
Le lac est d'une très belle couleur verte, un grand nombre de roseaux l'enserrent ; la surface est d'une teinte étonnamment proche de celle des arbres alentour ; seules certaines essences sylvestres s'opposent au vert de l'eau ; les reflets soulignent cette union des couleurs.
Le sol est vaseux, de la terre glaise boueuse s'infiltre entre les doigts de pieds, un petit nuage d'argile s'échappe. Des animalcules à chaque pas zèbrent la vase.
L'hôtel un peu ancien est en bois, le patron est déguisé en cuisinier professionnel, peu avenant, très préoccupé sans doute.
Dans l'eau une longue jetée en bois défraîchie et vermoulue avec un plongeoir à son extrémité ; ce ponton a une odeur d'anciennetés, d'enfance ; il me rappelle des souvenirs indécis de lieux oubliés. J'imagine des enfants crier, des chambres à air comme des jouets, des frères et des sœurs, copains et copines, orangeades et sirops. Des mères attentives souriantes, heureuses apparemment.
Le soleil de dix-huit heures est encore fort, un canard barbotte ; trois cheminées bien loin abîment le paysage, peut-être une usine désaffectée.
Des enfants se baignent, un adulte âgé au torse très bronzé nage très loin en prenant le temps, il semble goûter le silence. Un poisson mystérieux vient tous les soirs longer les rives près de l'hôtel, quelqu'un me dit à côté qu'il s'agit d'une brème carpée, j'acquiesce comme si je connaissais ce type de poisson.
- Oui, ça y ressemble, dis-je.
La montagne est boisée avec des falaises et des éboulis, la pierre très blanche blesse le regard.
Quelques barques silencieuses et des hommes immobiles. Des pieux délimitent l'avancée des roseaux, les nénuphars ne sont pas encore en fleur, un cygne hautain quémande. Des petites maisons en bois semblent plus ou moins abandonnées. Ce soir, je mangerai de l'omble chevalier, j'aime bien ce nom.
Une église invisible sonne dans les bois d'improbables vêpres ; une autre barque s'élance avec une lenteur irréelle, le pêcheur économise chacun de ses mouvements ; on croirait qu'il craint de dénaturer la magie du lieu, peut-être cherche-t-il prudemment quelque chose à la surface de l'eau. Ses gestes ralentis sont beaux, ils semblent ancestraux.
Les enfants jouent, certains s'éclaboussent, ils crient ; à côté, des adultes se lèvent, se rhabillent, les femmes ont de massives fesses et de vilains seins, les hommes tous bedonnants avec des jambes ridiculement frêles ; l'extérieur de l'espèce humaine paraît alors bien misérable, la nature si triomphante et nous si laids. Heureusement ils ne parlent pas, c'est déjà ça. Plus loin des adolescents sont en groupe, flirtent, leurs rires sont francs, les filles minaudent, les garçons parlent fort. Certains tentent d'agripper des mains, d'autres plus loin marivaudent plus discrètement. Je les regarde bien, soudainement intéressé par leurs jeux amoureux, j'ai l'impression moi aussi que ce temps lointain était béni des dieux, que malgré les peines et les douleurs cent fois ressenties ces battements de cœur valaient tant et tant ! Ah, amis adolescents, profitez, profitez, le temps sans vergogne, sans scrupule est si court. Et si long à se remémorer.
Dans cette fin d'après-midi bleue et verte, seuls les corps des adolescents et des adolescentes nous offraient quelque espoir.


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