Je tente d’écrire
N’est-ce pas
Je serais menteur : je dirais par nécessité
Non, ici c’est plutôt par dilettantisme
Le manque de temps toujours pour se dire « écrivain »
Le talent aussi
Le talent peut se travailler, non le temps qui passe, qui fuit, et le vieillissement accort (ou non ?)
Ecrire sur quoi ? est la seconde question, le style viendra ensuite
Ici les lilas sont en floraison, je pourrais écrire sur le lilas, rose, ici
Ou de ces teintes qui varient en fonction de l’âge de la fleur : de très violet à rose pâle, magenta presque, améthyste, lie-de-vin, parme, mauve ; quatre pétales pour un long tube et ses grappes, nid de recherche et de repos pour maints insectes ; je n’aime pas le lilas blanc, son blanc est triste, particulièrement lorsqu’il fane ; alors que le lilas violet ou bleu possède un camaïeu étonnant qui fouille le regard, amplifie les vues ; et bien sûr que dire de ce parfum si enivrant, si gracieux, si douceâtre ; on rêve la courbe gracieuse d’une nuque, vide de cheveux
On peut écrire aussi sur les corps féminins, sur le spleen et sur les spectacles naturels ; ensuite on peut écrire sur soi-même, souvent pour s’apitoyer ; enfin on peut tout simplement – et n’est ce pas mieux ? – ne pas écrire « du tout » ; et ainsi vivre mieux sans doute ; que voulait J. Joyces en écrivant Ulysse ou Finnegans Wake ? Que voulait dire Rimbaud avec son bateau ivre, et Michaux et ses textes indolemment superbes ?
Il faut devenir écrivain d’un coup de fendoir, ou non ; pas d’issue « intermédiaire » ; noir ou blanc, pas de gris
Or je nage depuis la quasi fin de mon enfance dans un gris terne, homogène, un gris sans talent, un état d’âme blanc comme le lilas blanc ; j’aurais voulu être un artiste, et cette possibilité s’évapore lentement ; alors on peut se « rabattre » sur les mots, la grammaire, les phrases…
Et moi dans mon félibrige : juste quelques insectes ou fleurs, quelques animaux colorés, quelques reflets naturels sur des eaux, des feuilles mortes, des galets bien polis ; et dans les fenestrons des vies quelques coups d’éclats en serpette comme des éclairs amis ;
Je dévisage mon monde en retrait et avec dureté : ce chef-d’œuvre inventé qu’il n’y a qu’à biffer d’un trait ;
Dans mon antre, mon abri, j’écris, je suis en dehors de vous, je suis « à côté » où j’ai débruti nos clairières communes ; j’ai ligoté des fagots de nos marais, des espaces de fange limoneuse pour essayer de « vous » « décrire », ou d’expliquer mon monde intérieur
Je suis « réservé » comme un invité
Un invité de vos mondes, mal à l’aise, légèrement ; en retrait encore une fois ; alors j’ai cherché les phrases et les grammaires pour vous partager, vous inclure, faire de vous-mêmes une partie de moi-même ; initier un large puzzle, bref vous aimer
Les mots m’ont-ils servi ? desservi ?
J’ai voulu le poème pour l’immédiateté et pour la fascination des images
Sans doute les proses auraient été mieux, davantage prendre son temps, délibérer davantage
Mais j’aime écrire court, rédiger court et j’aime laisser la part de mystère
Le monde, la vie sont des mystères ; ton corps aussi inconnu de tant de portes ; je suis sûr que l’écriture ne pourra rien, de même que d’autres arts pour résoudre ces parts d’ombre
Suis-je une esquisse d’homme et mes mots des mots esquissés ? Suis-je réel dans un monde réel ?
Je vous écris là, en sourdine, attendant vos sourires et vos acquiescements, non vos acquittements voulais-je écrire.