« Il y a des moments dans la vie où la question de savoir, si on peut penser autrement qu’on ne pense et percevoir autrement qu’on ne voit, est indispensable pour continuer à regarder et à réfléchir »
Michel FOUCAULT
Certaines choses
Nous entourent « et les voir
Equivaut à se connaître »
George Oppen
"Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous
prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr." Nicolas Bouvier
« La poésie vient vers nous, on ne sait d’où, et elle nous quitte, allant vers on ne sait quel au-delà. Mais en passant, elle nous laisse des mots et elle nous fait des signes dont l’interprétation est inépuisable. » Gabriel Bounoure
" Avec tes défauts. Pas de hâte. Ne va
pas à la légère les corriger. Qu'irais tu mettre à la place ? " Henri Michaux
"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen
« Il y a des moments dans la vie où la question de savoir, si on peut penser autrement qu’on ne pense et percevoir autrement qu’on ne voit, est indispensable pour continuer à regarder et à réfléchir »
Michel FOUCAULT
à quoi bon s’ouvrir ainsi
à vrai dire ? n’est ce pas ?
Pour partager ?
Partager quoi ?
Nos mélanges d’humanité
nos dégouts des politiques
nos peurs pour demain ?
ou des lambeaux de rimes humaines ?
"on se croit un peu poète"
quand le silence est roi des réponses
ou la nonchalance de l’ennui
le je m’enfoutisme d’autrui
grande base des fondations humaines
l’autre qu’on dit aimer
c’est autrui et on le laissera crever s’il le faut sur le bas-côté
à condition bien sûr de ne pas être « inquiété »
on dira qu’on a fait « ce qu’on a pu »
et devant les juges, on sera certain d’avoir raison
alors que chacun sait que l’on aura eu tort
photographie issue d'un paquet acheté par deux libraires malins / l'ensemble portait le nom "Hotel Univers" / or c'est le nom de l'hôtel à Aden où Rimbaud descendait. Les photos sont datées entre 1880 et 1890.
L'ensemble des photos est acheté : une sort du lot, le deuxième personnage à droite pourrait être Rimbaud ; vérification faite par des spécialistes (tel Jean Jacques Lefrère), il s'agit quasi à coup sûr du poète !
Si on avait été le premier Avril, j'aurais cru à un canular, oui mais voilà aujourd'hui dans le Figaro Littéraire et dans l'Express, les libraires Alban Caussé et Jacques Desse racontent leur intuition de génie... Les photographies auraient appartenu à Jules Suel, négociant à Aden qui finança les ventes d'armes de Rimbaud.
On connait maintenant 5 photographies du poète ; sur cette dernière le visage est moins hâve que les autres, les cheveux moins gris, nul doute qu'elle est sans doute plus ancienne que les autres... Rimbaud ne semble pas malade ou amaigri.
Rimbaud fixe le photographe avec un regard à la fois intéressé et plein d'ennui ; le visage se voit bien ; quelle belle trouvaille ! Bravo aux chercheurs curieux et gloire à eux ! (le dernier cliché du poète vendu en 2007 s'était adjugé 75.000 €)
" On cherche toujours à être différent des autres ; c'est de soi qu'il faut être différent. "
François Bon
Sur le mot : je regarde
Lequel pour mon choix : le gros posé, finement sensuel, l'autre là timide ?
Là sur ma table : je regarde
J’entrevois mots et phrases
Il faut classer, réorganiser
Toujours se battre avec la syntaxe
Grammaires en guerre
Mots qui font le mur
Ponctuations en vacances
C’est la force de l’écrivain
De tout réaligner
De tout reconstituer
Puis de tout défaire
dans un éclat salutaire
« La lune était posée derrière les chênes – une couleur d’abricot mouillé. »
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J’ai dû lire 4 ou 5 fois ce livre, très régulièrement, je réouvre ce roman dont la couverture et les pages commencent à être fatiguées.
Jean René Huguenin est mort à 26 ans dans un accident de voiture en 1962.
« La côte sauvage » est son unique roman, écrit à 24 ans.
A cet âge : quelle force, déjà ! Un très grand écrivain était né, de la stature d'un Radiguet ou d'un Guibert, mêmes précocités et morts jeunes.
Il avait fondé avec la complicité amicale de Philippe Sollers et Jean-Edern Hallier la célèbre revue littéraire « Tel Quel ». Ce trio était à l’époque d’une jeunesse triomphante. Il laisse aussi un « Journal » que je n’ai jamais lu mais qui – parait-il – croustille de détails intéressants sur le monde littéraire de l’époque.
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La côte sauvage est un livre monstrueux. Ecrit magnifiquement, émouvant, solaire, sensuellement désespéré. C'est l'enfance qui s'enfuit dans ces paysages bretons extraordinaires, c'est l'amour d'un frère pour sa soeur, c'est la solitude qui mange tout, et les coeurs surtout.
Olivier rentre chez lui après deux ans d’absence pour cause de service militaire, il n’a qu’une idée : revoir sa sœur Anne, 5 ans plus jeune que lui.
Il retrouve en même temps Pierre, son meilleur ami, il apprend que Pierre et Anne vont se marier, il retrouve aussi la Bretagne de son enfance. La mer et son eau lissée est là tout au long de ce livre comme une confidente, un trait d'union.
Olivier est un être solitaire, très mélancolique, très romantique, mais un romantisme amer très désabusé, beaucoup d’illusions perdues malgré sa jeunesse. Ces souvenirs sont perpétuellement ceux de l’enfance, de son enfance AVEC Anne, de leurs souvenirs communs. Olivier est un être solitaire, tourmenté, triste, se rappelant de l’exode durant la guerre, de la mort mal élucidée de son père. Il rêve de sa sœur, il rêve de cet amour impossible (très belles scènes dans l’hôtel, ou sur le Griec (petite île) où ils rejouent à faire le mort comme autrefois).Il y a une sensualité terrible dans ces pages-là.
Pierre est seul aussi – ses parents étant à l’étranger -, ses amis d’enfance furent Olivier et Anne et c’est tout naturellement qu’il se tourne vers ses deux amis.
Anne ne sait pas, elle imagine qu’il est logique et naturel qu’elle épouse Pierre, elle fera ce que dira son frère.
Et puis, ce sont les fins des vacances... le désespoir de Pierre qui perd l'amitié d'Olivier, et celui d'Olivier qui perd là sa soeur et son enfance. C'est une fin douce et sereine, d'une infinie tristesse, mais pouvait-il en être autrement ?
« Les jours tombèrent.
Ils se baignaient vers midi, Pierre revenait déjeuner au manoir. L’après-midi, quand ils ne retournaient pas tous les trois sur la plage, ils se promenaient dans la lande, toujours tous les trois, et entre les fougères que l’été commençait à brunir, le mince sentier des douaniers les emmenait vers quelque cap, Olivier, puis Anne, puis Pierre, au-dessus d’une mer lisse, glacée de soleil, et ramenai dans le soir leurs pas absorbés, silencieux, leurs visages baisés. Olivier, puis Anne, puis Pierre, jusqu’à la barrière blanche où il se séparaient. Depuis que Louise, la domestique des Aldrouze, était revenue de Quimper où elle avait passé huit jours dabs sa famille, Anne pouvait dîner presque chaque jour chez Pierre. Olivier restait seul, le soir, à l’attendre, assis dans le salon, tournant les pages d’un livre déjà lu, écoutant le silence auquel seul un chien répondait, dans la campagne fourmillante de nuit. Soudain un bruit montait, feutré, régulier et doux, s’épanouissait dans un crissement de gravier, trois petites notes claires tintaient contre les marches du perron, la porte s’étirait en grinçant – puis, durant une prodigieuse seconde tout s’arrêtait – et aussitôt elle était là, debout dans la lumière, et sa voix seule emplissait la pièce. « Tu n’es pas encore couché ? » Il avait attendu trois heures pour entendre cette phrase unique.
Parfois ils allaient goûter à Brest, ou plutôt ils emmenaient Anne goûter : elle choisissait presque toujours une tartelette au flan et un puits d’amour, tandis qu’ils buvaient de la bière danoise. Parfois ils allaient manger des crêpes – ces crêpes épaisses, grasses et fondantes – chez des fermiers qu’ils connaissaient, Kervélegan, Perec ou Le Gallois ; ils revenaient le long des chemins bordés de pommiers, s’arrêtaient devant l’éternelle barrière,
Et il les regardait s’éloigner, s’éloigner, glisser loin de lui, et il restait appuyé à la barrière, déchiré par cette illusion de légèreté que donnent les êtres qui nous quittent. »
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« tous les hommes sont misogynes, dit Nicolas en souriant, mais Olivier c’est différent : c’est le plaisir qu’il n’aime pas. »
« - Mais à quoi sens-tu qu’elle t’échappe ? »
« Au fond, pourquoi tu épouses Anne ? »
« Il accueillait sa solitude avec la même résignation placide dont il offrait, quand il aurait dû être heureux, le décevant spectacle. »
« laisse ta sœur se marier. » dit la mère à son fils
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« Qui suis-je ? Qui étais-je ? Je ne trouverai jamais ma nuit. C'est moi que je prie, c'est moi qui m'exauce. Dieu dans sa haine nous a tous laissés libres. Mais il nous a donné la soif pour que nous l'aimions. Je ne puis lui pardonner la soif. Mon cœur est vierge, rien de ce que je conquiers ne me possède ! On ne connaîtra jamais de moi-même que ma soif délirante de connaître. Je ne suis que curieux. Je scrute. J'explore. La curiosité c'est la haine. Une haine plus pure, plus désintéressée que toute science et qui presse les autres de plus de soins que l'amour - qui les détaille, les décompose. Me suis-je donc tant appliqué à te connaître, Anne, ai-je passé tant de nuits à te rêver, placé tant d'espoir à percer ton secret indéchiffrable, et poussé jusqu'à cette nuit tant de soupirs, subi tant de peines, pour découvrir que mon étrange amour n'était qu'une façon d'approcher la mort ? »
Bien plus tard, bien des années plus tard, la tête et les jambes engourdies près de cette falaise où Olivier rêvai un jour la chute de sa soeur, Olivier se levera, la tête lasse : "à quoi bon tant de lettres ?" ; et puis il y a cette mer là en bas, "si pure, si lissées, si lassée de soleil" ...
René Guy Cadou est mort jeune à 31 ans. Ce fut le poète de l’amitié, de l’amour, de l’enfance…
Jacques Bertin lui consacre un beau film (oct 1999) : « De Louisfert à Rochefort sur Loire » . La version DVD offre en outre un livret de 28 pages très bien fait et 1 CD supplémentaire :
- 10 poèmes dits par Daniel Gélin
- 17 poèmes chantés par divers chanteurs : Robine, Beaucarne (ah ! comme l’interprétation et la mélodie de « Lettre à des amis perdus » de l’ami Julos sont splendides !!!), Bernard, Macho (dont la belle voix évoque celle de Chelon), Caplanne…
Dans ce film les poèmes ou extraits de poèmes sont lus par Michel de Maulne de manière magistrale.
Dans ce beau film on apprend :
- qu’il est né en Brière, ce pays tourbeux faits de mortas, ces arbres pourrissants qui datent de la préhistoire
- que ses parents tous deux instituteurs sont laïques, qu’il a les yeux bleus clairs, il est jovial, un aspect de Tintin avec ses pantalons de golf
- à 7 ans il quitte la campagne pour la ville (St Nazaire puis Nantes)
- sa mère meurt, il a 12 ans, il fait l’école buissonnière
- voit que son père écrit : alors ils se parlent
- écrit dès l’âge de 14 ans, fenêtre devant la Loire, la morgue est juste là, son premier recueil s’appellera « Les brancardiers de l’aube ». Il n’a que 17 ans !
- à Nantes un libraire passionné Michel Manoll (mais dont le vrai nom est identique au mien :-) ) l’initie : Jacob, Reverdy…
- a 1 au bac français
- son père meurt, il n’a que 20 ans
- puis ce sont les années de guerre il est instituteur remplaçant dans divers villages du pays basque puis de la Loire inférieure, souffre du froid, de la solitude, le facteur est son seul ami, il attend avec impatience les lettres amies…
- le 20 octobre 1941 il est là pour les « fusillés de Chateaubriand » (dont Guy Mocquet qui n’a que 17 ans), il les verra passer… « Ils sont appuyés contre le ciel ». Puis c’est un hiver noir.
- Enfin « l’école de Rochefort » est créée : jean Bouhier, jean Rousselot, Michel Manoll, Luc Bérimont ; c’est l’amitié qui joue ; on publie ce qui est rare en ces temps de guerre… On marche de bistrot en bistrot boire la « fillette » de trop, on passe le fleuve, de bras en îles…
- Un unique roman : « la maison d’été »
- Libération de Nantes en Août 44, PCF, recueil « pleine poitrine » l’engagement est là, même s’il est différent de celui d’Aragon ou d’Eluard ; fin de l’école de Rochefort à la libération ; on lui demande de monter à Paris, pour ses œuvres littéraires ça serait mieux, il préfère ses villages, « le bonheur de ne plaire à personne »
- Louisfert en 46 : c’est le bonheur avec Hélène, enfin « l’enracinement », le couple qui commence
- Il écrit de 17h jusqu’à 20 h avec discipline et dans son bureau uniquement avec ses objets, son chien… « ma vie commence à 5 h du soir » disait-il
- Chaque jeudi il part à Nantes faire « la fête » avec Paul Fort (76 ans) et son ami Bouhier, qui a comme lui une trentaine d’années
- Malade dès 46, son cancer le laissera vivre encore 5 ans, il meurt le 20 mars 1951. Il laisse un exceptionnel poème sur ses amis « La soirée de décembre »
- ses amis couvrent son cercueil de primevères, fleurs amassées
dans des paniers de vendanges…
Un tel poète peut-il mourir ?
Il y parle de la présence aux choses
Du travail pour trouver le mot juste
Qu'il ne faut pas craindre l'échec
Qu'il peut être important d'avoir « un port d'attache »
De la découverte, enfant, des beautés des cartes de géographie et du ravissement à les parcourir avec le doigt « comme des polars »
Que l'espace est sa drogue, cette immensité qui le rendra « saoûl de bonheur »
Le déplacement géographique c'était son écriture
Et la liberté de son espace, sa liberté intérieure
On peut voyager seul, avec un ami, ou en famille, mais voyager est le seul moyen pour rapporter des « scories », des « gri-gri ».
La route est le défilement heureux ; chaque événement dictera la forme littéraire
Et tout cela 20 ans avant Kerouac !
On apprend qu'il écrit debout en fixant des feuilles aux murs « à la main »
On y apprend qu'il est gaucher et qu'il aime écrire avec un feutre
(on a l'impression qu'il appuie trop fort sur son crayon, j'ai l'impression que le bruit que fait le feutre frotté sur le papier participe au bonheur de l'écriture ?) il a une écriture déjantée, je la trouve cunéiforme
Qu'il recopiait des poèmes pour les mémoriser, une « magie blanche »
(« l'exercice de la main est salubre »)
Tous les livres importants nous aident à régler notre mort et donnent aussi le courage nécessaire pour continuer, le livre c'est la multi-vitamine
Cela permet de relativiser les problèmes, certaines lectures « choc » comme « l'arrangement » d'Elia Kazan ...
Il serait donc possible de « vivre autrement ? »
Aimer les mots (j'avais écrit « morts » : lapsus calami ?) comme des personnages ?
« les mots pèsent le bon poids »
le plus important ne peut pas être dit par les mots, on est vaincu par les mots, mais on peut souvent le dire en musique...
Tomber amoureux ? « monter » amoureux serait plus juste
La musique était la seconde moitié de sa vie
Que l 'humour est essentiel : Kurdes et Beloutchs aimaient rire, il y restera plusieurs mois...
« mourir de rire » « idéalement avec une dame » ..
la géographie inépuisable du corps aimé
proverbe beloutch : « naître, errer, mourir, pourrir, être oublié. »
le génie des lieux ! = donner au lieu le temps qu'il mérite (c'est à dire : beaucoup de temps)
l'homme est grotesque
rires et larmes sont cousins (très belle anecdote à ce sujet sur la mort brutale de son père).
Etre omnivore et attentif
La mort c'est le sceau qui ferme la lettre, à qui est-elle adressée ?
Mort et temps / le suicide ? oui, mais ...
On doit TOUT à tout le monde : « un homme sans dettes est un homme suspect ».
La passion des iconographies , des planches anatomiques, l'image qui fut le métier « officiel » de Bouvier (« l'image m'a cultivé autant que les livres »)
Il faut être témoin, par l'écriture, par l'image, ne pas porter de jugement
Le bruit est horreur, le silence magnifique
Il fut distrait et rêveur
RIRE ( !) alors que triste de nature, le rire est essentiel, il a facilement les larmes aux yeux
L'amour de la poésie : Michaux, Holan ...
il faut le voir lire un poème de Michaux, il a la conviction d'un adolescent découvrant la poésie ; et puis sa voix, oh ! sa voix, belle dans les volutes d'une cigarette toujours présente...
le livre de Michaux éculé, est là présent à lui et en nous...
Nicolas Bouvier est mort à Genève en 2003, il allait avoir 63 ans.