Je choisis ce soir : je reprendrais ton lettrage, j’améliorerais ton alphabet ; comme un étrange roman, un ensemble de mots et de phrases, je te reconstruirais donc comme une dispersion de tes écrits...

J’attendis ton profond sommeil
Et hop ! je ramassai toutes tes lettres et les dispersai avec des grands coups de bras et des gestes théâtraux, puis je les réunis dans un tas grouillant et gémissant,
en les ébouriffant, elles étaient tombées en vrac dans une espèce de grand bourbier riche en couleurs et en vie,
Je n’avais plus qu’à les réordonner à mes souhaits
Eh eh eh : qu’allais-je faire ?
Sitôt repu de ce carnage, je cherchai des balises
Des points d’ancrage
En « homme de lettres », je choisis donc de te recréer
« en toutes lettres ».

Dès le commencement, certaines lettres jouèrent à la pimbêche, cherchant à s’extirper et partir en voyage
D’autres en chœur se lamentaient
D’autres tout en sinuosités et ondulations, replis et pliures, flexures profondes, s’imaginaient recréer quelques mots, quelques ombres : là une pointe de sein, ici un cheveu, là encore un lieu caché ou secret
Je rénovai tes lettres
Certaines minuscules devenaient majuscules et vice-versa, je variai les capitales et bas de casse
Je rajoutai là des pincées d’accents, j’écrivis en lié ou non
J’essayai des pilotis pour les lettres à jambe, je te voulais plus grande
J’aimais les lettrines, grandes et mirifiques, j’en confectionnai quelques-unes
Lettre montante, lettre ornée
D’autres s’italianisaient : de romaine en italique
D’autres faisaient du chiqué et tiraient la langue,
Certaines ivres avaient perdu leur point sur les i, ou leur tréma et leur circonflexe ou même leur allure générale, elles s’arabisaient, se chinoisaient, bref prenaient la poudre d’escampette
Enfin certaines devenaient lettres mortes silencieuses
Je décidai de tout reprendre

Je cherchai des polices de « caractère »
Je cherchai à bien me situer au pied de la lettre
Je cherchai même d’authentiques lettres d’amour
Lettres grises, lettres blanches, lettres à queue ou tranchées
Je lavai la totalité des lettres, je gardai juste la lavure que je décidai de boire
En moi je sentis comme un décours, une énergie de scribouillard
Mais il y avait toujours ce désordre abstrus, je regrettai presque déjà mes choix, je n’étais sans doute pas aussi lettré que je l’avais imaginé ;
Je récupérai les vingt-six lettres, toutes : les sifflantes, les nasales, les gutturales, les labiales, quelques initiales
Je vis même quelques lettres d’or et lettres de feu qui scintillaient immobiles
Je refusai définitivement les lettres de sang
Je conservai les lettres doubles et les redoublées, même les rares numérales et suscrites
Je favorisai les « belles » lettres dans leur éloquence
Je brassai le tout, inquiet du résultat
Je laissai filer et mijoter le tout, je mis l'ensemble sous les rayons de lune, les chiens se mirent à jouer avec, puis enfin je laissais faire
Très doucement
Il y avait déjà des peaux opales en coulée de lave qui bleuissaient
Des formes qui s’arrondissaient, tu reprenais forme lettrée, tout se reconstruisait...
Et puis tu apparus dans ton sommeil, on eut dit que rien n’avait changé :
Tes éclairs de peau, tes reflets en dorage, la forme complexe de ton corps plié comme un enfant endormi, même les exhalaisons douces de tes respirations, et tes senteurs en boutons de printemps, en chênes endurcis
Bref tu apparus telle que tu étais au début
Je m’endormis épuisé d’avoir tout refait
Et satisfait de découvrir que c’était ainsi que je t’aimais

;-)
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Mais ne dit-on pas que l'ordre des lettres n'a pas d'importance ;-) ?

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