Extraits :
" de la confrontation entre les langues j'ai appris ceci : le mot n'est pas unique ni univoque, le mot n'est pas solitaire, le mot n'est pas individuel. Il est collectif. A la limite ou idéalement, il rassemble en lui tous les autres.
Qu'on essaie d'en creuser un, et l'on constate qu'il y a quelque chose en commun avec un autre et cet autre à son tour avec un autre, comme chaque individu se retrouve chez son voisin et celui-ci chez un autre voisin. L'onde de partage se propage à travers tout le vocabulaire, les mots s'allument au contac les uns des autres, chaque texte est une traînée de poudre.
Le mot ne prend sens qu'en relation ou en opposition avec ses congénères. Le travail de l'écrivain consiste à l'insérer dans un ensemble de manière à faire reconnaître la plénitude de toutes ses significations réunies, ou au contraire à en isoler la nuance la plus précise, en révéler la nuance encore inédite.
La poésie est le genre qui pousse le plus loin cette double tentative. La traduction aussi, à un moindre degré.
La poésie doit être rencontre : rencontre entre les mots, mais surtout avec le vif, le caché ou l'inconnu. Tant de poèmes glissent à la surface. Ce sont des nénuphars, des ornements plus ou moins sophistiqués : le grand étang et sa ruine de nénuphars (Wallace Stevens encore) fleurissant à la surface d'une eau où l'on peut naviguer sans risques, promenade sur un lac, pure rhétorique qui flatte des goûts développés par la tradition ou un odorat que titillent les effluves dans le vent. La poésie est révélation. Emily Dickinson emploie le terme de "révélateur" pour décrire le poète : "D'images, le Révélateur / Le poète - Lui et nul autre -"
Claire Malroux in " traces, sillons " ; José Corti éditeur, 2009
L'auteur - écrivaine et poète - y parle de ses plaisirs de lectrice, d'écrivaine et de traductrice :
" Traces. Ce sont, avant de devenir le mot associé de René Char et pour ainsi dire la signature de tout écrivain, les empreintes laissées par une bête sauvage, loup traversant un bois, ou les marques semées par un être humain afin, non seulement de se repérer dans l'univers obscur, mais de retrouver le chemin de retour aux origines. L'écrivain en même temps qu'il crée les siennes, déchiffrent celles qui jalonnent la littérature. Il creuse ainsi des sillons, cherchant sous la végétation qui a levé au passage l'élan initial profond imprimé en lui, sa permanence, son mystère.
A ces deux dimensions, lire et écrire, d'une même poursuite, j'en ai joint une troisième qui m'est familière : traduire. Chacune de ces activités faisant écho aux autres, j'ai adopté la forme du journal qui les mêle intimement, en me fiant à l'apport par ailleurs indispensable des rencontres et du hasard." (Quatrième de couverture) C.M.