Certaines choses
Nous entourent « et les voir
Equivaut à se connaître »
George Oppen
"Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous
prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr." Nicolas Bouvier
« La poésie vient vers nous, on ne sait d’où, et elle nous quitte, allant vers on ne sait quel au-delà. Mais en passant, elle nous laisse des mots et elle nous fait des signes dont l’interprétation est inépuisable. » Gabriel Bounoure
" Avec tes défauts. Pas de hâte. Ne va
pas à la légère les corriger. Qu'irais tu mettre à la place ? " Henri Michaux
"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen
Jean Vasca est mort dans la nuit du solstice d'hiver à 76 ans, là en 2016...
Lui qui utilisait Cocteau pour définir la poésie...
(https://www.youtube.com/watch?v=kTBpZuJrOsc)
"Demandez à un poète de définir de poésie, c'est un peu comme si vous demandiez à une fleur de parler d'horticulture..."
Un des bons amis de Jacques Bertin, ce dernier consacrant un beau CD au "club des cinq"...
Jacques Bertin est le dernier de cette bande de joyeux zouaves qui cherchait à inventer "une autre chanson", loin du showbiz et des médias.En pleine amitié.
Jean Vasca laisse une trentaine de CD, une dizaine de recueils de poésies. Il est le seul avec Jacques Bertin a avoir eu de son vivant un CD de la célèbre collection "POETES & CHANSONS" (chants Vasca et Ogeret)(EPM 2005©)
Bref un "poète-chanteur" lui aussi d'une force peu commune et si ignoré du grand public...
Il a également travaillé avec des arrangeurs de génie : Michel Devy, Robert Suhas ou Rosso (Brassens).
Comme Bertin, la rencontre avec Luc Bérimont fut déterminante.
Une de mes chansons préférées
datant de 1970, le temps passe comme on dit...
ici magnifiquement chantée par Marc Ogeret
les youtube de Vasca semblant avoir disparu pour la plupart...
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NOUS N'AVONS DE CHATEAUX
Nous n'avons de châteaux qu'engloutis en nous-mêmes
La musique du siècle bourdonne à nos oreilles
Les moteurs de la mort échauffent en nous leurs bielles
Et nous cherchons en vain de nos destins l'emblème
Nous n'avons de châteaux qu'en de lointains pays
Entre l'ennui de vivre et les métamorphoses
Etre voleur fu feu ou complice des roses
S'incarner à genoux ou bien n'être qu'un cri
Nous n'avons de châteaux qu'en notre solitude
Les hommes sont dehors avec les poings fermés
Et l'amour nous fait signe avec ses yeux crevés
Des ombres des rumeurs sous d'autres latitudes
Nous n'aurons de châteaux qu'au delà de nous-mêmes
Dans l'espace gagné où perce enfin réelle
Cette étoile impossible qui nous écartèle
Nous n'aurons de châteaux qu'au delà de nous-mêmes
Bon Noël à vous tous les aminches, copines, frangins et frangines, poteaux et vieilles branches et autres zigs...
Que ces journées de "fêtes" à venir soient douces en vos coeurs ! je bois un coup à vous tous et toutes !
MARCO
"Un hêtre vous manque et tout est peuplier."
Raymond Queneau
Mes petites amoureuses 1871
Un hydrolat lacrymal lave
Les cieux vert-chou
Sous l'arbre tendronnier qui bave,
Vos caoutchoucs
Blancs de lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !
Nous nous aimions à cette époque,
Bleu laideron !
On mangeait des oeufs à la coque
Et du mouron !
Un soir, tu me sacras poète,
Blond laideron :
Descends ici, que je te fouette
En mon giron ;
J'ai dégueulé ta bandoline,
Noir laideron ;
Tu couperais ma mandoline
Au fil du front.
Pouah ! mes salives desséchées,
Roux laideron,
Infectent encor les tranchées
De ton sein rond !
Ô mes petites amoureuses,
Que je vous hais !
Plaquez de fouffes douloureuses
Vos tétons laids !
Piétinez mes vieilles terrines
De sentiment ;
- Hop donc ! soyez-moi ballerines
Pour un moment !...
Vos omoplates se déboîtent,
Ô mes amours !
Une étoile à vos reins qui boitent
Tournez vos tours !
Et c'est pourtant pour ces éclanches
Que j'ai rimé !
Je voudrais vous casser les hanches
D'avoir aimé !
Fade amas d'étoiles ratées,
Comblez les coins !
- Vous crèverez en Dieu, bâtées
D'ignobles soins !
Sous les lunes particulières
Aux pialats ronds,
Entrechoquez vos genouillères,
Mes laiderons !
Ce bien beau poème a été remarquablement mis en musique et chanté par Léo Ferré
même s'il n'a choisi que quelques strophes...
Arrangements Jean-Michel Defaye...
Ce disque Verlaine-Rimbaud est un bijou d'adaptation ! sans doute le disque que j'ai le plus écouté...
à la vie : que suis-je modeste ou inapte ?
LE GRAND COMBAT
Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupéte jusqu'à son drâle ;
Il le pratéle et le libucque et lui baroufle les ouillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine... mais en vain
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé !
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret.
Mégères alentours qui pleurez dans vos mouchoirs;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et on vous regarde,
On cherche aussi, nous autres le Grand Secret.
"Qui je fus", 1927, Gallimard
Aragon bien sûr est un monument, j'ai beaucoup lu de ce Louis-là, romans et surtout poésies, de cette poésie multiple, métrique ou non, toujours lyrique, toujours puissante.
Voici un de mes poèmes préférés :
"Medjoûn" :
Et je suis là debout
Dans ce qui somme toute
Ne fut que ce qui fut
Près d’une fontaine au coin d’une rue
Ou dans un jardin délaissé
Je ne serai que ce que je suis
Je n’aurais jamais été que ce que je fus
Rien d’autre seul
Inutilement seul et déchiré de mon rêve
Oh si cela pouvait saigner un rêve où se fait la déchirure
Mais non cela vous est emporté
Sans qu’on puisse dire où se fait le mal
Sans qu’on puisse avec son doigt
Vérifier la blessure et le sang
Va-t-en comme si l’on t’avait arraché la langue
Et les membres
Et pourtant tu marches tu parles tu sembles n’avoir en rien changé
Les autres ne voyant ton infirmité te bousculent sans ménagement
Tu as si mal
Que tu ne peux crier ni pleurer ni gémir
Si mal
Que tu te conduits comme tous les passants
Retombe dans le monde machinal
Où tout semble n’avoir que son but apparent
Limité médiocre
Et ce sera l’heure de manger ou celle de dormir ou celle
A la fin qu’elle vienne
Qu’elle vienne à la fin
Qu’elle vienne
Ah ce retard d’elle à venir m’égorge
Je suis la bête où le couteau pénètre inexorablement
Mais si lentement
N’aurez-vous pas l’humanité au moins de le repasser ce couteau
Qui coupe si mal ébréché sans doute
Aiguisez je vous en supplie un peu le couteau pour mieux m’achever
On ne me fera donc grâce d’aucun détail de la douleur
D’aucune cruauté de l’acier
La peau les muscles les nerfs le cartilage
Vous me tuez ignoblement vous me tuez à petit feu
Vous me laissez pourquoi me laissez-vous le temps de repenser
A cette femme qui m’est enlevée
Comme si vous nous aviez surpris saisi départi dans l’amour
l’un de l’autre
et je vous crie ô bourreau je vous crie
Attendez au moins que je meure d’elle que je meure en elle
Comme une clameur
Ce poème était lu magistralement par Marc Ogeret dans le 33 tours "Ogeret chante Aragon", VOGUE SLVLX 675. Ogeret sur ce microsillon disait 4 poésies toutes retirées (??) de la version CD que l'on trouve maintenant. Bien dommage.
Commentaire d'alex Costloulas, Athènes :
Un chant grandiose a une histoire particulière, celle de L'Espagne Arabo-Andalouse. A travers ces pages défilent les thèmes comme L'histoire, la poésie sous diverses formes, la philosophie Arabo-andalouse, L'épopée du dernier grand roi Maure (Mohamed XI dit Le Boabdil)et surtout L'Amour Fou( C'est si peu dire que JE T'AIME). Cet Amour pour la Ville de Grenade (La veille où Grenade fut prise) mais surtout la celebration amoureuse à celle qui naitra quatre siecles après: Elsa Triolet (Je nomme Present ta presence). Le poète, ici en troubadour-prophète a des visions de la femme parfaite. Il est donc nommé Medjoûn (C'est à dire fou) par son entourage car il s'aventure à écrire des chants d'amours alors que ses compatriotes n'entendent plus rien à l'Amour-Passion, puisque Grenade est en train de vivre ses derniers jours de gloire. Aragon utilise là plusieurs procédés poétiques dont la prose, le verset et le style des chants de l'époque (Les Zadjals). Un Aragon géant à ne pas manquer. Un des sommets de la poésie française!
"Comment puis-je commencer quelque chose de nouveau avec tout cet hier à l'intérieur de moi-même ?"
Leonard Cohen
Il est rare que je relise un livre juste après l'avoir fini. La chute de Camus ou mes deux mondes de Chejfec ou pseudo d'Emile Ajar avaient eu droit à ce traitement, on peut rajouter maintenant l'extraordinaire livre de Mario Benedetti.
Ce dernier (journaliste, poète, romancier, dramaturge et professeur à l'université) est l'un des très grands d'Amérique du Sud (Uruguay) et sa vie pleine de tragédies et d'exil est elle même un roman...
Quién de nosotros est paru à Montevideo en 1953, il s'agit de son premier roman.
Il s'agit là - encore une fois - de parler des relations d'un couple ; un couple à 3 ? Un sorte de Jules et Jim, mais plus sombre, plus angoissant, plus solitaire, plus introverti. Et de 3 genres littéraires : un journal intime, puis une longue lettre, puis une nouvelle littéraire avec notes - le procédé est intéressant et cerne bien les psychologies des personnages.
1- Miguel parle longtemps - écrit plutôt - car il s'agit d'un journal intime. Son journal dure une bonne moitié du livre : il se trouve incompétent, lâche, manquant d'ambition et donc ne mérite pas l'amour d'Alicia. Amis depuis l'adolescence, finalement Miguel épousera Alicia, mais il juge son mariage durement et ne comprend pas pourquoi Alicia l'a choisi lui, lui le médiocre par rapport au fantasque et brillant Lucas. Finalement il choisira 11 ans plus tard devant cet ennui commun et cet échec de jeter Alicia dans les bras de Lucas estimant que c'est ce qu'il a de mieux à faire.
2- Alicia écrit une lettre qui explique pourquoi elle part avec Lucas. Elle met les choses au point et explique clairement pourquoi elle avait choisi Miguel. Elle ne parle pas d'échec à propos de son mariage mais d'un "succès gaspillé", formule terriblement efficace !
3- Lucas est écrivain, visiblement quelqu'un de brillant, mais aussi un introverti, un silencieux, un "intellectuel" rêveur ; lui, c'est par une fiction littéraire extrêmement intellectualisée et bourrée de notes (celles-ci d'ailleurs pourraient être "la vraie vie") qu'il explique les choses et parle de ses deux amis et d'Alicia.
Le procédé du livre est incroyablement génial et réussi ; la prose est parfaite et très moderne. On est fasciné par ces trois approches si différentes et si proches pourtant, reflétant encore une fois les difficultés de compréhension dans le couple et même dans l'amitié qui est bien sûr une autre forme d'amour. Le livre est court (120 pages), il se lit pleinement d'une traite tant on est pris dans ce triangle amoureux mais bancal et dans cette valse des sentiments. Bref il est dur d'aimer, mais bien sûr, nous le savions déjà, Mario Benedetti nous le redit avec habilité, intelligence et grand talent. A lire absolument !