" Et c'est vraiment de ça qu'on a besoin : peu de mots et une porte toujours ouverte."
Gianmaria Testa

Certaines choses
Nous entourent « et les voir
Equivaut à se connaître »
George Oppen
"Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous
prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr." Nicolas Bouvier
« La poésie vient vers nous, on ne sait d’où, et elle nous quitte, allant vers on ne sait quel au-delà. Mais en passant, elle nous laisse des mots et elle nous fait des signes dont l’interprétation est inépuisable. » Gabriel Bounoure
" Avec tes défauts. Pas de hâte. Ne va
pas à la légère les corriger. Qu'irais tu mettre à la place ? " Henri Michaux
"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen
" Et c'est vraiment de ça qu'on a besoin : peu de mots et une porte toujours ouverte."
Gianmaria Testa
Au paradis des jaunes
les viornes tin sont en deuil
vertes et
cornettes noires aux bouquets qu’on offrirait
buplèvres en ligne encore droits comme sentinelles
jalonnent en garde-à-vous lavés
buis toujours vert aux tiges en feuilles
Dans
les érables vomissent leur jaune et pissent aux liserons
mordorés et leurs cheveux jonquille
dans des corbeilles d’or
lentisques fiers qui friment
aux térébinthes essences
larges pistachiers d’or éclatent en lingots singuliers
Sumacs-fustets aux couleurs d’or
Toutes ces variétés abricot paillées
tous ces cotinus pleurent leur beurre frais
en lits de forme citron pailleux
Rouvres chênes encore de vermeil, de safrané,
D’un ocre blond
Aux ajoncs sales javellisés
le monde est en jaunisse totale
orageusement trouble
comme une immense jatte de soufre
et sans ces taches, ces jaunissements, ce vieillissement
il y a le ciel topaze et ces raies de gris, ces gros nuages
de l’orage – pluies de mirabelles – des prunes de feuilles
ivre automnal boit-sans-soif vivant
animé, sauvé dans ces ocres, ces jaunes, ces verts
alors, la vie en est augmentée comme le long des grands fleuves
Feuilles pourries des aulnes, spleens en mort cérébrale,
Manne ivoirine des arbres perdus, penchés, peinés,
Aux libellules si belles
Aux tonneaux, mes demoiselles
Tailles fines et ficelles
Aux caravelles très sexuelles
Du temps passe qui cisèle
Ces raies bien passionnelles
Oh ! Linaire de toi
Oh ! Linaire de moi ?
Aux seins fumées belle damoiselle
En pointe deux mirabelles
Légère ou fragile comme nigelle
Les cœurs fidèles se les gèlent
La vie est plus hirondelle
Sous ses rires, mon ombelle
Oh ! Linaire de toi
Oh ! Linaire de moi ?
Soleil et brise en s’emmêlent
Les brins de poison s’écartèlent
Mon âme nouvelle gelée révèle
Ces douces et grandes lisses caravelles
Où mourir à cet hôtel, cet autel
Frêle, grêle, amoureux Polichinelle !
Fuselé j’irai
Comme une linaire, une hirondelle
Finir mes courses
Romantiquement, dans un jaune d’automne
Je ricane, je manque de charme
Je m’étale dans les champs d’encre
Maudits et soignés
Fluctuants et négligés
Je fus leste
Je devins sans geste
Sans geste ni demeure
Mon cœur, en vain, tu dépèces
Oh ! Linaire de toi !
Linaire des cœurs !
y a pas à dire, mais un beau poème dit parfaitement, c'est quand même kekchose !!
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Je voudrais pas crever
Avant d'avoir connu
Les chiens noirs du Mexique
Qui dorment sans rêver
Les singes à cul nu
Dévoreurs de tropiques
Les araignées d'argent
Au nid truffé de bulles
Je voudrais pas crever
Sans savoir si la lune
Sous son faux air de thune
A un coté pointu
Si le soleil est froid
Si les quatre saisons
Ne sont vraiment que quatre
Sans avoir essayé
De porter une robe
Sur les grands boulevards
Sans avoir regardé
Dans un regard d'égout
Sans avoir mis mon zobe
Dans des coinstots bizarres
Je voudrais pas finir
Sans connaître la lèpre
Ou les sept maladies
Qu'on attrape là-bas
Le bon ni le mauvais
Ne me feraient de peine
Si si si je savais
Que j'en aurai l'étrenne
Et il y a z aussi
Tout ce que je connais
Tout ce que j'apprécie
Que je sais qui me plaît
Le fond vert de la mer
Où valsent les brins d'algues
Sur le sable ondulé
L'herbe grillée de juin
La terre qui craquelle
L'odeur des conifères
Et les baisers de celle
Que ceci que cela
La belle que voilà
Mon Ourson, l'Ursula
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus faut bien
Rester révérencieux
Je voudrais pas mourir
Sans qu'on ait inventé
Les roses éternelles
La journée de deux heures
La mer à la montagne
La montagne à la mer
La fin de la douleur
Les journaux en couleur
Tous les enfants contents
Et tant de trucs encore
Qui dorment dans les crânes
Des géniaux ingénieurs
Des jardiniers joviaux
Des soucieux socialistes
Des urbains urbanistes
Et des pensifs penseurs
Tant de choses à voir
A voir et à z-entendre
Tant de temps à attendre
A chercher dans le noir
Et moi je vois la fin
Qui grouille et qui s'amène
Avec sa gueule moche
Et qui m'ouvre ses bras
De grenouille bancroche
Je voudrais pas crever
Non monsieur non madame
Avant d'avoir tâté
Le goût qui me tourmente
Le goût qu'est le plus fort
Je voudrais pas crever
Avant d'avoir goûté
La saveur de la mort...
1952
Je voudrais pas crever,
Jean-Jacques pauvert éditeur, 1962
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Ici Jean Louis Trintignant (avec Daniel Mille)
https://www.youtube.com/watch?v=vPo8FEbQzFM
Ici la fantastique diction de Pierre Brasseur
« Il faut que l’Homme sorte à la rencontre de la vie hostile. »
Schiller
Je dis
J’ai à dire
J’imagine le dire
Seul, ici, dans un beau verger, sous les étoiles naissantes et pétillantes, étincelantes et vivantes, arbres vivants,
Sous les dires difficiles
J’essaie moi aussi de vivre « à propos »
Perdu, angoissé, isolé
Cette solitude et moi comme seul compagnon ou compagne
Vivant on me dit que je le suis encore
On me parle on m’explique, on donne des indications
Rares moments d’empathie, de « bonne » vision du monde
Je déchiffre les pancartes, j’observe les cartes ; comme Bouvier, je lis les cartes « comme des polars »… je me nourris de noms, de croisées, de chemins, de rivières engagées, monts et brumes, lumières externes et d’intérieur
On donne sens à la vie
J’ai peine à dire
J’ai peine à dire
Le lieu reste insaisissable
Comme le délitement de toute chose
Comment exprimer sa présence au monde ?
S’éduquer à la réalité… est-ce essentiel, est-ce superflu ?
L’abri de Bachelard « contre la nuit », au moins…
Les livres, les meubles, me suivent ; c’est mon identité
Le bien peu de moi
Si j’avais eu un talent, j’aurais peint tout cela, et l’infini même aux moments de vigueur
Le verbe « temps » a passé, s’est décliné, a utilisé toutes les conjugaisons, fortifié ou affaibli c’est selon ; on ignore s’il faut du mouvement, spontanéité, constance ou repli et visions internes. Immobilité ou voyage perpétuel.
Fortin ou semelles aux vents
Ou ta peau mordorée, mon deuxième moi ; l’aigreur connaissable ; les entours en tout bien ; modèle vaguement de bonheur, on pourrait l’imaginer – comme un marin ayant écroté le monde.
Mais l’ennui et la solitude –comme des chances à polir – sollicitent en moi un quelconque éclairage ; c’est encore cela : subsister dit-on , c’est déjà bien.
Paul Delvaux, la ville inquiète, 1940
"Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; voire et quand je me promène solitairement dans un beau verger, si mes pensées ne sont entretenues des occurrences étrangères quelque partie du temps, quelque autre partie je les ramène à la promenade au verger, à la douceur de cette solitude et à moi. "
Michel de Montaigne
Je viens de finir le premier livre de Juan José Saer (1937-2005) que j'ai eu entre les doigts.
Un sentiment rare de chef d'oeuvre absolu m'est passé par la tête... Les phrases sont délicieusement et incroyablement bien écrites, la traductrice Laure Bataillon a fait parait-il un travail remarquable, à tel point qu'à sa mort, un prix pour la "meilleure traduction" porte désormais son nom.
Bref un écrivain argentin exceptionnel et une traductrice tout autant.
Je ne vais pas parler bien longtemps de ce livre car d'autres l'ont fait bien mieux que moi, en naviguant sur le net, on comprend l'importance de cet écrivain argentin. Livre inspiré par une histoire réelle.
3 parties dans le livre : la découverte de l'estuaire qui donnera d'un coté l'Argentine, de l'autre l'Uruguay et la vie à bord en 1516 des bateaux espagnols, la vie avec les indiens pendant 10 ans, puis le retour en Europe et la fin de vie du narrateur...
Même si parfois il est nécessaire de s'accrocher un peu , de rester concentré, tant les phrases sont denses, on lira ce chef d'oeuvre d'une traite avec le coeur aux aguets. On suit l'histoire de ce jeune mousse sur le bateau, puis seul rescapé, parmi les indiens. A la fin du livre, les méditations seront philosophiques et métaphysiques sur la présence de l'homme au monde, son importance, son adéquation, sa solitude...
"De ces rivages vides il m’est surtout resté l’abondance de ciel. Plus d’une fois je me suis senti infime sous ce bleu dilaté: nous étions, sur la plage jaune, comme des fourmis au centre d’un désert. Et si, maintenant que je suis un vieil homme, je passe mes jours dans les villes, c’est que la vie y est horizontale, que les villes cachent le ciel."
JJS
Ici de bien meilleures explications que les miennes :
https://blogs.mediapart.fr/edition/la-voie-des-indes/article/070314/un-reel-trop-grand-pour-l-homme-par-guillaume-contre
"Il y a des gens qui augmentent votre solitude en venant la troubler."
Sacha Guitry
It rained the all night. She was dressed all in white, there were trees all along the road.
Je la suivais, toute de blanc vêtue, collant en laine et robe blanche, elle semblait swinguer entre les arbres ; elle exhalait tout le féminin ; je sortais d’une exposition sur les coléoptères du monde entier ; l’excellence de la beauté encore en tête de ces insectes prodigieux ; et je la suivais, sorte de satyre bienheureux, pensées lubriques en tête ; dans les allées du jardin des plantes, la géométrie et l’alignement faisaient douces ces idées-là ; quelle beauté, le monde ; j’allais à mon cours de remise à niveau d’anglais, j’imaginais des phrases…
It rained the all night. She was dressed all in white, there were trees all along the road.
Elle venait de faire l’amour ou elle s’y dirigeait tant son énergie semblait profonde, efficace. Ehontément, je l’imaginais nue et jalousais son compagnon ; nous happions l’air doux chaud vivant à pleins poumons ; orpailleur de son corps et plus généralement de toutes les beautés féminines ; mon âme cyclique vêtue tout de noir, puis tout de blanc voyait là un bon présage pour la journée à venir : elle serait amicale, joyeuse et non asexuée ; bref, la vie.
Il avait plu toute la nuit, elle était habillée tout en blanc, il y avait des arbres tout au long du chemin. All of us are invited.
pose ta main sur ce triangle, au creux et attends
l'oraison apparait en bourgeons quand - très doucement -
l'humidité se dévoile
les jambes s'ouvrent alors comme la serrure du monde
sous tes sucs animaux, la lenteur de l'homme fait de cette blessure
l'astre central du monde en implosion
comme la feuille tombe évanouie
je suis hagard au milieu des hommes
personne ne me ressemble, c'est inouï
seul parmi les ombres, je flotte moi aussi
feuille d'automne en tourbillon
vers le sol et j'y tombe
rêche et dru sur le tapis gazonné
des hommes malheureux en somme
puis feuille parmi les feuilles
à tout hasard nous disparaitrions
inconnus des nervures mal aimées
Léo, tu nous manques !...
Très grande émotion hier soir à Châteauvallon, Jean-Louis Trintignant faisait sa "dernière" de son spectacle de poésies avec Daniel Mille et son quatuor à cordes...
Devenu aveugle, ne pouvant plus se déplacer seul... c'est un homme physiquement au bout vu hier soir, ma compagne avait les larmes aux yeux de le voir arriver sur scène dans cet état...Et j'étais aussi très ému, moi pour qui le fanfaron est l'un de mes films préférés...
Par contre , sa voix, toujours fabuleuse, limpide, claire... Que de bien beaux poèmes excellemment dits...(Leprest, Desnos, Carver, Prévert...) et la musique de Piazzolla en accompagnement...
Je retiendrai une très belle interprétation de "je voudrais pas crever" de Vian et bien sûr la clôture par cet extraordinaire poème de Gaston Miron "Marche à l'amour" que JLT offre à sa fille morte à chaque fois qu'il dit ce texte, 16 ans déjà que Marie est morte...
Très long poème d'amour fabuleux...
Soirée exceptionnelle et longue standing ovation à la fin... ému et triste, je fus.
La marche à l'amour
Gaston Miron
Délabrement
Comme un appartement vide aux sales plafonds,
Aux murs nus, écorchés par les clous des peintures,
D'où sont déménagés les meubles, les tentures,
Où le sol est jonché de paille et de chiffons,
Ainsi, dévasté par les destins, noirs bouffons,
Mon esprit s'est rempli d'échos, de clartés dures.
Les tableaux, rêves bleus et douces aventures.
N'ont laissé que leur trace écrite en trous profonds.
Que la pluie et le vent par la fenêtre ouverte
Couvrent de moisissure acre et de mousse verte
Tous ces débris, horreur des souvenirs aimés!
Qu'en ce délabrement, une nouvelle hôtesse
Ne revienne jamais traîner avec paresse,
Sur de nouveaux tapis, ses peignoirs parfumés