« La caractéristique principale de mon âme, c’est l’impatience. Je me rappelle que toute ma vie j’ai souffert d’une préoccupation qui m’a empêché de vivre et cette préoccupation c’était précisément qu’il fallait faire quelque chose et qu’alors je pourrai vivre en paix. Ce souci emprunta plusieurs travestis : parfois je m’imaginais que ce « quelque chose » était un roman à écrire, mais il arrivait aussi que c’était un appartement confortable, ou encore un passeport à obtenir, ou bien me réconcilier avec moi-même – mais en fait ce quelque chose d’important qu’il me fallait surmonter pour pouvoir vivre en paix, c’était la vie elle-même. Ainsi tout peut se résumer à ce paradoxe que le plus difficile dans la vie, c’est la vie elle-même – attendez un peu que je meure et alors vous verrez comment je vivrai. »
Iouri Olécha
Il dit : « je voudrais changer », mais lui-même, il connaît son mensonge ; elle, elle est présente, attentive.
Il y a quelques jours, ils avaient marché longuement : une rivière sortie de son cours, des moulins abandonnés, des grosses meules cachées par les hautes herbes et les fleurs du printemps. Des caniveaux et rigoles creusés dans la pierre de Provence dessinaient au sol des tracés labyrinthiques. C’était étrange et plaisant de marcher dans le lit d’une petite rivière disparue ; les plaques calcaires bien lissées et les berges reflétaient puissamment les rayons du soleil, il faisait blanc et chaud, on devait plisser les yeux ou mettre la main comme une visière. Il ne portait jamais de lunettes de soleil, trouvant alors les variations de couleur du monde trop « inadmissibles ».
Tandis qu’il herborisait comme à son habitude, elle, elle jouait avec les chiens ; plus tard le petit de robe noire, abruti par la chaleur refusera de marcher, il faudra le porter jusqu’au lavoir du village plus haut où enfin il retrouvera la joie de piétiner et de se rafraîchir. Les lavoirs provençaux sont enchanteurs et si étranges remplis de cette eau glacée qui semble pourtant manquer partout. La force du soleil d’été et la grande sieste de l’eau fraîche. Deux amis qui s’acoquinent bien.
Plus tard, lui redescendra seul, parmi les arbres secs, dans la grande forêt, en ubac de sa solitude ; à grands pas, à grandes enjambées, il aurait cherché à résumer son monde, sa vie, à deviner quelque barbarie naturelle au détour d’un sentier. Mais l’imprévu n’est pas venu, la descente fut simplement une « descente » naturelle dans des bois « naturels », pas de surnaturel, ni de faunes, ni de fées. Pas de Pan aux sabots caprins qui aurait proposé une pipe de tabac brun.
C’est cela qui le gênait, une lacune, un trou cruel, une partie manquante ; mais jamais et depuis si longtemps, il ne sut, ou il n’imagina ce que tout cela pouvait bien être. Une blessure de son enfance ? Une déficience inhérente à tout être du genre humain ? Un désarroi devant l’avenir ? Une incompréhension plus générale ? Une « insuffisance centrale de l’âme » pour reprendre les mots de Nicolas Bouvier.
C’est cela qui faisait mal si souvent, et pensa-t-il, engendrait tant de suicides ?
Au volant de la voiture, il remonta les quelques kilomètres jusqu’au village. Les chiens aboyèrent et se trémoussèrent, reconnaissant l’automobile. C’était l’été flamboyant dans toute la splendeur du sud ; on but des boissons froides, mangea une glace dans le silence des ocres durs sur une petite terrasse isolée.
Près du parking, les pins crépitaient comme des balles leurs cigales. J’ai toujours aimé les feux d’artifices. Le boucan, parfois, était énorme. L’enfant s’amusait à s’approcher de chaque arbre rapidement, les bruits les uns après les autres cessèrent comme par un charme. Et un stupéfiant silence – grâce à l’enfant – vint. Cette pause reposait.
Puis nous rentrions calmement, l’air était bleu, l’asphalte d’un beau gris, les routes bien dessinées comme un croquis d’enfant, les arbres bien verts et brune la terre. Nous étions un couple normal avec enfant et chiens.