



J'ai retrouvé en fouillant mes affaires ce petit texte charmant, adorable mélange de tubes de peinture et de surréalisme ambiant :
« Je lègue à mes amis un bleu ceruleum pour voler haut, un bleu de cobalt pour le bonheur, un bleu d'outremer pour stimuler l'esprit, un vermillon pour faire circuler le sang allègrement, un vert mousse pour apaiser les nerfs, un jaune d'or, richesse, un violet de cobalt pour la rêverie, une garance qui fait entendre le violoncelle, un jaune baryte science-fiction, brillance, éclat, un ocre jaune pour accepter la terre, un vert véronèse pour la mémoire du printemps, un indigo pour pouvoir accorder l'esprit à l'orage, un orange pour exercer la vue d'un citronnier, au loin, un jaune citron pour la grâce, un blanc, pur, pureté, terre de sienne naturelle, la transmutation de l'or, un noir somptueux pour voir Titien, une terre d'ombre pour mieux accepter la mélancolie noire, une terre de sienne brûlée pour le sentiment de durée. »
Vieira Da Silva
les neuf merci de rené Char :
NEUF MERCI
POUR VIEIRA DA SILVA
I
LE PALAIS ET LES MAISONS
Paris est aujourd'hui achevé. J'y vivrai. Mon bras
ne lance plus mon âme au loin. J'appartiens.
II
DANS L'ESPACE
Le soleil volait bas, aussi bas que l'oiseau. La nuit
les éteignit tous les deux. Je les aimais.
III
C'EST BIEN ELLE
Terre de basse nuit et des harcèlements.
*
Nuit, mon feuillage et ma glèbe.
IV
LA GRILLE
Je ne suis pas seul parce que je suis abandonné.
Je suis seul parce que je suis seul, amande entre les
parois de sa closerie.
V
LES DIEUX SONT DE RETOUR
Les dieux sont de retour, compagnons. Il viennent
à l'instant de pénétrer dans cette vie ; mais la parole
qui révoque, sous la parole qui déploie, est apparue,
elle aussi, pour ensemble nous faire souffrir.
VI
ARTINE DANS L'ECHO
Notre emmêlement somptueux dans le corps de
la voie lactée, chambre au sommet pour notre couple
qui dans la nuit ailleurs se glacerait.
VII
BERCEUSE POUR CHAQUE JOUR
JUSQU'AU DERNIER
Nombreuses fois, nombre de fois,
L'homme s'endort, son corps l'éveille ;
Puis une fois, rien qu'une fois,
L'homme s'endort et perd son corps.
VIII
AUX MIENS
Je touche à l'étendue et je peux l'enflammer. Je
retiens ma largeur, je sais la déployer. Mais que vaut
le désir dans votre essaim jaloux ? Terne est le bouton
d'or sans le ton des prairies.
Lorsque vous surgirez, ma main vous requerra,
ma main, le petit monstre resté vif. Mais, à la réserve
de vous, quelle beauté ? ... quelle beauté ?
IX
LA FAUVETTE DES ROSEAUX
L'arbre le plus exposé à l'oeil du fusil n'est pas
une arbre pour son aile. La remuante est prévenue : elle
se fera muette en le traversant. La perche de saule
happée est à l'instant cédée par l'ongle de la fugitive.
Mais dans la touffe de roseaux où elle amerrit, quelles
cavatines ! C'est ici qu'elle chante. le monde entier le sait.
Eté, rivière, espaces, amants dissimulés, toute une
lune d'eau, la fauvette répète : "Libre, libre, libre,
libre ..."