26/10/2010 18:21