Il n'y a que deux amers qui comptent : les amours qui sont plurielles et la solitude pour soi-même.
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Certaines choses
Nous entourent « et les voir
Equivaut à se connaître »
George Oppen
"Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous
prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr." Nicolas Bouvier
« La poésie vient vers nous, on ne sait d’où, et elle nous quitte, allant vers on ne sait quel au-delà. Mais en passant, elle nous laisse des mots et elle nous fait des signes dont l’interprétation est inépuisable. » Gabriel Bounoure
" Avec tes défauts. Pas de hâte. Ne va
pas à la légère les corriger. Qu'irais tu mettre à la place ? " Henri Michaux
"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen
Il n'y a que deux amers qui comptent : les amours qui sont plurielles et la solitude pour soi-même.
«Ne jamais rien faire d'autre que de raconter une histoire.»
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Je vous ai déjà dit tout le bien que je pensais du roman atypique de Christoph Ransmayr, "les montagnes volantes" ; un de ses autres romans (le troisième) écrit bien plus tôt et tout aussi déroutant est tout aussi majestueux : Le syndrome de Kitahara (prix Aristeion 1996 - ex aequo avec Salman Rushdie). Après avoir été chroniqueur culturel, depuis 1982 il ne fait plus qu’écrire et ces romans sont malheureusement bien trop rares.
La Quatrième de couverture dit :
« Deux morts gisaient noirs, en janvier, au Brésil. Un feu qui bondissait depuis des jours à travers une île sauvage, laissant derrière lui des laies carbonisées, avait libéré les cadavres d'un entrelacs de lianes fleuries, dévoilant également des blessures sous les vêtements brûlés : c'étaient deux hommes à l'ombre d'une saillie rocheuse. Ils étaient étendus, invraisemblablement désarticulés, à quelques mètres de distance seulement, entre des tiges de fougères. Une corde rouge qui les reliait l'un à l'autre se consumait dans la braise. »
Fascinant, flamboyant, hors du temps, Le Syndrome de Kitahara, qui renvoie sans cesse au passé halluciné des crimes nazis, s'inscrit dans l'ère mythique de l'éternel recommencement des guerres et des paix planétaires. Laissant filtrer les lueurs fantasmagoriques d'un véritable crépuscule des dieux, ce roman — Prix européen de littérature (Aristeion 1996) — marque l'apogée de l'oeuvre littéraire entreprise par Christoph Ransmayr avec Les Effrois de la glace et des ténèbres (1984) et Le Dernier des mondes (1988). Sans doute le plus grand livre de la littérature allemande depuis Le Tambour de Günter Grass.
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Comme j'ai souvent du mal pour parler des romans que j'ai aimés, et particulièrement de celui-ci, mélange de guerre post-apocalyptique et d'uchronie ; les destins de trois personnages bien distincts mais bien réunis par un destin commun et funeste pour deux d'entre eux ; je préfère vous livrer ici quelques lectures trouvées sur le net ; que les vols de ces critiques et mots me soient pardonnés... Bonne lecture again !
" Ici reposent onze mille neuf cent soixante-treize morts, tués par les natifs de ce pays. Bienvenue à Moor. " Dans le monde dévasté où nous jette ce roman visionnaire, apocalyptique, règne une pax americana imposée par les bombes et les humiliations. Parce que leur village fut un lieu d'extermination nazie, les habitants de Moor expient éternellement, contraints à mimer chaque année des crimes qu'ils ne veulent pas reconnaître, uniquement préoccupés de survivre. Bering, le forgeron, né sous les bombardements, est l'un d'entre eux. Il s'est pris d'un étrange attachement pour Ambras, un ancien déporté, un vainqueur, certes, mais brisé par des souvenirs atroces. Ces deux errants n'ont d'autre choix que de reconstruire quelque chose qui ressemble à un ordre social. Mais une paix ainsi imposée peut-elle engendrer autre chose que le désir de vengeance et de guerre ? On a pu comparer au Tambour, de Günter Grass, cette œuvre où les tragédies de l'histoire se surimpriment, à chaque page, aux visions d'un monde futur, soumis au nom du bien à un tyrannique juge suprême du nom de Stellamour. Après Le Dernier des mondes, cette nouvelle œuvre confirme la place de premier plan de son auteur, un Autrichien né en 1954, dans la jeune littérature européenne.
Après la Seconde Guerre mondiale, mais qui aurait duré trente ans, dans un cadre dévasté en dégradation constante, trois destins s'affrontent. Roman onirique et métaphorique aux personnages archétypiques.
Par GAUDEMAR Antoine de
Le «syndrome de Kitahara», qui donne son titre au troisième roman
traduit de l'Autrichien Christoph Ransmayr, serait une affection oculaire provoquant des taches plus ou moins envahissantes dans la vision: une sorte de «trou dans l'oeil», imaginé par l'écrivain et touchant des soldats épuisés par l'affût, des vigiles épuisés par leur veille, mais aussi des gens aveuglés par la haine. S'ils survivent, ces malades deviennent rarement aveugles, il suffit que la tension baisse et avec le temps, ils recouvrent peu à peu l'intégralité de leur vue. Le jeune Bering, le héros du roman de Christoph Ransmayr, souffre de ce syndrome. Il a de quoi. C'est un enfant de la guerre, né après les combats mais dans un pays comme «retombé à l'âge des volcans»: «La nuit, le pays flamboyait sous un ciel rouge. Le jour, des nuages de phosphore aveuglaient le soleil et, dans des déserts de gravats, des hommes sortis de leurs cavernes chassaient pigeons, lézards et rats. Il tombait des pluies de cendres.» Dans ces contrées ravagées répondant au sinistre nom de Moor, les rescapés réapprennent à vivre dans l'expiation alors que les six armées victorieuses font de ce bout du monde leur terrain d'occupation et d'expérimentation favori. Au milieu de ce tohu-bohu, Bering n'a qu'un rêve: devenir un oiseau, s'envoler. Des années plus tard, avec son maître et une belle Brésilienne, il réussira à s'extirper de son cauchemar quotidien, et à partir de l'autre côté de l'océan, vers le Brésil de tous les mirages, où l'attend son destin.
Comme les précédents romans de l'auteur (le Dernier des mondes, les Effrois de la glace et des ténèbres), le Syndrome de Kitahara peut se lire comme une fable sombre et lyrique, aux accents apocalyptiques, sur la vieille Europe centrale et ses démons. Le monde crépusculaire et néo-concentrationnaire de Moor est d'inspiration fantastique mais parfaitement plausible: issu tout droit des horreurs du nazisme, il propose une vision mythique et sans espoir de l'Histoire, en proie à des forces maléfiques dont l'homme est l'incessante victime. Avec un souffle certain, parfois démonstratif, l'auteur semble craindre le retour des pires abominations, comme si les hommes, à l'image de son héros innocent et tragique, avaient encore le regard - et la mémoire - obscurcis par trop d'inquiétantes taches noires.
Né en Haute-Autriche en 1954, fils d'instituteur de village, propulsé vers le succès dès son coup d'essai (le Dernier des mondes, traduit en vingt-six langues), Christoph Ransmayr a fait des études de philosophie et d'ethnologie à Vienne, avant de se lancer par hasard dans le journalisme: essentiellement des reportages issus de ses voyages aux quatre coins du monde, du Spitzberg au Népal. «Ce sont ces voyages qui ont nourri ma veine narratrice», expliquait-il lors d'un récent passage éclair à Paris. «J'ai beaucoup marché sur chaque continent, surtout en Asie, car le rythme de la marche est celui qui convient le mieux au narrateur d'histoires. La plupart du temps, je ne comprenais rien à la langue mais la marche me faisait tout oeil et tout ouïe. A mon retour, longtemps après, le voyage commençait à parler en moi. Cette expérience est devenue, presque à mon insu, le sens de ma vie. C'est comme si je renouais avec un besoin archaïque, celui du conteur. Seule la lecture à haute voix, seul ou devant un petit cercle d'amis, me donne l'assurance et l'énergie nécessaires à la poursuite de mes entreprises. Mais, bien qu'indissociables, le monde réel et celui de l'imaginaire ne sont pas identiques. La guerre à Moor n'est pas la Deuxième Guerre mondiale, le camp de Moor n'est pas Auschwitz, même si le récit ne peut naître qu'à partir d'une certaine expérience du monde. En revanche, j'ai nommé le Brésil, car pour beaucoup d'Européens comme moi, c'est un lieu mythique, d'utopie fabuleuse, et de tous les paradoxes: où voit-on mieux qu'au coeur de ce paradis - où se sont enfuis victimes et bourreaux de l'Holocauste -, la violence de la pauvreté, l'épuisement des ressources et des paysages, l'invraisemblable répartition des richesses? En ce sens, le Brésil est le pays de l'écriture et je ne serais pas ici si je ne pouvais y partir à tout instant.»
Ils ressemblent à ceux de la rive la plus rude du lac de Traunsee. C'est là qu'on trouve les carrières d'Ebensee.
Un jour, alors que l'enfant avait 10 ans, son père amène la classe en excursion dans ces carrières. Ils traversent le lac aux eaux claires. De l'autre côté, il raconte aux enfants l'histoire d'Ebensee. «Ce fut l'un des pires camps de travail nazi, dit Ransmayr. On fit construire aux prisonniers d'immenses tunnels pour y cacher les fusées de Von Braun, ce criminel. Elles n'arrivèrent jamais. Ce n'était pas un camp d'extermination, mais le taux de mortalité était supérieur à celui d'Auschwitz.» En 1995, Ransmayr publie le Syndrome de Kitahara. Le roman s'inspire du camp d'Ebensee. Le village de Moor est occupé par les libérateurs. L'officier américain oblige les habitants à reproduire les cérémonies du camp, dans le rôle des victimes, mais en leur donnant des habits et des couvertures. Il les fait maçonner et crépir sur les parois des lettres «au garde-à-vous dans la carrière, grandes, grossières, recouvertes d'un crépi blanc, des lettres visibles de loin, au garde-à-vous comme les soldats disparus de Moor, au garde-à-vous comme les colonnes de prisonniers à l'appel, comme les vainqueurs sous leurs étendards levés en signe de triomphe». Et comme les bannières tibétaines dans les vallées perdues. Le roman est dédié au père de Ransmayr, mort juste avant sa publication. L'autre dédicataire est le premier éditeur américain des livres de Ransmayr. Le père de cet éditeur était un Juif viennois. En fuyant les nazis, il jura de ne plus jamais prononcer un mot d'allemand. L'éditeur arpenta Vienne pour la première fois en compagnie de Ransmayr. Il s'appelle Fred Jordan, mais l'écrivain a dédié le roman à son nom autrichien, Fred Rotblatt. Ransmayr écrit souvent dans un petit chalet isolé, au sommet d'une montagne dominant le lac de Traunsee. La littérature est un pays lointain.
Antoine de Gaudemar
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Autre magnifique analyse trouvée sur le net de Joël Vincent :
Pour l'exemple, à Matthausen, en février 1945, ajoute Menasse, cinq cents prisonniers qui tentaient de s'évader ont presque tous été assassinés par des riverains...
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C'est précisément à côté de ce camp de concentration que Ransmayr situe le lieu de son dernier roman, Le Syndrome de Kitahara. Près des carrières de granit exploitées par les détenus, le village de Moor, après la défaite, subit la présence des troupes américaines. La population, pleine de ressentiment, humiliée et rageuse, se voit contrainte de «singer» le travail des anciens détenus et de participer à des pélerinages, placés sous le signe de l'expiation, organisés par les américains. Et cela alors que les marques de la civilisation refluent tout autour : retour à la bougie, aux coquelicots qui envahissent tout, aux bandes armées, aux meutes de chiens errants ; on est presque à l'âge de pierre, dans une sorte de nulle part, de ìrienî qu'un critique a nommé le «monde pétrifié».
Face à ce monde qui vient de s'effondrer, ó monde des camps, des meurtres massifs et programmés, de la bombe atomique ó tout l'art de Ransmayr est de contourner cet univers et de présenter une réalité insoutenable par le biais d'un récit allégorique.
Le premier personnage du roman est Bering, dont le père, qui a fait la campagne de Libye, est devenu une véritable loque humaine. Né sous un bombardement, Bering passe les premiers mois de sa vie dans le noir, au milieu des poules caquetantes. Il se sent presque oiseau. Le martèlement de la forge, l'obsession de la lumière émanant du poste à souder, font de lui un être d'une grande acuité sonore et rêvant d'objets de lumière arrachés à l'obscurité. Peu à peu s'installent en lui des marques de pouvoir : une vieille voiture américaine, une Studebaker, passée entre ses mains, prend la forme d'un oiseau, elle devient la ìCorneilleî ; il maîtrise la meute de chiens ; il invente des objets métalliques... Mais ses épreuves surmontées ne le mènent à rien. Un trouble de la vision, un trou noir, quelque chose de morbide en tout cas, l'empêche d'accomoder les formes du réel. Quand il fait trop d'effort pour essayer de mieux voir, le trou noir s'élargit : la réalité n'est pas élucidable. Il est atteint de la maladie de Kitahara, d'après le nom d'un médecin japonais qui a décelé chez certains de ses contemporains la présence de formes mouvantes, d'intumescences, dans l'oeil. Même s'il entrevoit parfois le début d'une nouvelle humanité, notamment dans ses relations avec Lily, cela devient vite un rêve impossible. Ne pouvant donc percer l'opacité des choses, il vit entre deux mondes, à un niveau infra-conscient, ressassant compulsivement des images archaïques de masses flottantes, de désirs d'oiseaux, qui le ramènent à son origine. Peut-être est-ce alors au lecteur de poursuivre ce parcours initiatique, et de degré en degré, de manifester l'existence de quelque chose qu'on appelle la ìconscienceî ?
Le second personnage du livre est Ambras, chez qui le temps s'est figé le jour où l'on a arrêté sa compagne juive. Déporté à la carrière pendant la guerre, il vit maintenant, insaisissable, lointain, peu sensible à ce qui est humain, au milieu d'une meute de chiens. En observant des inclusions organiques, images secrètes, intemporelles du monde, sorte d'ambre refermant des insectes englués, on dirait qu'il remonte le temps, à la recherche d'une pureté originelle. Ambras perçoit encore l'odeur des fours, des morts qui partent en fumée. Il a des visions de sang. Il se sent déjà mort, comme ìcouléî dans la carrière.
Enfin il y a Lily, la chasseresse, hautaine et solitaire, au passé de souffrances (son père, un officier SS, a été reconnu et pendu par d'anciens détenus) qui apparaît aux habitants comme une princesse païenne, sortie d'une Bible d'images : peut-être incarne-t-elle Lilith, la première Ève. Elle seule rêve encore à un avenir possible, en regardant souvent une vieille carte du Brésil, en espérant dans cet ailleurs exotique.
En passant d'une réalité à une autre, des montagnes aux basses-terres, le récit de Ransmayr entre dans un temps différent. Dans la plaine, occupée aussi par les américains, ce sont les lumières trop aveuglantes de la ville, la grande consommation, l'opulence, la vitrine électronique qui présente le monde sous la forme de l'illusionnisme : sur les écrans les événements sont édulcorés, nivellés ; le champignon atomique de Nagoya est devenu un spectacle comme le reste, alors pourquoi ne pas le reculer de vingt ans ?
Bering, Ambras, Lily, comme des ombres fantomatiques, fuient vers une autre terre, le Brésil. Ils y découvrent d'anciens camps, des traces de souffrances vécues par d'autres. Partout où l'on va, le fil invisible du destin paraît conduire aux mêmes cataclysmes. Le monde est un abîme sans fond, sans espoir d'horizon. Peut-être pour Lily, qui regarde ailleurs, reste-t-il une lueur dans la vision tragique de l'écrivain ? Ransmayr semble en effet nous ramener toujours aux mêmes questions : pourquoi il y a-t-il des camps ? des crématoires ? le secret se cache-t-il dans les zones obscures du champ visuel de Bering, dans son monde troué ?
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L'écrivain ne peut pas tenir tous les fils de sa propre histoire. La littérature est pour lui un détour, une fiction heuristique, aidant à comprendre ce que nous vivons. En sachant bien, que le langage reste quelque chose de fragile, et, comme le dit Pascal Quignard, qu'il «n'est pas inné en nous, que nous l'avons acquis et que nous pouvons le perdre, que la pensée est presque une musculation physique». La littérature a donc pour tâche d'élucider, si possible, les points de rupture de la raison, là où celle-ci n'entretient plus le dialogue nécessaire avec la nature et ses métamorphoses, mais se travestit en vérité unique, en folie meurtrière, ou bien s'allie avec des forces irrationnelles ou avec la plus simple bêtise. Ainsi pour Ransmayr, l'humain est encore à venir.
Joël Vincent
G. Manset était (est) un formidable auteur, chanteur, compositeur ; il a laissé une grande quantité de titres tout aussi splendides les uns que les autres ; en outre une certaine atypie et un refus des modes du moment (télévision, médias, scène...) le rendaient éminemment sympathique. "Vies monotones" (1984) n'est pas la chanson la plus gaie de l'artiste, mais je l'aime particulièrement, en outre elle est cruelle dans sa lucidité...
Vies Monotones
finalement j'ai décidé de quitter ma coquille
( un peu à regret )
pourquoi la vie commence
pour se finir si tôt se dit Jean le revolver à la main
dehors l'air est clair et le vent léger
derrière les vitres sales les grands arbres semblent eux aussi immensément tristes, bras ballants
leur déplacement est lugubre et les sereines couleurs d’automne paraissent du sang figé, rouillé, calciné
Il a tant foulé cette colline aux bois
Le petit bois de Monts on l’appelait
Et sa musique est infiniment triste
à l’enfance on le parcourait en courant et en se chronométrant
le père parfois tendait des fils entre les arbres et nous sautions pleins de vie
oh ! pleins de vie
plus tard seul à l’adolescence ce serait des gymkhanas avec le 102 Peugeot
encore ensuite une petite moto de cross légère et vivace
puis les Bois – comme la vie douce – disparut
Rues, routes, goudrons, maisons, jardins : tout fut nivelé
on donna des noms à des lieux sans nom
alors il est là dans un bosquet l’arme à la main et dont il sent parfois le bout du canon contre la tempe
oh ! en finir
Je ne suis plus fait pour dérouler ce fil
Ariane a tout trop compliqué
et ma tristesse est infinie
et pourtant quelle liberté !
A l’heure des 20 ans retrouvée : quelle liberté ! ces traversées la nuit dans son propre désert où je passais silencieusement tel le roi discret dans ma population endormie glissant féerique onirique
La batterie qui scande ce désert est ce jour comme des goûts de triste suicide
"La chose la plus importante est de se trouver une certaine indépendance vis-à-vis de la mort."
Laurent Terzieff
Qui déteste ce monde
se doit d'aimer
les fleurs de chardon
Masaoka Shiki
"Il est plus facile de mourir
Que d'aimer
C'est pourquoi je me donne le mal de vivre
Mon amour."
Louis Aragon
La mer m’effleure de tous ses doigts ; je rêve, illuminé par mes mensonges et mes peines ; les chants musicaux flottent insensiblement et les mouettes guettent les innocents noyés inattentifs
Quelques dériveurs plongent et ressortent, ruisselants d’aigue-marine, les essences marines et les nuages préparent leur migration ; quelques oiseaux crient – de joie – ou se heurtent aux fractures des cieux
Ma main se rapproche de la tienne, mais nous restons désunis ; les détours des réalités sont sombres et difficiles ; à ma lucarne, un phare et dehors, la mer ; les minutes du bonheur sont éternelles dans leur silence
Ces filles gracieuses sur la plage font vibrer le sable ; j’aimerais que ce phare écrive les mots d’amour que j’ai en tête ; leur innocence floue est du meilleur effet au soir qui arrive ; le soleil est terni et l’air manque
Passent des grands chevaux dans l’écume forte ; la mer reprend de la force et rugit ses animaux puissants ; l’air de rien, regarder ces paysages d’eau donne du cran et du vouloir vivre ; il y a de l’inspiration et des fuites
Le soir est triste sans ta présence ; la peinture éternelle, c’est le sombre sang, que ma belle fidèle fait couler depuis cent ans ; je ne sais plus d’où vient cette ritournelle ; je ne distingue plus tes maigres signatures ; il va faire nuit
Le sable bleu est mon étable ; manque juste le toit pour me boire ; les chevilles des jeunes filles sont blanches, fines, attirantes ; tu es comme la neige au printemps : un délice ; ton ventre plat et jeune tangue lui aussi des airs anglais
Tu es si belle que mon chat n’arrête pas de miauler ; mes mains tremblent ; je ne sais plus distinguer l’invisible et l’impossible ; tu es partie avec ton cou de cerise et tes mots à toi ; tout – comme des dominos – s’écroulerait alors
Mes isobares faiblissent ; le soir finit de tomber avec seul le silence de la mer immortelle ; cela hésite entre l’équilibre et la catastrophe ; je rêve de méduses géantes qui viendraient m’embarquer dans leur désastre d’eau
Le soleil est oblique et complice, j’hésite à savoir si tu existes, ton corps est une danse à lui seul ; pourquoi l’amour fait-il peur ? pourquoi brûler avec amour ? pourquoi mon corps est encore chaud dans cette attente ?
Pourquoi des lézardes – toujours – à l’horizon ? et cependant tu n’es pas morte, et dans l’ombre grandissante, c’est bien ton corps que je vois ; le crépuscule mange mes mots ; le soir tombe encore dans une paix douce
L’insonorité de mon cœur est totale et pourtant j’existe, ton corps à peine couvert est un lavis ; ta peau, une lavande, une bougie, un assemblage incroyable, un puzzle où chaque jour je travaille, quelque peu asservi
Les fêtes du soir sont là, comme un immense fessier du monde, des odeurs acres de sexe bleuis ; massivement beaucoup d’amour que chacun peine à exprimer ; je prône l’amour dans le sable au soleil couchant
J’aurais rêvé cet amour ? Existes-tu ? femme sauvage, sublimement ; musaraigne de femme tant ton corps est gracile ; comment pourrait-il enfanter ? toi, qui le veux tant ? je semble gigantesque dans ma maladresse
C’est le décompte de la journée qui coule, bientôt, je ne te discernerai plus ; cette danse foutue de ton corps girelle ; indépendante es-tu, alors que tu semblais si fragile ; tes chevilles sont les plus belles du monde et leur naissance, aussi
La plage est désertée, le sable est violet, ta silhouette printanière ; ton imago – enfin – illumine frontal ; et ton manteau une étole d’étoiles, silhouette découpée dans le noir brouillé ; seul à nouveau dans l’apathie de ma vie
Et toi, dans ce carnage, tu me dis « je rentre » « tu viens ? »
Tu apparais humaine, brutalement de nouveau
Et ma faiblesse d’enfant devient ma force : je tends la main
Et le soir est enfin tombé sur cette plage de l’Atlantique
Ton corps enfin jouxte le mien prêt à jouir, prêt à jouer
Boum fait le soleil dans l’eau, tu ris, je suis rassuré
Alors :
Pourquoi je pense aux morts lorsque tu me dis d’être heureux ?
" La meilleure façon de ne pas avancer est de suivre une idée fixe."
Jacques Prévert
J. Prévert par Brassaï, 1948
Mon ami poète roumain, Nicolae Coande, http://ro.wikipedia.org/wiki/Nicolae_Coande, m'envoie quelques poèmes à nouveau, toujours aussi bien écrits et résonnants ; il n'a pas pu cette année se déplacer au Salon du Livre où son pays était représenté ; mais il a eu la confirmation qu'enfin certains de ses poèmes allaient paraître dans une traduction française ! Bravo à lui !
ci joint deux poèmes que j'apprécie particulièrement... (issu du recueil : "La femme dont j'écris")
Traduction par Luiza Palanciuc, elle-même poète
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Le sexe entier du ciel
Le lait du matin essuie tes pieds,
tu rôdes parmi les couleurs
sur le hublot de la ville,
litanie slave hissée sur deux pattes,
reine des jours est ton nom là-bas dans les songes,
l’entrepôt d’allumettes s’embrase sous l’oreiller,
jadis les étoiles se soûlaient au sexe entier du ciel,
feu brûlant sans répit,
tes doigts pétrissent tout ce dont le visage a rêvé,
j’ai aperçu la mer où nageaient tes yeux,
le corps immergé était un infime continent,
sur les rivages les poissons avaient attrapé
au moulinet quelques idées humaines.
Chemin
Les morts et les dormeurs sont des frères à présent,
de leur sang ils signent les vices tant aimés
comme la bouche mordante d’un dieu
désire
la bouche
d’un monde incréé,
toi, amour, dans la nuit qui arrive
sur nous,
ne m’oublie pas,
ne me quitte pas sur les rives du jour,
en proie aux fantômes
des chiens fouettés par le brouillard,
purifie mon chemin montant
avec ta chevelure,
avec le dernier verre trempé dans cette levure du matin,
lorsque nous bûmes
sa vie,
ses soucis,
ses habits,
ne me laisse pas accroché à l’instant qui s’en va,
serre-moi
comme le grimoire qui
de ses deux bras embrasés
couvrit le mort merveilleux
né de deux mères à la fois,
celle du corps et celle de l’âme,
mot sur mot,
lettre sur lettre,
cœur piteux en une chair ferme,
désastre sur champ aveugle,
le mort et le dormeur
au fond de ta gorge
indomptée.
Je connais des mots doux, des mots d’écoliers
Des veillées qui tardent à mourir à s’éteindre dans le carreau des feux, la cheminée pâlit de ses charbons manquants
La soirée traîne de ses voiles en crépon noir
Si la nuit noire dehors tombe et éteint tout par son effet domino
Où fuit-elle en si peu de vacarme ?
Je distingue à peine l’ombre de la lune qui veut vivre
Il se peut que le jour s’achève alors qu’il avait peine à débuter
Dans les pluies grasses et larges de nos oublis
Ce sera ce jour où chacun peine à trouver où se terrer
A trouver son rythme, sa voix, sa voie, ses gestes
Se défaire de ses secrets, de ses alcôves
Tenir enfin la dragée haute
Au désespoir qui pend et qui luit
Se tenir droit contracté ; se dire de tenir
Se dire
« vivant » après tout ! ou « vivant » finalement
et le nœud de pendu qu’il nous tend, uriner dessus
plonger dans l’espérance sans faille
et tu pulses vers moi tes désirs enfin
tes désirs sans faim, tes désirs sans fin
je titube enfin de tes clairières
on dirait donc que ton corps serait vivant
que la peau même saignerait si on la coupe
si seuls, nous allions mourir
unis, allons-nous enfin vivre ?
seul dans cette nuit totalement noire
Le bruit des espaces naturels est mon seul compagnon
On dirait que tu viendrais
Accompagner ces derniers sursauts, les ultimes battements d’un cœur déserté
Les traces des vies comme les sentes des baves d’escargots
Tu t’es trainée là
Tu as tendu la main / je t’ai vu aussi mourir finalement
Je n’étais donc pas seul à l’extinction
L’aube viendra t elle ?
dans son fouillis de fleurs et de lumières
L’aube ? La lumière ? recommencer ? réapprendre ? refaire ?
"Que le poème aille se glissant
Dans la bouche ouverte des mourants !
Qu’il y ait le cri : « Que la Terre est belle ! »
Pas besoin des fleurs
D’ailleurs !"
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* en bleu et en italique = poème d'Armand Robin
Encore des naissances et pas mal !
au moins 3 rainettes adultes dans mes tonneaux
et plein de têtards dont un bien jeune que voici qui fait de l'aquaplaning sur une feuille de nénuphar
"La vie n'est possible que quand on l'escamote."
Gustave Flaubert
NON du pollen de peuplier blanc !!!
(le long de l'Arc)