
Raymond Carver est né en 1938 dans l’Oregon. Il est mort à cinquante ans, d’un cancer pulmonaire. Il aura écrit autant de recueils de poésies que de nouvelles ; il est surtout connu pour ses nouvelles, l’insuccès relatif de sa poésie vient de l’importance qu’y tiennent les évènements de sa vie, beaucoup, beaucoup d’autobiographies dans ces poèmes-là ; ce qui a fait dire à un de mes amis – adorant les nouvelles, mais n’aimant pas les poèmes – « on a l’impression de se trouver devant un mur vide ». On pourra s’amuser à lire des poèmes et des nouvelles qui sont leur propre reflet, comme le poème « la mère » (publié dans Ultramarine – traduit par l’insensé « la vitesse foudroyante du passé ») et la nouvelle « cartons » in les trois roses jaunes ; la comparaison est intéressante. Il y a plein d’autres correspondances pour ceux qui chercheraient. J’aime la poésie de Carver même si son apparente simplicité peut paraître parfois un peu futile ou malvenue, mais les nouvelles, les nouvelles sont de purs moments de bonheur. Une nouvelle de Carver (« c’est pas grand chose, mais ça fait du bien ») a même réussi (et je crois que ce fut la seule fois) à me faire venir les larmes aux yeux à la fin de la lecture.

Cet homme parle de vies ordinaires, de pauvres gens, de destins ratés. Ses personnages ont souvent du mal à survivre, à vivre, englués dans leurs problèmes de communications, d’argent, de recherche de travail, chômage et problèmes relationnels. Un peu la vie de Raymond Carver, qui, marié et père trop jeune, galéra longtemps de petits boulots en petits boulots, de petits verres en petits verres. Il y a souvent une infinie tristesse, mais aussi une puissante et incroyable envie de vivre, de s’en sortir. Raymond Carver trouvera en la personne de Tess Gallagher, à la fin de sa vie, une femme lui redonnant courage et espoir, il arrêtera de boire. Il classera ses affaires, parlera de projets, écrira un scénario pour M. Cimino. Malheureusement le cancer le rattrapera. Juste au moment où le succès pointait le bout de son nez.
Les nouvelles de Carver sont en fait très classiques, même si on a parlé de minimalisme. Les phrases sont épurées, on va vite à l’essentiel, les descriptions sont raccourcies. L’impression d’appartenir au monde humain surgit toujours et de manière profonde, grave dans ce grand humanisme, celui de chercher à vivre malgré l’alcoolisme, les mensonges, les difficultés des rapports homme-femme, les difficultés matérielles. Il y a un rejet de l’abstraction, un large ancrage dans le « vrai » monde. Les nouvelles de Carver nous touchent parce qu’elles parlent de nous, de nous-mêmes. On ne se sent pas étranger dans ce monde profondément humain.
« C’est le réel qui est traité comme fiction, comme s’il nécessitait ce suspens, et qui devient donc irréel. » Claudine Verley.
Je vous conseille tous les livres de Raymond Carver. Si vous voulez lire celui que je considère comme le meilleur, alors c’est le dernier (paru après sa mort) : « Qu’est-ce que vous voulez voir ? » 2000.

En poésie j’avais beaucoup aimé aux éditions L’incertain « Là où les eaux se mêlent ».
Un très intéressante biographie parue récemment donne une idée du personnage : « Parlez-moi de Carver » par Philippe Romon. Cette biographie fit un peu « scandale » dans la mesure où son auteur dénigrait un peu l’influence de Tess Gallagher, de même pour lui l’influence de Maryann (la première femme de Craver) ainsi que son premier éditeur Gordon Lish avaient été prépondérantes. Peu importe / on attend la biographie de Tess pour se faire une idée des deux côtés du miroir.
Robert Altman a magnifiquement bousillé « 9 histoires et un poème » en réalisant « Short cuts », 10 petites histoires qui se mélangent à partir des nouvelles de Carver. C’est bien – pour moi – ce mélange des histoires qui a détruit profondément toutes les subtilités et les fragilités du nouvelliste. Bien piètre et triste résultat, même si tout n'est pas mauvais dans ce film.

Enfin, récemment : traduction du magnifique bouquin « Carver country » (the world of Raymond Carver), petits textes de Carver (beaucoup de poèmes) et photographies de Bob Adelman, sous le titre « le monde de Raymond Carver » pour les aficionados dont je fais partie.