« Adolphe » de Benjamin Constant, quel plaisir de lecture !
Je ne vais pas ici vous faire une explication de texte, il y en a plein sur le net ou dans les livres, de ce seul roman publié par B.Constant. 10 ans pour peaufiner ce tout petit texte : 1806-1816 ; 1816, date de parution, B. Constant a alors 49 ans. Il sera ensuite député.
Juste donc le plaisir devant cette écriture exceptionnelle : poétique, d’un niveau remarquable ; c’est un grand charme à la lecture. Une découverte jouissive de la grande écriture de cette charnière 18e et 19e siècle.
L’histoire est cependant banale : une histoire d’amour qui finira mal ; le personnage, jeune homme timide et solitaire, fuyant la compagnie des hommes. Il est taciturne mais ne dédaigne pas hommes et femmes cependant. « Je veux être aimé... » est le sempiternel sentiment bien masculin décrit dans ce livre. Il y a une grande part d’autobiographie dans ce court texte, aussi bien pour ce qui concerne les affaires de cœur car B. Constant a eu maintes relations (dont une avec Mme de Staël) que pour les relations conflictuelles avec le père. Enervé aussi par les dogmes officiels.
Ces relations avec le père sont même assez fondamentales pour la compréhension de ce récit (le père de Constant est sans doute le père d’Adolphe). De même les critiques sociétales.
Adolphe fait son introspection et son autocritique, il est à la fois le narrateur (je) et le personnage, c’est une double position, comme un peu un journal intime. En ce sens, « Adolphe » est bien plus un roman psychologique ou d’analyse, qu’un roman romantique alors qu’on est en plein dans les mots (et maux) du romantisme. Le dessein de plaire à une femme : ni tout-à-fait sincère, ni tout-à-fait de mauvaise foi. Adolphe est tour à tour égoïste et sensible. Tout l'art masculin.
L’histoire est simple : Adolphe plait, il cherche à séduire, il tombe amoureux d’Ellénore, femme de 10 ans son ainée. Elle est dans une situation « de sécurité », compagne d’un comte.
Elle hésite longtemps, repousse le jeune homme, mais la possibilité d’une dernière passion prend le dessus et elle abandonnera tout pour suivre Adolphe et passer un an avec lui. Sitôt, l’affaire conclue, Adolphe sent qu’il est moins amoureux, il s’ennuie, devient triste et maussade. Ellénore le sent et cela la rend malade ; comprenant par une lettre qu’Adolphe va la quitter, elle tombe malade et mourra de douleur amoureuse. Adolphe se sent alors coupable et réfléchit à son égoïsme, à son impossibilité d’aimer, à son indifférence au monde qui l’entoure, à la jouissance de son amour-propre. Adolphe n' a pas le courage d'assumer la rupture. A la « perfidie » féminine répond le détachement masculin.
A la mort de sa compagne, Adolphe écrit : « J’étais libre, en effet, je n’étais plus aimé : j’étais étranger pour tout le monde. » Responsabilité en matière amoureuse, culpabilité ?
La liberté et l’amour sont-ils définitivement incompatibles ?
« Malheur à l’homme qui, dans les premiers moments d’une liaison d’amour, ne croit pas que cette liaison doit être éternelle. » (chap. III)
« Il y a des choses qu’on est longtemps sans se dire, mais quand une fois elles sont dites, on ne cesse jamais de les répéter. » (chap. IV)
« Nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose. » (chap. V)
« C’est un affreux malheur de n’être pas aimé quand on aime ; mais c’en est un bien plus grand d’être aimé avec passion quand on n'aime plus. » (chap. V)
A propos du père :
"Ma contrainte avec lui [mon père] eut une grande influence sur mon caractère. Aussi timide que lui, mais plus agité, parce que j’étais plus jeune, je m’accoutumai à renfermer en moi-même tout ce que j’éprouvais, à ne former que des plans solitaires, à ne compter que sur moi pour leur exécution, à considérer les avis, l’intérêt, l’assistance et jusqu’à la seule présence des autres comme une gêne et comme un obstacle. Je contractai l’habitude de ne jamais parler de ce qui m’occupait, de ne me soumettre à la conversation que comme à une nécessité importune et de l’animer alors par une plaisanterie perpétuelle qui me la rendait moins fatigante, et qui m’aidait à cacher mes véritables pensées. De là une certaine absence d’abandon qu’aujourd’hui encore mes amis me reprochent, et une difficulté de causer sérieusement que j’ai toujours peine à surmonter. Il en résulta en même temps un désir ardent d’indépendance, une grande impatience des liens dont j’étais environné, une terreur invincible d’en former de nouveaux.
Je ne me trouvais à mon aise que tout seul, et tel est même à présent l’effet de cette disposition d’âme que, dans les circonstances les moins importantes, quand je dois choisir entre deux partis, la figure humaine me trouble, et mon mouvement naturel est de la fuir pour délibérer en paix. Je n’avais point cependant la profondeur d’égoïsme qu’un tel caractère paraît annoncer : tout en ne m’intéressant qu’à moi, je m’intéressais faiblement à moi-même. Je portais au fond de mon cœur un besoin de sensibilité dont je ne m’apercevais pas, mais qui, ne trouvant point à se satisfaire, me détachait successivement de tous les objets qui tour à tour attiraient ma curiosité. Cette indifférence sur tout s’était encore fortifiée par l’idée de la mort, idée qui m’avait frappé très jeune, et sur laquelle je n’ai jamais conçu que les hommes s’étourdissent si facilement."
"Adolphe" un chef d'oeuvre de la littérature française, j'aime tellement ce livre et je l'ai lu tant de fois, (en plus c'est un bon résumé des relations homme-femme, encore qu'il y aurait beaucoup à dire), que j'ai préféré ne pas voir le film qui en a été tiré, certain d'être déçu, un jour peut-être...