Je ne vais plus au village de ma grand-mère. Je n’habite plus cette région depuis longtemps et puis mes grands parents sont enterrés, la maison a été vendue. Mais je me souviens bien de mes derniers passages et de nombreux souvenirs resurgissent. Une toute petite maison, avec sur sa droite un tout petit jardin. Un mur (Oh ! Ce mur : je me souvenais d’un mur très haut, que j’escaladais, enfant, avec grandes difficultés, alors qu’il ne doit pas dépasser un mètre cinquante), derrière le mur, le potager, un grand noisetier, derrière encore, un grand champ, au bout du champ, la route, de l’autre côté de la route la ferme chez Hervé où nous jouions certains après midis au Monopoly dans les années 65.
Derrière le mur, une grosse haie de framboisiers où muni d’un bol on me réclamait parfois d’aller. Le grand noisetier à ma dernière visite avait été abattu, comme je le regrette, c’était un arbre gigantesque, majestueux, une balançoire à sa plus grosse branche du bas, et quantité de noisettes que nous écrasions entre deux pierres. J’ai d’ailleurs gardé un goût prononcé pour les noisettes ; mes beaux-parents dans des accès d’humour m’appellent « l’écureuil ». Mon frère plus âgé que moi montait très haut et me racontait les toits du village, le haut du château, les champs. La nuque pliée, tête en l’air je buvais les paroles de cet aventurier comme du lait. Derrière le potager et ses rangées de légumes, un grand champ qui servait de lieux d’attaques pour cow-boy et indien, on y planta plus tard la tente. Mon père venait à la nuit tombée, pousser des gloussements d’animaux féroces, ou toucher la tente silencieusement pour le plus grand bonheur de nous deux. Avec la pointe de sa cigarette, dehors, il dessinait aussi des figures d’animaux à deviner. Nous le regardions comme le dieu de l’été.
Ce champ aujourd’hui est un lotissement.

En quittant la maison sur la gauche, on était bien vite dans les champs, champs de blé essentiellement, de ces hauts blés de jadis, disparus maintenant. Un large silo brutalement donnait une note de modernité. Je me souviens du grain de blé que nous épluchions et croquions, à la fois amer et sucré. Une pâte à mâcher, un chewing-gum avant l’heure. En haut de la route, sur la droite, on descendait vers la gare, la côte était courte mais forte (ce n’est bien sûr qu’un bon faux plat) ; un jour, un dimanche, de nombreux coureurs descendaient et remontaient prêts pour la course du village, la couleur des maillots, les vélos rutilants et de couleurs variées, ce monde des grands m’impressionnèrent. De fait, je fis des courses de vélo de 13 à 17 ans, ma vision, petit enfant de ce monde là, y est sans doute pour beaucoup pour le choix de ce sport. Je me rappelle aussi de mon premier petit vélo rouge ( à l’époque, je ne prononçais pas les « r », mon vélo rouge grenat, devenait « you guenat ». Un jour descendant cette petite côte, je ne pus freiner, le pignon fixe m’entraînant, seul le mur de la petite gare m’arrêta. Je revois encore le mur s’approchant de moi à grande vitesse.
Les trois pièces de la maison étaient très petites en enfilade ; je me souviens surtout de la chambre du fond qui contenait juste deux lits, une grande armoire avec une grande glace et de deux vases faits par mon grand-père ou rapportés par lui ; ces vases faits dans des obus de la première guerre. Fusées de cuivre gravées, décorées. De savoir qu’il s’agissait d’obus m’avait bouleversé.
Il y avait aussi la « grange ». Une petite grange qui présentait deux intérêts : une grande échelle dangereuse (« interdite »)qui menait à un vaste grenier, et des escaliers pour descendre à la cave. Au grenier, on trouvait des vieux « Akim » ou « Mickey », des jouets oubliés, et des malles, bref tout un bric-à-brac où il était plaisant de fouiller. Il n’y a plus de grenier dans les maisons modernes, j’entends de vrais greniers avec les toiles d’araignées et les trésors qui vont avec. La cave contenait encore une grosse quantité de charbon qu’on laissait couler par un petit soupirail et quelques gros tonneaux qui jadis recevaient le vin de mon grand père. Il y avait une odeur de vinasse et d’humidité, de champignons dans cette cave que je n’ai plus jamais redécouverte ensuite. Ma mère me racontait les vendanges des petites parcelles de vigne avec un âne têtu.
Dans une petite soupente, nos jouets de chaque été étaient là : arc, fusils à flèches, pistolets, panoplies.
En mal d’animaux, parfois je caressais le chien du voisin avec une gourmandise extrême.
Plus bas dans la rue, une ferme, on allait y voir chèvres, lapins, poules et quelques vaches et puis un magnifique cheval de trait d’une stature extraordinaire. Deux vieux garçons.
En continuant la route sur la gauche, après avoir traversé la nationale, on pouvait arriver au « pont cassé », on venait voir les eaux qui coulaient vers le château, il était interdit de s’y baigner, un « trou d’eau » ayant provoqué des noyades ; je n’ai jamais su s’il s’agissait de légendes ou de réalités ; il y avait beaucoup de goujons et de petits poissons, on pêchait là avec des cannes à pêche très artisanales et peu efficaces. Les lattes du pont cassé dépassaient, quelques gros clous rouillés parfois nous griffaient les pieds. C’était la campagne à pleins poumons. Mes poumons jadis asthmatiques se souviennent des fraicheurs des prés, des tourbillons de l’eau, de l’amitié des enfants.
J’attendais aussi avec impatience le jeudi matin ; sur la place du village stationnait alors un long camion qui vendait un peu de tout pour les enfants des bricoles à 1 franc avec lesquelles nous allions jouer des semaines durant. Le feu d’artifice du 14 Juillet tiré sur le terrain de football était lui aussi –pour mon âge – grandiose.
Puis nous quittions le soir le village pour rejoindre la grande ville, au passage, les parents achetaient comme un rituel quelques tartes aux pommes de terre, que nous dégusterions plus tard.
Cette maison fut enfin vendue, ma grand-mère était morte, celle qui vers la fin de sa vie m’appelait « Monsieur » en me croisant dans le petit couloir de l’appartement de mes parents. Puis pleurait lorsque je disais mon nom.
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