Mais elle a dit : « tu vis ici et maintenant. ». Alors les bords de Loire m'apparurent différents, et j’ai cru contempler ce grand fleuve avec un regard de touriste.
Même les orties de mon enfance ne piquaient plus. Le ciel bleu était différent et indifférent. L’eau coulait dans le même sens que jadis. Donc c’était ici et maintenant.
Je lui ai dit cependant : « Mais que faire alors ? ». Elle a murmuré « marchons, veux-tu ? » ; et nous avons alors longé les eaux dans le bon axe, vivant nos indécisions à l’instant présent, estimant, dans la brise fluviale, l’importance du courant. Je sentais à travers son poignet battre son cœur, courant. Je dévisageais, lyrique, mes jouissances d'hier. Fétides, parfois, leurs effluves.
Le fleuve laissait à l'abandon certaines barques de passage, oubliait les gros anneaux d'autrefois, les escaliers pour les chalands, les saponaires qui servaient de savons. On mangeait jadis là des fritures de Loire et buvait du Chinon, les Vespa garées non loin.
Brusquement tu lachais ma main, le grand fleuve t'arrachait définitivement très loin, tristesse et détresse sont soeurs siamoises, mon coeur soudain saignait. Incommodé de toi, je m'enfermais, moi aussi dans les bras et les îles, comme l'ami Jacques.
Plus tard on m'internera pour d'autres hydrothérapies...
