
Hier, conférence sur Grosz au centre culturel de T.
Assis, je regarde autour de mon corps, d'autres sont là ; un homme cause devant un petit bureau, les peintures se succèdent. J'assiste à l'art, ainsi, avachi, assis, quelque part : "en retrait".
A ma gauche et seulement séparée de moi par un fauteuil vide, une jeune femme. Ses jambes croisées avec excès m'envoutent, attirent mon regard. Les pieds aussi. Les extrémités sont ensorcelantes : pieds, mains. Un nylon gris clair habille son mollet. Une jupe assez longue rouge, rose et grise. Un gros pull à gros col gris bleu. Puis les cheveux bruns, bien courts, elle a une position droite, de bonne écolière - bien sûr.
Il y a alors dans nos corps des incertitudes de position, elle bouge beaucoup comme si le fauteuil la blessait. J'entends avec une acuité maladive ses jambes se croiser et se décroiser ; elle les a très jolies et je perçois ce bruit aussi. Il fait bien sombre, c'est presque l'obscurité dans la salle, le rapprochement est immédiat, mes regards soutenus. Un grand silence aussi malgré les mots du conférencier. Son bassin remue lentement, elle tient ses mains serrées. Son corps semblerait parfait. Mon imagination démarre au quart de tour, des envies de corps nus, des îles à découvrir, des rires aux creux des sexes. C'est ma main - je la reconnais - qui déshabille. J'imagine une plage rousse où se languit l'eau brune. Mes impressions de longue vie, moi, amoureux aux poches vides. C'est le problème de MON existence, c'est un problème de définition.
Je me dis que la "mise en mots" serait peut être là la définition de la vie.
Certes, il arrivait parfois que la joie réussissait à saisir mon corps et par tourbillonements successifs et irréguliers à le rendre vers le ciel, donc cette petite mort.
Me vient à l'esprit : " un matin où le suicide a des attraits"... J'avais serré la pince à Jean-Roger Caussimon dans cette même salle. Ce grand bonhomme impressionnant. Ce roi des péniches. Il monte un vieil escalier sans doute à Paris, se retourne, une fille en robe descend, ses cheveux blonds sont longs. Il sourit de sa jeunesse.
Ma voisine est très belle, trop pour mes inquiétudes ; c'est l'idée précise de ma solitude. Elle se tourne et me sourit, je ne suis pas assez discret. Ce sont des instants d'humanité et d'incompréhensions.
A l'ami Caussimon répondait l'ami Ferré : "une robe de cuir comme un fuseau .../... une fille qui tangue un air anglais.../..." .

Son corps élastique et féminin dégageait des rayons fiévreux. Le crissement de ses jambes était comme grillons de psychanalyse. Etre amoureux, c'est simple : il suffit de regarder. J'avais le désir de toi dans ta forme féminine. Mes impressions de longue vie sont difficiles et disparates, mais il me faut pourtant les dire, simplement en voie de cicatrisation. C'est ainsi, le temps, la solitude, l'univers.
Cette plage de son corps à jamais inconnu. J'en rêve encore et je sens ma vie avec une puissance ferme.
Puis arrêt sur cette image : conclusion du conférencier sur une peinture : l'homme est bon. Art politique. Expressionnisme politique ? de quoi longtemps méditer...
Mais d'abord : Mademoiselle, je vous invite à boire un verre de Muscat au père Bacchus ; vos yeux et vos cheveux me vont à ravir. Et votre silhouette élégante . Nous boirons à l'honneur de Léo, Jean-Roger et Georg.

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