On continue ce qui reste, c’est-à-dire : on longe la rivière de sa vie, on cherche les horaires, les bonnes heures des quais, puis l’arrivée de la nuit, les aubes encore lointaines. La nuit va tomber. On attend sa chute et le bruit qu’elle créera. Ou, on cherche l’heure pour s’endormir, le temps, encore. Fermer les yeux pour finalement se reposer.
Le bonheur, comme si la vie en dépendait.
Et toi, qu’as-tu dit ?
Mon amie est venue, elle s’est installée près de moi sur le banc public. Bancs publics si secrets où se développe l’écologie des cœurs. Jean est parti dit-elle. Elle avait les larmes aux yeux. Elle continua : « L’appartement si soudain silencieux, aucune nuque pour fixer mon regard, ah ! les nuques ! c’est sexy et romantique à la fois. », elle rie tout doucement. « Voilà seule, ça t’intéresse ? » termina-t-elle.
Et puis brutalement elle pleure en s’écroulant, au moment même où la nuit semble s’abattre. Les pigeons se regroupent, le vent se lève. Je ne dis rien, je compatis, et puis je l’aime quand même – ou plutôt, je l’aime pourtant. Mais c’est son histoire, quelque part je m’en fous un peu. Elle a de petites jambes charmantes, mais le corps souffre. Il y a des traces de féminité dans son maintien et dans sa douleur.
Pourtant il y a quelques jours nous revenions tous trois du cinéma : la fin des « nuits fauves » nous avait mis les larmes faciles ; et puis ces accélérations – décapotable rouge – étaient du plus bel effet dans cette ville jadis aimée. Nous semblions alors très vivants en remontant le cours principal, qui, éclairé, donnait l’illusion d’une avenue pleine de vie. J’imaginais certains de mes poèmes, ceux des vies à trois, ceux du temps où la lumière et la nature me faisaient délirer. Avec de belles femmes ou de jolies filles. Jean riait, en main la petite menotte de sa moitié. Et puis Jean si anxieux subitement, agité, embarrassé de sa propre vie et qui enfin se mettait toujours à fuir. Il en est mort aujourd’hui. La torture de vivre pour lui est terminée. Il avait une piètre estime de son corps et n’aimait pas les éloges. Il se croyait toujours en audience invisible, une maladie sans doute. C’est si bon d’aimer et d’être aimé.
Mon amie, un peu pâlotte, se redressa, prit ma main et dit la phrase magique : « viens , on va manger une crêpe au chocolat, il est tout juste temps. ». Mon amie ne manque pas de qualités, elle est comme moi, gourmande.
Nous allions au « bol bu », voir le géant, boire du temps et du thé et déguster ses célèbres crêpes. Sur Toulouse alors, la nuit hésitait. Les amours compassionnels, riches en sensibilité, nous tenaient les mains. En cohorte le long des murs, des amitiés puissantes se tissaient dans des cordages solides et souples à la fois. La ville devenait un gigantesque sac amniotique où se réfugier. et les alliages de nos amitiés définitives.
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