" Le poète n'est rien d'autre qu'un homme solitaire dont la bouche brûlante nous
convoque à travailler avec lui au travail d'être homme." G.B.
Gabriel Bounoure (1886-1969) est un écrivain et critique français, il n'a accepté - de son vivant - (et encore avec difficultés) de ne publier qu'un seul livre.
Ce fut "Marelles sur le parvis" .
Toute personne s'intéressant à la poésie doit lire ces lignes-là.
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« Il faudrait parler longuement d'un livre où se marient si heureusement l'intelligence et l'amour. En particulier de ces pages d'introduction qui comptent parmi les plus beaux textes qu'on ait consacrés au mystérieux pouvoir de la poésie » Philippe Jaccottet
« Ce qui caractérise ces études, c'est qu'elles sont l'oeuvre d'un critique averti, cultivé, scrupuleux, un critique qui, parlant de poésie, la dispense avec profusion. » Maurice Nadeau
« Rien de desséché ni d'aride dans ces pénétrantes investigations, mais un courant continu de métaphores qui font comprendre tout ce que les catégories de l'intelligence logique laissent échapper, et qui est pourtant l'essentiel. Ces métaphores jouent le rôle capital des mythes chez Platon qui savait bien que la meilleure des preuves est encore la preuve poétique. Ce livre nous restitue avec bonheur toute la splendeur mythique du poème, et le miracle est que le critique se fasse ici poète pour mieux éclairer l'objet de sa recherche et le sens de toute grande oeuvre de l'esprit. Aussi bien qu'un chef d'oeuvre critique, ce livre est un guide spirituel pour notre temps. » Henry Bouillier
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"C’est qu’en effet, si bien ajustés qu’ils soient dans le poème, ils y figurent moins pour fixer que pour durer que pour brûler, éclater, et en éclatant, dégager l’essence. Le privilège du langage sur toutes les autres matérialisations de l’esprit, c’est d’être si léger, si volatil, si inflammable. C’est un éther qu’une étincelle fait flamber. Au-dessus du corps du poème volent au moindre souffle les filles du feu, les volutes du désir. Cet holocauste des mots brûle dans la parabole du vieil Orient, la parabole du papillon qui disparaît dans la palpitation de la flamme – éblouissement où le désir s’extériorise et s’intériorise dans la même seconde."
« Chose d’âme (*) ou chose d’imagination (**), voilà pourquoi la poésie enveloppe mille contraires, est tissue d’ambiguïtés et d’antinomies (car tout ce qui est de l’imagination ou de l’âme est un mixte). La poésie charrie les inconciliables et les concilie ; elle avance continuellement sur les lisières de l’impossible. Elle découvre dans l’imaginaire la manifestation de l’être ; elle s’égare dans la dialectique de l’éros, tantôt pleine de défis orgueilleux, tantôt cédant à des extases d’humilité. Elle est médiation toujours espérée, toujours fuyante. Elle part à la découverte du réel absolu et n’obtient qu’une seconde de tangence éblouissante. Tantôt elle rêve et chevauche le tourbillon des apparences, tantôt elle nous comble de plénitude. Etonnante nature, celle du poème et si peu naturelle ! Il mêle la paresse et la folie érotique au génie sévère du travail, le retrait où la conscience se sépare des choses et l’élan de participation qui la fusionne avec elles, l’activité et la passivité, le songe et le calcul, l’absence et la présence, le goût de la vie sauvage et l’extrême raffinement. La poésie révèle la fécondité de la négation, la vie spirituelle qui sort de la mort. Elle ouvre les espaces d’une pensée où le même et l’autre se rejoignent, où l’un et le multiple ne sont plus séparés, où le jour et la nuit cessent d’être contradictoires. Tout grand poème est ainsi une testimoniale de la situation totale de l’homme : il est le lieu où les énergies de l’univers montent vers le langage. C’est l’honneur de la poésie, en notre temps, que de mener cette aventure impossible qui veut, malgré tous les interdits, transformer notre être-là d’un jour en une parole lumineuse axée sur quelque éternité. A la pointe de notre culture elle pose tous les problèmes, - sans y apporter d’autre solution que le poème lui-même. Mais c’est bien ainsi. Tenons donc le poème moderne à la fois pour une énigme et pour une des situations les plus révélatrices et les plus éclairantes de la condition d’homme. »
Gabriel Bounoure 1958
(*) Jouve
(**) Breton