Même si je préfère Rimbaud, Mallarmé ou Verlaine, force est de reconnaître que Baudelaire est aussi un très grand ; Claudel disait qu'il était "le plus grand poète du XIXième siècle.", et Rimbaud : "Le premier Voyant, roi des poètes, un vrai Dieu.". Il est certain qu'il fut le premier des poètes dits "modernes" et a façonné une oeuvre prodigieusement originale ; il y a chez Baudelaire un mélange étonnant de classicisme et d'imagination qui le rend unique.
Voici un poème que j'aimais beaucoup jadis du grand poète de la lumière noire. Il peut faire penser au tableau "Aspasie" de Delacroix (vers 1824-1826), tableau que le peintre garda précieusement chez lui, dans son atelier, et n'exposa jamais. Delacroix très sensible aux charmes de ses modèles, eut très vraisemblablement cette femme noire comme maitresse. C'était aussi le commencement de portraits de femmes "de couleur". Cette toile est sans doute une des toutes premières.
En peignant Aspasie, « Delacroix bouleverse la notion de l’idéal féminin alors que la beauté sombre est à l’époque un thème uniquement littéraire ». Hugh Honour.
" Ainsi ce tableau exprime l’idée chère au Romantisme de vouloir se perdre dans l’étranger : l’idée du rêve, de voyages exotiques à travers une nouvelle image de la féminité, abandonnée aux charmes de la sensualité. Delacroix : voici le Portrait d’Aspasie, cette jeune mûlatresse, lippue, sauvage, sensuelle, fut la maîtresse du peintre : c’est sans doute un des premiers vrais portraits d’une femme de couleur (1824). " Musée Fabre, Montpellier.
La très chère était nue, et, connaissant mon coeur,
Elle n'avait gardé que ses bijoux sonores,
Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur
Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores.
Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur,
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase, et j'aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière.
Elle était donc couchée et se laissait aimer,
Et du haut du divan elle souriait d'aise
A mon amour profond et doux comme la mer,
Qui vers elle montait comme vers sa falaise.
Les yeux fixés sur moi, comme un tigre dompté,
D'un air vague et rêveur elle essayait des poses,
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses ;
Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins,
Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne,
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins ;
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne,
S'avançaient plus câlin que les anges du Mal,
Pour troubler le repos où mon âme était mise,
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s'était assise.
Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe,
Tant sa taille faisait ressortir son bassin.
Sur ce teint fauve et brun, le fard était superbe ;
- Et la lampe s'étant résignée à mourir,
Comme le foyer seul illuminait la chambre,
Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir,
Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre !
