"Il n'y a guère que l'insatisfaction qui puisse nous satisfaire."
Roland Jaccard
J'ai toujours aimé les livres de Roland Jaccard ; en outre je pense que je pourrais aimé l'homme (et le jalousais), il représente en effet ce que parfois - ou dira-t-on ? très souvent - j'aurais souhaité être si j'avais eu quelque talent littéraire, ou quelque talent tout court dans la vie, et surtout quelque volonté : nihiliste, aimant les jeunes filles, parlant du suicide, lettré, voyageur, cultivé, ayant cotoyé maintes personnalités brillantes et intellectuelles, refusant la famille et son oisiveté, solitaire, intelligent - bref toutes ces choses qu'à 17 ans on choisira de faire et que la vie doucettement mais de manière insolente nous déroute vers des chemins plus classiques, moins "excessifs". Bref qui n'est pas rentré dans le rang ? Bien peu, finalement.
Bref chaque livre de cet auteur me réjouit ; ce dernier ne déroge pas à la règle, écrit à 70 ans, l'auteur parle à nouveau des rencontres de sa vie : mélange de divines créatures (jeunes très souvent, asiatiques par préférence)(aimer Louise Brokks et les Lolita d'abri-bus, dit-il), de lectures importantes et d'hommes "écrivants" (la vie de l'écrivain semble souvent intéressé autant l'auteur que la nature de ses ouvrages), de rencontres amicales pour discuter de la mort, du suicide, des milieux littéraires parisiens ou vaudois, et bien sûr de jeunes filles ou femmes, qui -jeunes- attendent "tout" de la vie.
Il y a toujours au cours de la lecture des livres de Jaccard un mélange d'inutilité et d'importance ; futilité et gravité, bref une étrange complémentarité.
En outre dans ce dernier opus, Jaccard parle - comme par hasard - des écrivains que j'aime : Haruki Murakami*, Henri Miller, Yi Sang, Natsume Sôseki, Cioran*, Topor, Henri Roorda*, Richard Brautigan* etc etc
On a l'impression qu'il connait tous ces auteurs personnellement comme cette apparition dans une librairie parisienne de Yi Sang, malade, proche de la mort et dont Jaccard trouve la peau bien pâle et qui finalement s'installera chez lui.
Comme l'écrit un des amis de l'auteur : "L'art de suggérer ce qu'il y a à la fois d'anodin et de grave dans la frivolité, la superficialité, bref la substance de toute vie. En paraphasant Nietzsche : ça devient profond à force d'être superficiel."
Il y a chez cet auteur - qui conçoit la littérature comme des fragments d'une grande confession, un profond pessimiste du monde, mais le bonheur d'une libido active, mais le bonheur dans l'art des livres : celui de les écrire, mais aussi de les lire!
Nihiliste, grand cynique, Jaccard ne laisse jamais indifférent.
Dans la vie recherche-t-on le bonheur ? Si oui, quel chemin idéal emprunter ? Celui d'une culture solitaire et de "petits" plaisirs "égoïstes" ? Ou celui de rentrer dans le rang : famille, travail, patrie ? Existent-ils des voies parallèles qui exploiteraient un peu des deux ?
Chaque livre de Roland Jaccard est un petit aparté vers le monde intraverti de soi-même, les difficultés de vivre bien sûr (de l'inconvénient d'être né) mais c'est chaque fois pour le lecteur engourdi, endormi par sa propre vie, un réel bonheur...
(*) voir sur ce blog.
Ma vie et autres trahisons, Grasset, Roland Jaccard, 2013
Site et blog de Roland Jaccard cliquez ci-dessus