Moi qui ai toujours rêvé d'être alpiniste, d'abord parce que jadis j'aimais ce type d'effort là, j'aimais l'escalade aussi et, enfant, j'étais le roi pour sauter de gros caillou à gros caillou ; en outre la montagne, ces paysages hallucinants, cette solitude des pierres et cette lumière d'une grande pureté; les changements rapides de paysages pendant l'ascension et les déserts de pierre, de glace, de neige là haut...
Bref tout cela est loin maintenant ; alors je lis les récits de montagne parfois (ou du moins où la montagne est là)... / après l'excellent "L'homme des hautes solitudes" du puissant James Salter, déjà chroniqué ici, je viens de lire "Une ascension" de Ludwig Hohl - auteur (suisse allemand) qu'aimait Nicolas Bouvier.
Ce texte écrit en 1926, puis réécrit 4 fois jusqu'en 1940 ne sera publié finalement qu'en 1975 et en 1980 pour la langue française. Prix Robert Walser.
On a souvent comparu ce livre au "vieil homme et la mer", c'est à dire un livre parabolique. Je ne m'étendrai pas sur l'histoire et sa conclusion / en ce sens ne lisez pas la quatrième de couverture toujours trop bavarde !
Simplement le plaisir d'avoir un petit "grand livre", avec une description merveilleuse de la montagne, de ses paysages, de ses dangers, des efforts humains pour les dompter, voire la résignation devant l'impossible à accomplir.
Un écrivain surtout connu pour "Notes" et pour tous les aphorismes qu'il écrivait ici ou là, mais ce petit roman est diablement bien ficelé / En définitive, on a le destin que l'on doit avoir, que l'on soit lâche et peureux ou que l'on soit conquérant et hardi. La montagne - le troisième personnage - ne fait pas de cadeau.
Glacial était le vent : quant au temps, on ne pouvait pas dire qu'il était beau ! D'épais nuages, virant vers le gris et le bleu-noir, planaient bas dans le ciel tout autour, les pentes austères dont les détails gagnaient en acuité à vue d’œil, formaient au premier plan une masse de bronze, s'échappaient sur les flancs dans l'espace inconcevable des profondeurs et des lointains, et se perdaient vers le haut dans les replis grisâtres d'une brume fuligineuse, pas une perspective ne s'ouvrait librement vers les sommets, et pourtant, tout attendait là-haut : le roc, le glacier et les crevasses, les cheminées obscures, les terribles tempêtes et les efforts monstrueux…
On voyait seulement, à la verticale, des lambeaux de ciel pâles et minables, piqués d'une étoile amoindrie la masse noire de la montagne, emportée par le bouillonnement de ces nuées formidables, atteignait d'invraisemblables altitudes là-haut, pas une crête sur un fond de ciel clair dont les pointes libres ne se détachent comme un appel : gigantesque, le corps de pierre de la montagne gisait là, conjugué avec l'éternité, l'univers était une chaudière fumante, terrifiante, inhumaine, et la voix d'Ull était la seule à appeler. L.H.