« Chers amis, tournez le dos aux écoles, n’adhérez qu’à vous-même. Chaque artiste a son secret en lui qu’il lui faut découvrir. » CT

Non-conformiste, anticlérical, anarchiste, antimilitariste, Clovis Trouille avait tout pour me séduire. Pourtant ses peintures sont peu connues, rejetées jadis par une critique qu’il n’aimait pas lui-même et aussi par la bourgeoisie qui jugeait ses œuvres trop érotiques, trop subversives et trop anti-curés. « je rejette la morale de la société bourgeoise, l’imposture de sa religion, la morale de ses curés, son patriocularisme, je désire au contraire une société sans frontière. » CT
Ce fut donc en « solitaire inclassable » que Trouille passa ce siècle (1889-1975). Il ne se dirigea ni vers une étude des « arts primitifs » tel Picasso ou Gauguin, ni vers un classicisme encore à la mode. Il choisit sa propre voie, en soldat anti goupillon et anti sabre et se mit à peindre la libido, les femmes nues, la prostitution et bien sûr la mort. Pour faire un art – pour reprendre ses propres mots de « voyou, voyant et voyeur ».
Au début tout prédestinait pour que Clovis Trouille soit un peintre reconnu, puis vint le service militaire de 2 ans , puis la guerre de 14-18, il ne sera démobilisé qu’en 1919, il dira lui-même avoir perdu 7 ans de sa vie « nous étions la génération sacrifiée, privé d’amour à cet âge. » Il espérait être un grand peintre avant la guerre et faisait tout pour ; il revint de ces 7 années de solitude, anarchiste et antimilitariste ; il continua de peindre abondamment et de retoucher sans cesse, mais pour lui la peinture était devenue « autre chose » et il ne chercha plus une reconnaissance publique. « L’on peut être certains que je le suis, érotique, et que je l’ai toujours été. Mais il me semble qu’un artiste qui ne sent pas la femme ne peut être un bon artiste. Mon œuvre est un chant d’amour à la femme, qui m’a tant manquée dans ma jeunesse (refoulement). »
Clovis Trouille aimait les nus photographiques des années 1900, ces nus en noir et blanc ; en peinture il chercha à restituer cet érotisme là de même qu’à promouvoir un couleur abandonnée des impressionnistes : le noir (voir le magnifique « mes funérailles » de 1940 où tout est noir et blanc à part la chair rose de 3 jolies créatures.)
Riche dans son indépendance, Trouille ne suivit pas la sirène surréaliste que pourtant lui proposèrent Dali, Aragon ou Breton. Cependant pour certains, ses toiles sont bien plus « surréalistes » que beaucoup d’artistes reconnus de cette époque. Trouille n’aimait pas les idéologies. Il disait de son art qu’il était plutôt « super-réaliste ». L’utilisation de la photographie chez Picabia ou Dali qu’ils essayèrent eux de minimiser, lui Trouille la revendiqua haut et fort et sans difficultés ; en ce sens certains ont dit qu’il était peut être l’un des précurseurs du « Pop art ».
Clovis trouille aimait donc les photographies et il fut l’un des premiers à utiliser celles-ci comme outils : soir en les décalquant, soit en les découpant, parfois même en les collant sur la toile et en repeignant dessus. Si Trouille abandonne suite à ses collages des notions de perspective, son grande originalité est l’utilisation de couleurs vives abondantes et qui pour certains pourrait paraitre presque « vulgaire ». Il n’en est rien, Trouille est un coloriste de génie. Comme le disait Cézanne : c’est la couleur qui commande. (« Quand la couleur est à sa richesse, le dessin est à sa plénitude »)
Il vendra très peu de toiles de son vivant et ce volontairement ; il eut un métier : maquilleur retoucheur de mannequins à Paris (Maison Imans) et dessinateur publicitaire avant la guerre ; l’art et le commerce ne vont pas ensemble disait-il.
Trouille n’aurait peint que 120 toiles environ, mais perfectionniste, il les retouchait sans cesse ; il en donnait régulièrement à ses amis, et tous les 2-3 ans il les récupérait pour les « retoucher », souvent c’était infime, par exemple un grain de beauté sur la cuisse d’une nonne.
Les lettres inaugurant le livre sont très intéressantes, Trouille y explique sa vie et sa peinture, son refus du monde bourgeois. Et le livre est tout entier magnifique : grand format, belles reproductions, les textes juste ce qu’il faut ; un très beau livre bien fait ; bravo à ACTE SUD et Clovis Prévost, le metteur en scène de ce très beau livre. Acte Sud 2003.
« D’autre part, je tiens à ce côté subversif de mes œuvres, qui à mon avis fait que les peintures de cette sorte vieillissent bien. Car vous savez que le temps, la patine du temps n’adoucissent que trop la peinture.
On reste stupéfait devant l’Olympia de Manet, de penser que l’on a dû faire protéger ce tableau par la police, les visiteurs voulant le lacérer. Ce tableau, avait donc, alors, une puissance mystérieuse de « jamais vu », qui déchainait la colère. Je m’habitue à mes tableaux en les voyant vieillir et il me semble que c’est le piquant du subversif qui les sauvera de la patine du temps et de la banalité coutumière. » (1959) CT
André Breton aussi disait de lui qu’il était « le grand maitre de cérémonie du tout est permis. »
Le poète Ghérassim Luca : « vous êtes celui qui a réussi à planter entre les cuisses du Douanier Rousseau une paire de couilles géantes. »
Site officiel des amis de Clovis Trouille
http://www.clovistrouille.net
Article très intéressant sur le peintre par Michel Darras
http://www.numerologue.net/index.php?2007/08/25/22-exposition-de-clovis-trouille-a-amiens
autour de la cathédrale de Notre-Dame d'Amiens : ici
http://m_debray.club.fr/TROUILLE%20RUSKIN/index.html