un instant suspendu
à mes doigts. » René Guy Cadou

René Guy Cadou est mort jeune à 31 ans. Ce fut le poète de l’amitié, de l’amour, de l’enfance…
Jacques Bertin lui consacre un beau film (oct 1999) : « De Louisfert à Rochefort sur Loire » . La version DVD offre en outre un livret de 28 pages très bien fait et 1 CD supplémentaire :
- 10 poèmes dits par Daniel Gélin
- 17 poèmes chantés par divers chanteurs : Robine, Beaucarne (ah ! comme l’interprétation et la mélodie de « Lettre à des amis perdus » de l’ami Julos sont splendides !!!), Bernard, Macho (dont la belle voix évoque celle de Chelon), Caplanne…
Dans ce film les poèmes ou extraits de poèmes sont lus par Michel de Maulne de manière magistrale.
Dans ce beau film on apprend :
- qu’il est né en Brière, ce pays tourbeux faits de mortas, ces arbres pourrissants qui datent de la préhistoire
- que ses parents tous deux instituteurs sont laïques, qu’il a les yeux bleus clairs, il est jovial, un aspect de Tintin avec ses pantalons de golf
- à 7 ans il quitte la campagne pour la ville (St Nazaire puis Nantes)
- sa mère meurt, il a 12 ans, il fait l’école buissonnière
- voit que son père écrit : alors ils se parlent
- écrit dès l’âge de 14 ans, fenêtre devant la Loire, la morgue est juste là, son premier recueil s’appellera « Les brancardiers de l’aube ». Il n’a que 17 ans !
- à Nantes un libraire passionné Michel Manoll (mais dont le vrai nom est identique au mien :-) ) l’initie : Jacob, Reverdy…
- a 1 au bac français
- son père meurt, il n’a que 20 ans
- puis ce sont les années de guerre il est instituteur remplaçant dans divers villages du pays basque puis de la Loire inférieure, souffre du froid, de la solitude, le facteur est son seul ami, il attend avec impatience les lettres amies…
- le 20 octobre 1941 il est là pour les « fusillés de Chateaubriand » (dont Guy Mocquet qui n’a que 17 ans), il les verra passer… « Ils sont appuyés contre le ciel ». Puis c’est un hiver noir.
Ils sont trente appuyés contre le ciel
Avec toute la vie derrière eux
Ils sont plein d'étonnement pour leur épaule
Qui est un monument d'amour
Ils n'ont pas de recommandations à se faire
Parce qu’ils ne se quitteront jamais plus
L'un d'eux pense à un petit village
Où il allait à l'école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils rêvent
Ils sont bien au-delà de ces hommes
Qui les regardent mourir
Il y a entre eux la différence du martyre
Parce que le vent est passé là où ils chantent
Et leur seul regret est que ceux
Qui vont les tuer n'entendent pas
Le bruit énorme des paroles
Ils sont exacts au rendez-vous
Ils sont même en avance sur les autres
Pourtant ils disent qu'ils ne sont plus des apôtres
Et que tout est simple
Et que la mort surtout est une chose simple
Puisque toute liberté se survit
In Pleine Poitrine, 1946
- Enfin « l’école de Rochefort » est créée : jean Bouhier, jean Rousselot, Michel Manoll, Luc Bérimont ; c’est l’amitié qui joue ; on publie ce qui est rare en ces temps de guerre… On marche de bistrot en bistrot boire la « fillette » de trop, on passe le fleuve, de bras en îles…
- Un unique roman : « la maison d’été »
- Libération de Nantes en Août 44, PCF, recueil « pleine poitrine » l’engagement est là, même s’il est différent de celui d’Aragon ou d’Eluard ; fin de l’école de Rochefort à la libération ; on lui demande de monter à Paris, pour ses œuvres littéraires ça serait mieux, il préfère ses villages, « le bonheur de ne plaire à personne »
- Louisfert en 46 : c’est le bonheur avec Hélène, enfin « l’enracinement », le couple qui commence
- Il écrit de 17h jusqu’à 20 h avec discipline et dans son bureau uniquement avec ses objets, son chien… « ma vie commence à 5 h du soir » disait-il
- Chaque jeudi il part à Nantes faire « la fête » avec Paul Fort (76 ans) et son ami Bouhier, qui a comme lui une trentaine d’années
- Malade dès 46, son cancer le laissera vivre encore 5 ans, il meurt le 20 mars 1951. Il laisse un exceptionnel poème sur ses amis « La soirée de décembre »
- ses amis couvrent son cercueil de primevères, fleurs amassées
dans des paniers de vendanges…
Un tel poète peut-il mourir ?
Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté ?
Oh ! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
D'une journée, le long des rives du destin !
Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes ?
Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
De vous perdre sans cesse dans la foule
O crieurs de journaux intimes seuls prophètes
Seuls amis en ce monde et ailleurs !