"Pour l'âme de ma Hanna,
Pour l'âme de Berl mon frère,
Tués avec les fils de leur famille,
Et avec mon peuple tout entier,
Et il n'est pas de sépulture."
Y.K.
Il est des textes rares et précieux.
"Le chant du peuple juif assassiné" de Yitskhok Katzenelson en est un.
Né en 1886 en Biélorussie dans une famille de lettrés, dès 18 ans, il publie ses premiers poèmes à Varsovie.
Il reprend l'école paternelle juive de 1910 à 1939 et devient populaire dans le milieu yiddish par sa prose, ses poésies, son théâtre...
Puis suivront l'enfer et les 3 années de ghetto à Varsovie (les intellectuels et membres de partis politiques se réfugient tous à Varsovie - erreur - 500.000 Juifs se verront ainsi enfermés). Un jour qu'il était absent, deux de ses fils et sa femme sont pris et envoyés en camp de concentration.
Une résistance "culturelle" s'installe par la littérature essentiellement (tout le monde écrit pour laisser un témoignage), mais aussi par la photographie. Laisser des traces devient une obsession.
Les poètes deviennent des porte-paroles essentiels.
Les écrits sont cachés dans des récipients plus ou moins hermétiques.
La renommée de Yitskhok Katzenelson fait qu'on le force à quitter le ghetto avec son dernier fils, afin -espère-t-on- de lui faire quitter l'Europe.
Interné alors au camp de Vittel , camp pour "personnalités" où il bénéficie lui et son fils d'une chambre privée. Il y rédige alors ces fameux chants de désespoir et de colère ; il est finalement déporté à Auschwitz avec un de ses fils en avril 1944 où il est gazé dès son arrivée le 1er Mai.
Ecrit en yiddish dans le camp de Vittel d'octobre 1943 à janvier 1944, ce texte est miraculeusement récupéré. Il est un témoignage unique sur la barbarie nazie et le ghetto de Varsovie. Erri de Luca vient de traduire ce texte en italien, il en parle dans son dernier roman.
"Le feu du ciel se déverse sur la Pologne le 1er Septembre 1939 et c'est ainsi que commence l'extermination, l'éradication du royaume ashkénase en Europe.
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Le 27 août 1943 Yitskhok Katzenelson écrit :
"Je vais cacher ces papiers, car si les meurtriers allemands les trouvent, ils vont me tuer et, ce qui est pire, ils vont détruire ces notes fragmentaires qui ne racontent qu'une infime partie des tortures qui nous furent infligées par ce peuple d'assassins."
Myriam Novitch raconte aussi la manière dont furent enterrées les trois bouteilles scellées du Chant du peuple juif assassiné " près de la sortie à droite, au sixième poteau, celui qui porte une fente en son milieu, au pied d'un arbre."
Les premiers textes parurent en 1960 et leur publication intégrale en 1984.
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Dans la situation extrême où se trouvait Yitskhok Katzenelson, on reste abasourdi de constater qu'il a choisi une forme de contrainte formelle maximale : le poème se compose de 15 chants, chacun comportant 15 strophes de 4 vers, rimes croisées en permanence."
Rachel Ertel (postface)