Henri Roorda est né à Lausanne en 1870, il se suicidera à 55 ans. Professeur de mathématiques, il rédigera des petites essais pédago-philosophiques : « le roseau pensotant », « le débourrage des crânes est-il possible », « le pédagogue n’aime pas les enfants » … Tous ces ouvrages sont bourrés d’humour, d’ironie, et de regards très lucides et sévères sur notre « société » et sur l’enseignement.
Il laisse à sa mort un livre qu’il voulait intituler initialement « le pessimisme joyeux », qu’il nommera finalement « Mon suicide », il dit dans la préface que ce titre est plus alléchant, « le public ayant un goût prononcé pour le mélodrame ».
M’intéressant depuis l’âge de 15 ans au choix du suicide, je possède quantités de livres abordant le sujet. Mais c’est ce livre, celui de Roorda que je réouvre le plus souvent, d’abord parce qu’il est court et très « franc », il aborde en quelques petits paragraphes les vrais problèmes du choix de vivre et expose ses idées clairement et de façon décisive. Ecrit en 1925, ce livre est étonnamment moderne, et en fait puissamment libertaire.
En quelques chapitres très courts :
J’aime la vie facile
Les provisions
L’argent
J’ai mal vécu
C’est une mauvaise action
Le professeur de morale et le physiologiste
L’individu et la société
Les gens rangés, les bons citoyens
Ce qui dure trop
Dernières pensées avant de mourir
Il indique clairement ses choix, ses idées, ses soucis. (tous les textes en VERT sont de lui)
Après avoir beaucoup travaillé pendant trente-trois ans, je suis fatigué. Et plutôt que de faire attention à mener une vie plus « hygiénique », il préfère s’en aller.
Les richesses sociales sont limitées en quantité ; le travail est fatiguant ; l’être humain est condamné à vieillir et à s’affaiblir. Cela, on ne le changera pas.
Il souhaitait une société où le travail corvée serait réduit au minimum et où l’on aurait chaque jour, beaucoup d’heures pour aimer, pour jouir de son corps et pour jouer avec son intelligence.
Quand on me parle des Intérêts supérieurs de l’Humanité, je ne comprends pas. Mais j’aime le râble de chevreuil et le vieux Bourgogne. Et je sais ce qu’il peut y avoir d’adorable dans la poésie, dans la musique et dans le sourire d’une femme.
Pour que la société dure avec sa structure actuelle*, il faut que les individus se marient et fondent des familles. Mais dans l’immense majorité des cas, le mariage est un lien qui fait souffrir. Deux êtres qui sont faits pour s’entendre ne sont pas nécessairement faits pour vivre ensemble du matin au soir et du soir au matin, 40 ans de suite. Parce qu’ils sont doués de sensibilité et d’imagination, par le simple fait qu’ils sont vivants, l’homme et la femme sont incapables d’obéir au représentant de l’état, qui leur dit : il faut que désormais vos sentiments ne changent plus.
* existera-t-il un jour une société très différente de la nôtre, où les individus pourront plus facilement se rapprocher et se séparer les uns des autres ? (il se rapproche et de beaucoup aux visées hédonistes de Michel Onfray)
Je n’étais pas fait pour vivre dans un monde où l’on doit consacrer sa jeunesse à la préparation de sa vieillesse.
Je ne comprends pas l’indifférence avec laquelle tant de gens supportent chaque jour ces heures vides où ils ne font pas autre chose que d’attendre.
J’ai besoin d’être ému par les vérités que j’enseigne.
Je suis un joueur qui ne demanderait pas mieux que de continuer à jouer, mais qui ne veut pas accepter les règles du jeu.
Henri Roorda était très brillant et sans doute trop exigeant avec lui même.
la lettre qui clot le livre rédigée la veille de sa mort.
«C’était un grand humoriste, désespéré, tolérant, d’une lucidité dévastatrice, gai comme un lapin. Pourquoi est-il à ce point oublié? Peut-être parce qu’il était suisse, et que, cliché aidant, on ne s’attend pas à entendre un grand éclat de rire éclater en Suisse. (…) Pour lui, l’ignorance n’était pas le plus grand des maux: il fallait surtout procéder au «débourrage des crânes». Rien n’a changé. Rien à changer.»
Jean-Luc Porquet, Le Canard Enchaîné, 28 juillet 2004
Henri Roorda, lecteur de l'Emile
Tanguy L'Aminot 1
1 CNRS, University of Paris, Sorbonne
ABSTRACT
Henri Roorda (1870–1925) est aujourd'hui quelque peu oublié dans la liste des théoriciens et réformateurs de l'éducation moderne. Il a pourtant troublé leur univers en publiant en 1917 un livre où il prenait vivement la défense de l'enfant contre les pratiques pédagogiques en cours à l'époque : Le Pédagogue n'aime pas les enfants. Roorda trouva en Rousseau le penseur qui avait ouvert la voie. Proche du mouvement anarchiste, il associa la pensée du Citoyen de Genève à celles des théoriciens libertaires qui, comme Sébastien Faure, Elisée Reclus ou Domela Nieuwenhuis, réfléchissaient alors à la création d'une autre école. Il œuvra toute sa vie au sein du système scolaire pour une approche différente et plus humaine de l'enfant.