
Ah ! quel beau livre ! et voilà bien un livre de chevet réellement, de ces livres qui restent des mois, voire des années à portée de main et qu’on feuillette le coeur affûté. Le métier de vivre de Cesare Pavese. L'un des plus beaux journaux intimes d'écrivain. La dernière page est inoubliable (18 août 1950) :
"La chose le plus secrètement redoutée arrive toujours. J'écris: ô Toi, aie pitié. Et puis ? Il suffit d'un peu de courage. Plus la douleur est déterminée et précise, plus l'instinct de la vie se débat, et l'idée du suicide tombe. Quand j'y pensais, cela semblait facile. Et pourtant de pauvres petites femmes l'ont fait. Il faut de l'humilité, non de l'orgueil. Tout cela me dégoûte. Pas de paroles. Un geste. Je n'écrirai plus."
Neuf jours plus tard, il se suicide en avalant des somnifères dans une chambre d'hôtel à Turin. Il aura vécu toute sa vie avec cette idée fixe en tête : son suicide. Dès 1936, soit 14 ans avant sa mort, il écrivait déjà : «Et je sais que je suis pour toujours condamné à penser au suicide devant n'importe quel ennui ou douleur.»

On comprend mieux peut-être le pessimisme de Pavese lorsque l’on sait qu’il a perdu son père à six ans et qu’il a été élevé par sa mère, femme réputée très stricte. Cesare Pavese a toujours eu grand mal à vivre et on retrouve cela dans tous ses écrits. Il aurait pu perdre peut-être son pessimisme s’il avait pu trouver l’amour de sa vie mais il a seulement cru le trouver en la personne d’une actrice américaine rencontrée à Rome en 1950, Constance Dowling. Celle-ci l’abandonne et il se suicidera la même année, en 1950, après avoir écrit sa dernière œuvre, "La mort viendra et elle aura tes yeux", recueil poétique dont le titre est très explicite ; Diane Kurys en a tiré un film plutôt réussi « un homme amoureux » avec Peter Coyote dans le rôle de Pavese.
Arrêté puis exilé en Calabre dès 1935 suite à ses idées anti-fascistes, il décide de commencer son journal. Il avait auparavant rédigé une thèse sur le poète américain Walt Whitman et collaborait dès 1930 au journal « la cultura ».
A l'origine de ce mal de vivre, sans doute pour une bonne part : une « malédiction sexuelle » qui le poussait à écrire : «Il y a des vêtements féminins si beaux qu'on voudrait les lacérer» ou encore: «Les femmes sont un peuple ennemi, comme le peuple allemand.» Pavese avait des problèmes d’impuissance ou d’éjaculation précoce, il en parle constamment. Quand il écrit par exemple : "Il y a quelque chose de plus triste que de vieillir et c'est de rester enfant". Ou encore quand il parle de la "jouissance suprême" qu'il sera toujours incapable de donner aux femmes.
Mais c’est aussi la solitude qui revient sans cesse et l’angoisse, le journal est truffé d’aphorismes à la Cioran et de notes de lecture, très souvent ses difficultés avec les femmes reviennent. Très peu de textes sur la guerre, la résistance, le fascisme ! alors que tout se déroule de 1935 à 1950.

Léo Ferré mis en musique un texte de Pavese : Interview de Léo Ferré à la radio au sujet de Cesare Pavese, extrait du livre : "Vous savez qui je suis, maintenant ?" de Quentin Dupont
"L'uomo solo, je ne sais plus pour quelle raison, en 1965 ou 1966, je devais aller chanter en Italie et j'avais mis ce texte en musique à ce moment-là. Et j'ai fait un disque, d'ailleurs, un 45 tours qui a été absolument mis dans l'oubli immédiatement puisque j'avais demandé à l'éditeur qui s'occupe des droits de Pavese, qui s'appelle Einaudi, je lui avait écrit pour lui demander l'autorisation et il ne m'a jamais répondu. Alors, j'ai pris moi-même l'autorisation. C'est un très beau texte italien, et lui c'était un type assez extraordinaire, ce Pavese. _Je dis bien qu'il est mort... Il s'est suicidé pour des raisons très personnelles. C'est un type qui n'avait pas (je parle d'une façon simpliste) de chance avec les femmes. Je ne peux pas dire que j'ai des chances avec les femmes, mais moi si je n'avais pas de chance avec les femmes, ça m'arrangerait. Je ne me tuerai jamais. Jamais de la vie !"
Cesare Pavese est plus connu comme romancier que comme poète, pourtant c’est comme poète qu’il aurait souhaité être reconnu : son premier et son dernier livre sont des livres de poésie. Beaucoup de poèmes du désamour. « travailler fatigue » (1936) était dit-on son livre de poésie préféré.
Quelques lignes de son « métier de vivre » :
En amour, ce qui compte seulement c'est d'avoir une femme dans son lit et chez soi: tout le reste est connerie, sinistre connerie. La forme d'amour la plus banale trouve sa nourriture dans ce que l'on ignore de l'objet. Mais qu'est-ce qui est au-dessus d'un amour qui est fait de ce que l'on sait de l'objet?
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Et pourtant je ne réussis pas à penser une seule fois à la mort sans trembler à cette idée: la mort viendra nécessairement, pour des causes ordinaires, préparée par toute une vie, d'autant plus infaillible qu'elle sera venue. Ce sera un fait naturel comme la chute d'une pluie. Et c'est à cela que je ne me résigne pas: pourquoi ne recherche-t-on pas la mort volontaire, une mort qui soit l'affirmation d'un libre choix, qui exprime quelque chose? Au lieu de se laisser mourir? Pourquoi?
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Ce n’est que par l’indifférence que l’on obtient et que l’on garde. Dans les problèmes de vie en commun, les lois en vigueur sont les mêmes que celles qui régissent le marché. Pour savoir traiter, il faut savoir être indifférent.
Sincères avec soi-même, faux avec les autres.
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Pourquoi celui qui est vraiment amoureux demande-t-il la continuité, la durée (lifelongness) des rapports ? parce que la vie est douleur et l’amour partagé un anesthésique, et qui est-ce qui voudrait se réveiller au milieu d’une opération ?
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Toute ta sérénité, tout ton altruisme, toute ta vertu et tout ton sacrifice s’écroulent en présence de deux êtres – homme et femme – dont tu sais qu(ils ont baisé ou qu’ils baiseront. Ce mystère impudent qui est le leur est intolérable. Et si l’un des deux est tout ce que tu rêves ? Que deviens-tu alors ?
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L’unique joie au monde est de commencer. Il est beau de vivre car vivre c’est commencer, toujours, à chaque instant. Quand ce sentiment fait défaut – prison, maladie, habitude, stupidité – on voudrait mourir.
etc etc etc ... on pourrait en rajouter des dizaines et dizaines ...
Je n'ai pas pu assister en 2001 et 2002 au spectacle réalisé par Jean Bart en Suisse

J'en profite pour vous parler très briévement de Jean Bart - on reviendra à lui, promis - il est avec l'ami Michel Bühler un très GRAND de la chanson (auteur-compositeur-interprète) suisse, je ne saurai trop vous conseiller d'acheter ses disques : du pur bonheur ! Apparemment il sait tout faire : chansons, textes, nouvelles, musique, chants, mise en scène ...