En littérature, j'ai toujours aimé les stylistes, ceux qui rédigent avec un don d'écriture, pas seulement ceux qui savent raconter une histoire, mais ceux qui la narrent bien avec leur propre écriture lorsque celle-ci est magique ; c'est pour cela que j'aime Raymond Carver et son style intimiste et minimaliste, James Salter pour sa flamboyance, Haruki Murakami pour son habile nonchalance, Richard Brautigan pour son humour mélancolique, Pierre Dumayet pour son surréalisme magnifique, Christian Gailly pour ses syncopes formidables, Albert Camus pour sa philosophie du soleil et de l'homme, sa recherche du mot "juste",etc etc...
Que dire alors d'Erri de Luca ? Chacun de ses livres est une merveille d'écriture poétique, de phrases incroyables ; dans ce très court texte, l'histoire est banale, deux êtres en fin de vie : un chasseur et le "roi" des chamois... c'est tout. Mais c'est 58 pages de pur bonheur de lecteur, chaque phrase, chaque paragraphe est une épure, chaque mot est à sa place, pas de fioritures ; et l'écriture est magique ! D'une poésie exemplaire. Qui pourrait raconter mieux que cet écrivain cette histoire-là ? Un bijou à lire absolument.
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"Les sabots des chamois sont les quatre doigts d'un violoniste. Ils vont à l'aveuglette sans se tromper d'un millimètre. Ils giclent sur des à-pics, jongleurs en montée, acrobates en descente, ce sont des artistes de cirque pour le public des montagnes. Les sabots des chamois s'agrippent à l'air. Le cal en forme de coussinet sert de silencieux quand il veut, sinon l'ongle divisé en deux est une castagnette de flamenco. Les sabots des chamois sont quatre as dans la poche d'un tricheur. Avec eux, la pesanteur est une variante du thème, pas une loi."
E. De Luca.