dans la célèbre série "mes animaux poétiques préférés"
VOICI le crocodile mort de fou-rire
Certaines choses
Nous entourent « et les voir
Equivaut à se connaître »
George Oppen
"Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous
prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr." Nicolas Bouvier
« La poésie vient vers nous, on ne sait d’où, et elle nous quitte, allant vers on ne sait quel au-delà. Mais en passant, elle nous laisse des mots et elle nous fait des signes dont l’interprétation est inépuisable. » Gabriel Bounoure
" Avec tes défauts. Pas de hâte. Ne va
pas à la légère les corriger. Qu'irais tu mettre à la place ? " Henri Michaux
"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen
dans la célèbre série "mes animaux poétiques préférés"
VOICI le crocodile mort de fou-rire
Aux éditions de l'abat-jour, vient de paraître le N°5 de l'ampoule, revue web que vous pouvez télécharger . Cette fois ci le terme était "Homme et Animal" ; vous y trouverez un texte bourré d'humour de mon ami d'enfance Philippe Choffat sur les marmottes et un autre texte de mon ami Serge Cazenave, poète et écrivain, et accessoirement ami d'enfance de Renaud lorsque qu'en 1968 le monde était libertaire ou rien (on peut voir Serge quelques minutes parler de son ami dans l'excellente émission de france 2 "Une vie, un destin", émission consacrée cette fois-ci au dit Renaud Séchan)
Quant à moi, j'ai participé au "cadavre exquis", pot-pourri de quelques écrivains sur la part d'animalité en nous...
Bonne lecture !
Saluons également et de façon générale, la qualité des textes présentés par les éditeurs de l'Abat-Jour (je ne m'inclue pas dedans, bien évidemment) : nombreuses excellentes et variées nouvelles à lire !
En cliquant sur la vignette, vous arrivez directement au N°5 de la Revue de l'Ampoule.
Déjouer toujours ; tourner autour du pot ; s’effacer pour s’affirmer ; ne pas comprendre les autres ; des différences de « ressenti » ; perdre haleine puisque l’on tombe ; glisser sans fin sur ces autoroutes de l’incompréhension ; ne pas piger ce que dit l’autre ; ne pas piger « du tout » ; s’enfoncer noir sur noir ; perdre confiance ; perdre le peu d’estime de soi ; faire semblant ; avoir envie de mourir à force de faire semblant ; se dire que non ; puis oui ; être fatigué de toutes ces questions ; se dire « malgré tout » ; ne plus oser regarder le ciel ; ne plus se sentir vivant ; creuser pour rien ; ne plus se sentir comme « faisant partie du monde » ; ne plus dormir ; ne plus aimer ; fermer sa caverne ; retirer sa boîte aux lettres ; dire qu’on est parti en voyages ; dire voyage de noces pour tromper l’ennemi ; c’est à dire tous les autres ; ne plus avoir d’amis ; car c’est ainsi ; ne pas en souffrir ; respirer mieux en se disant que c’est la fin ; repousser les corps qui s’approchent ; se crever les yeux ; s’ensabler ; s’envaser ; ne plus lire « du tout » ; ne plus lire « en tout » ; choisir ce précipice ; ce revolver ; marcher dans l’air pour tomber ; ne plus ouvrir son parachute ; ternir son image, son reflet ; griffer le miroir de l’eau du dernier narcissisme ; continuer sa dépression « à fond » ; refuser l’aide ; seul peut être mais peinard ; peinard pour le mur à venir ; l’allégresse des suicidaires dit Jacques ; cette allégresse là, je l’ai, possédant mon âme, éclairant mes mains ; talus des discordes, montagnes des désunions, frictions des fêlures ; porte que l’on ferme ; lumière que l’on éteint ; silence – souffle coupé - ; personne n’est là ; mésentente, rupture, tension ; entours vides, creux, salaces, gris, perdus ; monde perdu, monde méchant, monde inutile ; abrutissement total ; incompréhension nette ; pénurie d’amour ; diabète très long ; pour le cœur qui s’arrête, d’un coup et se repose
"Femme" peinture d'Yvon Saillard 2012 ©
dans la célèbre série "mes animaux poétiques préférés"
VOICI le pigeon protecteur
(on peut le voir aussi comme un bombardier prêt à lancer ses deux missiles, mais c'est moins poétique) :-)
Moi qui ai toujours rêvé d'être alpiniste, d'abord parce que jadis j'aimais ce type d'effort là, j'aimais l'escalade aussi et, enfant, j'étais le roi pour sauter de gros caillou à gros caillou ; en outre la montagne, ces paysages hallucinants, cette solitude des pierres et cette lumière d'une grande pureté; les changements rapides de paysages pendant l'ascension et les déserts de pierre, de glace, de neige là haut...
Bref tout cela est loin maintenant ; alors je lis les récits de montagne parfois (ou du moins où la montagne est là)... / après l'excellent "L'homme des hautes solitudes" du puissant James Salter, déjà chroniqué ici, je viens de lire "Une ascension" de Ludwig Hohl - auteur (suisse allemand) qu'aimait Nicolas Bouvier.
Ce texte écrit en 1926, puis réécrit 4 fois jusqu'en 1940 ne sera publié finalement qu'en 1975 et en 1980 pour la langue française. Prix Robert Walser.
On a souvent comparu ce livre au "vieil homme et la mer", c'est à dire un livre parabolique. Je ne m'étendrai pas sur l'histoire et sa conclusion / en ce sens ne lisez pas la quatrième de couverture toujours trop bavarde !
Simplement le plaisir d'avoir un petit "grand livre", avec une description merveilleuse de la montagne, de ses paysages, de ses dangers, des efforts humains pour les dompter, voire la résignation devant l'impossible à accomplir.
Un écrivain surtout connu pour "Notes" et pour tous les aphorismes qu'il écrivait ici ou là, mais ce petit roman est diablement bien ficelé / En définitive, on a le destin que l'on doit avoir, que l'on soit lâche et peureux ou que l'on soit conquérant et hardi. La montagne - le troisième personnage - ne fait pas de cadeau.
Glacial était le vent : quant au temps, on ne pouvait pas dire qu'il était beau ! D'épais nuages, virant vers le gris et le bleu-noir, planaient bas dans le ciel tout autour, les pentes austères dont les détails gagnaient en acuité à vue d’œil, formaient au premier plan une masse de bronze, s'échappaient sur les flancs dans l'espace inconcevable des profondeurs et des lointains, et se perdaient vers le haut dans les replis grisâtres d'une brume fuligineuse, pas une perspective ne s'ouvrait librement vers les sommets, et pourtant, tout attendait là-haut : le roc, le glacier et les crevasses, les cheminées obscures, les terribles tempêtes et les efforts monstrueux…
On voyait seulement, à la verticale, des lambeaux de ciel pâles et minables, piqués d'une étoile amoindrie la masse noire de la montagne, emportée par le bouillonnement de ces nuées formidables, atteignait d'invraisemblables altitudes là-haut, pas une crête sur un fond de ciel clair dont les pointes libres ne se détachent comme un appel : gigantesque, le corps de pierre de la montagne gisait là, conjugué avec l'éternité, l'univers était une chaudière fumante, terrifiante, inhumaine, et la voix d'Ull était la seule à appeler. L.H.
dans la célèbre série "mes animaux poétiques préférés"
VOICI le chien-papa-canard
"Je viens m'ennuyer avec vous pour dissiper mon ennui."
En effet, et qu'on le veuille ou non, le désir reste encore le moteur de la vie.
Dieu sait si je n’aime pas « la mode » et toute cette industrie du luxe ; comme je suis énervé lorsque je vois aux journaux télévisés la présentation des défilés proposée comme des moments uniques exceptionnels ; surtout quand on voit ce que ces créateurs de pacotille arrivent à faire : dénaturer le corps féminin, l’enlaidir, l’habiller de façon totalement « improbable » ; et toutes ces pauvres mannequins obligées de marcher anormalement et stupidement, avec des maquillages invraisemblables, et une silhouette anorexique ; rajoutez à cela les tronches qu’elles tirent (!) en défilant, comme si elles venaient tout juste d’enterrer toute leur famille… et vous comprendrez donc « l’idée » que je me fais de ce monde « luxueux » de « créateurs » … Bien sûr certains comme Lacroix ou d’autres avaient un peu ma sympathie, soit parce que je juge leur travail « correct » et intéressant, soit parce que leur « personne » (ceci grâce la plupart du temps à des interviews ou à des reportages) me semble « artistique » et digne d’intérêt…
C’est le cas de Yohji Yamamoto ; outre le fait que je ne trouve pas moche ses vêtements noirs et amples, je le savais ami de Wim Wenders et Pina Bausch et intéressé par mille choses / Enfin je fus intrigué par l’article à propos d’une sorte de « biographie » parue de lui que je lisais dans « Le monde » du 18 décembre 2010. Le titre était : « Quand j’écris, les doutes se font plus importants. », un tel titre est alléchant pour un apprenti écrivain. Je me rappelais aussi que c’était lui qui avait réalisé les splendides costumes du film « Dolls » de Takeshi Kitano, un de mes cinéastes préférés…
Je viens de finir ce livre et ai pris un goût certain à le parcourir ; outre le fait que l’objet est singulier : couverture noire, tranche noire, titre en relief ; le texte est fort intéressant. On y découvre l’œuvre d’un créateur amusé et poétique, mais aussi d’un homme torturé et inquiet.
Le livre est premièrement « découpé » en deux : l’homme puis le créateur ; puis un second morceau : « biographie », enfin un long texte de Seigow Matsuoka diablement intéressant lui aussi sur le Japon et ses coutumes.
Il s’agit d’autre part d’une succession de paragraphes très courts, très concis habités d’une écriture claire et lucide, se mettant à jour sans hypocrisie ni fioritures. « Un farceur effronté » pour reprendre un qualificatif donné par un de ses amis.
Enfin : petites chansons écrites par lui, photos, dessins, sentences, parsèment l’ensemble et donnent un côté aérien et poétique à l’ouvrage : bref tout pour me plaire.
La première partie du livre est un bijou poétique : souvenirs d’enfance, touches pointillistes : disparition du père, amies - amantes, souffrances du petit enfant et du créateur, corrélations au monde surtout : quoi faire de sa vie ? C’est rempli d’anecdotes personnelles et signifiantes : le rapport au tissu (« c’est le tissu qui décide »), l’enterrement du Leica de son père (le corps n’ayant jamais été retrouvé) en guise d’obsèques avec Yohji faisant du tricycle dans le cimetière, les femmes désirées et aimées dans cet univers de mannequinat (« Femmes, soyez femmes toute votre vie ! Ne vivez pas sous un titre emprunté, séductrice, épouse de…, career woman. Restez femmes, juste femmes, telles que vous êtes. »), l’angoisse de la création, des défilés, et beaucoup de souvenirs d’enfance : grosse introspection dans une profonde mélancolie – sans doute comme tous les dépressifs anxieux chroniques qui se rabattent sur le passé. Beaucoup de réflexions philosophiques aussi sur la rage et la résignation, sur la vie « une répétition de hasards », sur cette « sensation de manque qui m’habite depuis l’enfance ».
Bien belle virée imaginative et poétique d’un vrai créateur, bref d’un artiste… à lire /
« Puisque la beauté infinie du corps féminin s’offre à mon regard, pourquoi devrais-je suivre un parcours décidé par d’autres ? Le point d’arrivée est le même c’est vrai. Chaque fois, le même. En définitive, le vêtement, telle l’enveloppe d’une cigale est toujours vide. Néanmoins je ne peux m’empêcher de poursuivre le voyage. Sans me lasser, aujourd’hui encore je poursuis ce voyage éternellement recommencé… »
« Cet amour sans limites, toujours présent
Même après avoir franchi maintes collines
Franchissant une colline, puis une autre et cette autre
Qui m’attend là-bas à l’horizon ainsi toujours plus loin
Je poursuis mon voyage sans fin à travers les dunes
Toujours différentes des corps féminins »
« Femme aux yeux d’ambre, la courbe de ta chevelure
Brune glisse sur ton visage comme l’arc de la lune
A son premier quartier, et se répand au pied
De douces collines
A partir du creux qui termine ta clavicule
S’allonge ton bras fragile que terminent des doigts
Pareils à de longues gouttes d’eau »
Yohji Yamamoto
Juste à dire
Si le silence vient au fin fond des prés
Comme l’innocence aux brins d’herbes
Je suis moi et puis en définitive non ;
Les repères sont perdus aux flancs de toi
Aux collines vertigineuses ; vins soyeux ; visages enfouis
Que l’on cache
Mon amie aux cheveux suaves
J’étais à cette clairière ; dedans tes formes devenues difformes
Que le temps compose
Malgré tout
Nous restons seuls ; indubitablement
Et si la solitude crépite comme une prière
Elle fait mal comme un écueil
Aussi : telle feinte ébahie
Je voulais parcourir l’homme
Et m’aider de projets artistiques
J’ai voulu éduquer mon corps au tien
Reste ce bouquet d’arômes ; bouquin sans fin
La vie dépressive aux larmes faciles
Gifle et perce mon âme sanieuse
Tu étais mon transsibérien
Et tes rails : goût du voyage sans fin
J’ai mordu tes sucs pour ne pas mourir
Je flanchais en m’approchant
Désabusé de tes joies extrêmes
Comme dit l’autre, blessé, blessé seulement
Ivresse de la mort ; cinéaste du suicide
Grugeur du monde vivant
J’ai grossi dans ma grotte et n’en puis sortir
J’appelle tous les mineurs au désenclavement
Spéléologues aguerris, sirènes aux corps féériques
Nains musculeux
Amis véritables des vieilles structures
Curieux de champignons rares
Botanistes de fougères inconnues
Amateurs éclairés, détecteurs des métaux enfouis
Numismates instruits et prospecteurs malins
Orpailleurs des terriers enfouis
Venez me désengourdir, me désenlaidir
me désensabler, me désennuyer, me désencrasser
me désencombrer de mes vides profonds
me désempêtrer, me désembuer
me désempierrer
Me désensevelir de mes démons anciens
Je reverrai alors
Tes yeux deux heureux
Fléchir au soleil de mai
Ecimer mon mal brumeux
Luire à l’aube rimbaldienne
Eclisse ton corps au mien
Par tes ficelles féminines
Par tes jeunes ardeurs
A tes rails droits et solides
Habille moi de toi, tes soies solides
Tes linges ensoleillés
Tes peaux printanières
Ta taille de fée
Ferai-je ainsi de toi mon extracteur ultime
Ma nacelle au-dessus des mondes
Mes mythes et mystères
Dans ta gravière où je m’allonge
Ton eau nourricière
Ma main n’a plus qu’à creuser
ta manne, embrun de tes âmes finales
dégivre l’escarpée pente
des mélancolies ;
je suis anxieux du monde ;
devant tes collines ; le monde
se déroule comme un serpent doux qui dérive
je mange le monde naturel ta main en creux
gaiement je bois le monde faisable peureux
(chez Dali / photographie frenchpeterpan)
Oh ! Il y a :
sans doute peu comme écart :
Là : juste tendre la main
entre le monde des vivants et celui des morts
entre cette rose fraîche et son contraire desséchée, racornie, rabougrie, noircie
déshydratée
Du temps du temps disais-tu, simplement du temps
Le temps, le temps encore et encore
Le temps qui passe, le temps perdu
Le temps que l’on croit perdre ou celui que l’on souhaite regagner
Mais le temps passe et il est bel et bien perdu
C’est pire l’envers à revers que l’on ne peut pas refaire, revivre
en arrière
c’est pourquoi
c’est ainsi qu’il faut chaque jour
préféré l’instant présent à celui d’hier ou celui de demain
quand la personne est morte, c’était donc hier qu’il fallait lui parler
elle est partie aussi, la voix, la voix qui disait les choses certaines
et le regard clair des grandes amitiés de certitudes
la vie n’était que cela, une suite de rimes
chaque fois proches, mais qui diffèrent cependant
oh ! détails insignifiants, mais qui font les aspérités des parois à escalader
ou les ombres des amitiés à consolider
je t’aime donc , passage nécessaire pour te connaître,
infini et irréel
et pourtant bien réel quand ton bras est raide et froid
et ta peau froide ; oh ! mon père, mon ami
mon père, ici à l'année de ma naissance
est décédé le mois de ma naissance
Sergueï Essénine est né en Russie centrale en 1895 dans la campagne russe, ses origines sont profondément paysannes ; à l’âge de14 ans il écrit déjà des vers reconnus. Il se lie avec de grands poètes du moment tel Marina Tsvetaiéva, mais on lui refusera de rentrer au parti bolchévique pour cause d’individualisme ( !!!) en 1918. Dès lors et très tôt, il prend conscience de l’échec de cette révolution. Il rencontre Isadora Duncan, plus âgée que lui, et l’ épouse. Ce fut l'un des premiers pas d'une vie amoureuse très tumultueuse, parmi lesquels sa difficulté de vivre son "homosexualité" et de la reconnaitre. Dès 1922, il parle de suicide, devient dépressif. Pourtant il est alors l’un des poètes les plus lus en Russie et est très populaire :
« Je n’écris plus de poésie, je ne fais que des vers »
Il rentre en clinique en 1925.
Il se suicidera en décembre à l’âge de 30 ans (Depuis il est probable qu’il ait été plutôt assassiné par la police secrète soviétique, (la Guépéou) car de nombreuses zones d’ombre demeurent…), mais son suicide reste tout à fait probable vu le personnage.
il laissera un dernier poème écrit avec son sang adressé au jeune poète juif Kliouïev
Je viens de lire le seul roman écrit ( tout le reste est poésie, et quelle poésie ! somptueuse ! )par cet auteur et ce à 18 ans, bien que ce roman soit extrêmement sombre et voit défiler une quantité invraisemblable de morts, il reste incroyablement heureux et joyeux, heureux de décrire le monde naturel de la « ravine », le monde paysan, le fort côté païen de réception du monde et de ses paysages naturels. La vie soudée et commune et profondément humaine de tous les personnages. Enfin , une langue ! un langage comme personne n’a écrit, c’est somptueux, une sorte de long poème en prose, les descriptions des forêts, des animaux, des hommes vivant là sont superbes, on est bien loin de "la mare au diable". Il ya un fort sentiment rimbaldien dans cette lecture-là, et je me suis amusé à me penser que Rimbaud aurait pu lui aussi écrire à 18 ans un tel récit. Bref : à mon humble avis : un chef-d'oeuvre !
« La Ravine » ? un roman à lire de toute urgence pour retrouver quelque part un peu les fondamentaux d’une littérature de qualité, exigeante et sereine. A dessein.
"Serguei Essenine fut élevé dans les traditions des paysans de Riazan. Cependant, la mythologie slave païenne viendra véritablement édifier sa perception du monde. Son paradis est celui de la terre et c’est ainsi que dans « La Ravine » il nous restitue quelque chose d’une sagesse mythique du paysan. Jardinier, Essenine fait germer une sève, une histoire qui est celle de la grandeur tragique de l’existence. Entre loups et ours, parmi les forêts de bouleaux et les isbas, les hommes travaillent dur et boivent sans modération. Ils sont habités par une nature épaisse qui réveille la sauvagerie et l’intuition animale. Les femmes, elles, sont beaucoup plus légères et la belle Olimpia aussi passionnée que l’aube. Les vies de tous ces villageois leurs échappent et se tissent à la fois, noblesse et pureté se mêlent sans cesse aux cris douloureux des corps et des coeurs. En cette vaste terre froide, l’existence humaine est habitée par le désespoir et la rosée du merveilleux. La langue de « La Ravine », imprégnée de paganisme, procède du conte et de l’opéra littéraire. Une atmosphère de fable, au goût de terre et de sang mélangé, imprègne le lecteur au fil des pages parcourues, les vapeurs de vodka partagée et le goût des lèvres des femmes donnent à l’atmosphère le sentiment d’une grande générosité. De cette tension, les mots s’articulent comme des sons, comme une marche en cette terre russe qu’Essenine aimait tant. Il faut donc lire absolument « La Ravine », symphonie composée avec exigence par Harpo &, pour notre plus grand bonheur."
Frédéric Calmettes, décembre 2008
Très intéressant article de synthèse sur Essénine sur "esprits nomades" , cliquez sur le visage du poète / bonne lecture /
La fermeture éclair a glissé sur tes reins
Et tout l'orage heureux de ton coprs amoureux
Au beau milieu de l'ombre
A éclaté soudain
Et ta robe en tombant sur le parquet ciré
N'a pas fait plus de bruit
Qu'une écorce d'orange tombant sur le tapis
Mais sous nos pieds
Ses petits boutons de nacre craquaient comme des pépins
Sanguine
Joli fruit
La pointe de ton sein
A tracé une nouvelle ligne de chance
dans le creux de ma main
Sanguine
Joli fruit
Soleil de nuit
Qu'il serait doux parfois d'être l'un de mes chats !...
« Incapable de croire en quoi que ce soit, ou pratiquement ; déçu par avance de la politique ; spectateur oisif de la course collective à l’argent ; étranger aux bénéfices de la procréation ; incapable de m’enthousiasmer pour quelque vocation professionnelle irréalisable ; inutile pour le travail en général ; incrédule devant toute option religieuse ; trop timide ou incompétent pour une vie sexuelle enthousiaste ; dépourvu de toutes ces choses, il ne me resta d’autre solution que de marcher. » S.Chejfec
Difficile d’écrire sur « ce » livre, après une lecture éprouvante
où le lecteur que je suis termina abasourdi, anéanti presque :
enfin un roman sur l’absence au monde ou sur son hyperprésence (ce qui revient au même), la marche vu quasiment comme thérapie l’auteur part dans des digressions ahurissantes et compose avec ses yeux des paysages puissants : un roman sur la présence de l’homme au monde dans tout ce qu’elle a d’énigmatique et de singulier...
la marche pour « se perdre » ou « se trouver »… car il s’agit bien de « contemplation » (d’ailleurs le mot est utilisé lors de sa « rencontre » avec des tortues et des carpes), contemplation du monde telle une interface entre l’esprit intelligent et le monde autour qui n’a cesse d’envoyer des signes et des messages. Bref une « contemplation réciproque » que Chejfec semble interpréter comme une « réalité ». Roman profondément existentiel, proche d’un intellectualisme forcené, voire démesuré ? Chaque observation, le reflet d’un gravier, l’irrégularité d’un chemin de terre, la perfection de l’alignement de cygnes-pédalos, est commentée et analysée : on part loin dans les délires de l’âme humaine « analysante ». la marche comme exutoire et comme analyse. Monde intérieur de l’écrivain plein d’inquiétude et de questionnements se reflétant dans le monde qu’on voudrait dire « réel » ; ce sont ces reflets miroitants dont il est question dans ce livre d’une densité absolue. Sens paranoïaque de l'être observé et observant (= orgueil et/ou la suffisance des être vivants), ressentir la quintessence de l’instant présent tout en indolence récurrente...
La lecture du coup en est éprouvante, et quant à moi je l’ai parcouru par petites lampées comme un alcool trop fort ou trop amer.Un Borges plus "moderne".
Enrique Vilas-Matas écrivait déjà :
« Mes deux mondes, c’est l’histoire d’un écrivain en visite dans une ville du Brésil. Parcourant un parc emblématique, il voit dans cet espace à la dérive des signes de sa propre incomplétude, la preuve cosmique que « de même que nous ne choisissons pas le moment de notre naissance, nous ignorons les mondes changeants que nous allons habiter. » Cette longue promenade, menée par une prose aux phrases parfois ahurissantes, nous ramène aux souvenirs d’auteurs remarquables comme Sebald, Saer et Aira. Puis nous réalisons que Chejfec ne ressemble à personne, qu’il a choisi son propre chemin, insolite et unique. Il semble appartenir à cette race d’écrivains apparue il y a bien longtemps, au temps où Proust méprisait une littérature réduite à un défilé cinématographiques des choses. »
Sans nul doute : le meilleur livre (du moins le mieux écrit) que j’ai lu ces derniers temps ; en outre ce face à face entre les soucis d’un homme qui a du mal à se définir à travers son espace-temps et les reflets du monde réel cherchant à lui répondre sont au cœur de mon propre mal de vivre, de mes propres questionnements, de mes propres inquiétudes, des recherches de mes diverses altérités ; bref Chejfec un vrai frère humain…
La force aussi de ce livre écrit en petits paragraphes est que vous pouvez l'ouvrir à n'importe quelle page, lire un petit paragraphe et prendre du plaisir dans votre lecture, donc à tout moment tellement c'est dense !
Si la littérature ne doit pas être divertissement, sinon autant regarder la télé (dixit Chloé Delaume), alors ce livre est de la grande littérature !
Vous trouverez sur le net quantité de critiques et d'analyses toutes intéressantes sur ce livre fort énigmatique...