au fond
Ou si peu :
la vie devant moi – falaise – dressée
endossée sur le monde comme une carapace
montagne à franchir – de nouveau –
j’avais tant rêvé de multiples collines douces et bombées toutes en caresses, en fleurs d’olivier et fragrances de lilas et de jasmin, sentiers de jeunesse
Quelques images,
des souvenirs d’enfance
« l’enfant » on l’appellerait
avec son grand monde dans sa tête, ses gestes hésitants et sa sexualité encombrante, qui, seule, le fit basculer plus tard dans le monde des grands
certains corps de femmes inoubliables, et les femmes et les corps,
Et des paysages, de larges paysages où le regard s’absentait
et les cieux métallisés où jadis nous cherchions un dieu ou une confiance à retrouver
La mort est au bout de la route en certitude
Et je serai le seul à appréhender la mienne
En toute solitude
La fin du voyage est pour nous seuls
La suprême et unique écolière
Il reste ce jour un corps à faire respirer
En autonomie apparente, mais le fil est si ténu
Et puis encore des souvenirs
Et donc : dire ; les mots en givre, l’herbe couchée, les dépliants des nuages
Voilà le dire : mon amitié des choses naturelles
L’ouverture du monde à ma grande bouche féconde
Les cris de glouton quand nous l’avalerons
Et les chants des hommes
Oh ! « le chant des hommes dont nous sommes séparés ! »
L’autre me dit d’en rire
A ce point refuser la fin du monde, la mort on verra après me dis-je, au moment où elle me laissera l’écouter, après tout elle n’est sans doute qu’un artefact de plus
Il reste donc à vivre dans ce monde entouré de clôtures
« L’inanité d’une vie trépidante entourée de clôtures » disait l’immense écrivain Harry Martinson et ses « voyages sans but ».
Ce fut le clochard céleste nobélisé qu’on ne peut traduire tant sa langue ne fut qu’à lui, immense, unique,
Mes deux mains se touchent, se pressent, se massent, je suis encore vivant
mais j’ai toujours si peu à dire

la mort Saint-Innocent (Anonyme)
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