(très beau livre, très intéressant et une très belle préface d'Antonio Tabucchi)
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UN EXTRAIT des dons d'écriture de Marilyn :
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Papier à en-tête du Waldorf-Astoria (premier feuillet) 1955
(traduction Tiphaine Samoyault)
Arbres tristes et doux – je vous souhaite – le repos mais vous devez rester sur vos gardes.
C’était quoi maintenant – il y a un instant – qui était important et maintenant a fui – comme le mouvement rapide d’un instant passé – peut-être que je me souviendrai parce que ça faisait comme si ça allait devenir mien.
Tant et tant de lumières dans les ténèbres transformant les immeubles en squelette et la vie dans les rues.
A quoi pensais-je hier dans les rues ? ça semble si loin, si ancien et la lune si pleine et sombre. C’est mieux qu’on m’ait dit quand j’étais enfant ce qu’elle était sinon je ne pourrais pas la comprendre maintenant.
Bruits d’impatience des chauffeurs de taxi toujours conduisant qui ils doivent conduire – rues chaudes, poussiéreuses, verglacées pour pouvoir manger et peut-être épargner pour les vacances, pendant lesquelles ils conduisent leurs femmes à travers tout le pays pour visiter leurs familles à elles. Ensuite le fleuve – la partie faite de pepsi cola – le parc – dieu soit loué pour le parc.
Mais je ne cherche pas à voir ces choses
Je cherche mon amant.
C’est bien qu’on m’ait dit ce qu’était la lune quand j’étais enfant.
Le fleuve silencieux s’agite et remue dès que quelque chose passe dessus, le vent, la pluie, les gros bateaux. J’adore le fleuve – jamais affecté par quoi que ce soit.
C’est calme maintenant et le silence est seul exceptés le grondement de tonnerre des choses inconnues et au loin des coups de tambour très présents, et sauf des cris perçants et le murmure des choses, et les bruits aigus et soudain étouffés en gémissements au-delà de la tristesse – terreur au-delà de la peur. Le cri des choses, vague et trop jeune pour être connu.
Les sanglots de la vie même.
Tu dois souffrir – de la perte de ton or sombre quand ta couverture de feuilles déjà mortes te quitte
Fort et nu tu dois être – vivant quand tu regardes la mort droit devant penché sous le vent
Et porter la souffrance et la joie du nouveau dans tes membres.
Solitude – sois calme.
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Un hommage de ma part
Pour les 50 ans de la mort de cette femme malheureuse
et dépressive
(et bougrement humaine)
que j'ai toujours follement aimé /
A celle qui cherchait avec douleur à être « a true actress »
A celle qui n’a jamais connu son père, qui a vu sa grand-mère et sa mère sombrer dans la folie
Qui ne sera quasiment jamais avec sa mère, élevée par d’autres et sera mise en orphelinat dès l’âge de 9 ans -
(épousa dès 16 ans un homme pour quitter l'orphelinat)
Qui fit de nombreuses fausse couches et ne tomba jamais sur l’homme honnête, celui qui aurait pu être un père pour elle, un amant, un mari, un père pour ses enfants
(sauf sans doute le second mari Di Maggio qui fut celui qui la sortit de l’unité psychiatrique après 5 jours infernaux et aussi le seul à son enterrement)
L’image sexuelle qu’elle donnait était pour elle le seul moyen « d’exister », sa quête identitaire ; exister c’est autre chose, n’est-ce pas ? Obligée de jouer un rôle dans sa vie de tous les jours alors qu’elle ne souhaitait que du bonheur simple, obligée de mettre son corps en avant alors que son âme écrivait des plaintes poétiques
Lee Strasberg, professeur de théâtre, fut le premier à imaginer une autre carrière pour Marilyn, puis Paula sa femme s’y mit aussi (sans doute avec des idées maladroites derrière : ils furent d’ailleurs les héritiers de Marilyn) : faire tomber les masques, rechercher et trouver enfin une famille
Avec Arthur Miller, l’ « intellectuel», elle crut enfin y voir une marque de reconnaissance, autre chose, mais A.M. la trahit comme tous les autres, y compris Montand, y compris J.F. Kennedy pour lequel elle ne fut sans doute qu’une starlette de plus à son palmarès…
Son dernier film « Misfits » est cependant un chef d’œuvre (pourtant il sera mal accueilli par la critique), dernier film aussi pour Clark Gable mort quelques mois après (on lui reprocha véhémentement de l’avoir « fatigué ») ; scénario sans doute trop intimiste car écrit par A. Miller, le personnage de Roselyne dans le film EST celui de Marilyn : une femme triste et désoeuvrée, aux réactions parfois incohérentes, en perpétuelle quête identitaire…
A bout de souffle elle se réfugiera dans l’alcool, les drogues - somnifères et amphétamines - et la psychanalyse ; Ralph Greenson y pratiqua des labours intensifs sans résultats probants (il abandonnera la psychanalyse d’ailleurs après la mort de l’actrice)
Seule ! (et oui cela parait incroyable) dans sa maison vide, très dénudée, elle sombre encore plus dans l'alcoolisme et la dépression ; ivre aux Golden Globe où elle reçoit une récompense, tous ses amis s’éloignent d’elle ; les gens de la Fox aussi qui payaient royalement Elisabeth Taylor et d’autres, alors que Marilyn avait un cachet de misère…
Le jour de sa mort accidentelle (vraisemblablement), bien sans doute que les idées suicidaires aient toujours été présentes, Ralph Greenson ne la sent pas bien et demande à une gouvernante de rester avec elle, mais cette dernière est comme tout le monde : inattentive…
Marilyn, la dépressive, la paumée, la malheureuse, celle qui rêvait de bonheur simple et de jouer de vrais rôles d’actrice, meurt à 36 ans dans son lit, seule encore ivre et droguée, abrutie…
et abandonnée de tous
je t'embrasse Marilyn et te prends la main...
