
Et alors j’aurais marché jusqu’à perdre haleine, jusqu’à plus soif
Odeur de thym / romarin aux baskets trempées
L’air qui fouette
L’eau qui prend
Etre rapide, marcher vite, fouler au sol
Ne penser à rien surtout pas à elles et leur somme d’insatisfactions
Donc progresser
Il y aurait peut-être une idée qui se dessinerait dans la fouaille de l’air
Un air de romantisme, comme dirait l’autre une histoire d’amour ( ?)
Mais aussi simplement
Une idée de l’autre, ou un air de branchage, un coup de vent dans les voiles
Larguez les amarres, larguez tout l’inutile, on ne se gardera que soi
L’ancre n’existe plus
Le fond est trop profond
L’attache est rompue
Peut-on ainsi passer si facilement de l’une à l’autre
Ou changer de vie, changer de vie ?
Je n’ai qu’une vie, un cœur rouge, un muscle qui se contracte, je n’ai prise, ou fermant les yeux le faire ralentir, écouter le pouls lisse , le pouls il file ;
Ainsi se baladant le temps s’effiloche, quelque part mine de rien : ça passe, et secondes puis minutes ;
On me dirait : à quoi penses-tu ? Mais si je pense, c’est en désordre, c’est inorganisé c’est l’anarchie des paroles et des idées ; des mots qui s’entrechoquent, des cuisses et des sexes différents qui s’ouvrent, pruneaux mûrs très goûteux, juteux, acidité femelle. Idées de littérature, de romanciers, de poètes, de finitude.
Ou ?
Ou se reposer là sous ce chêne, y chercher le feu, la main sur l’écorce ressentir la vie, se ressourcer ? et puis non, marcher, marcher c’est encore mieux, chaque pas fait oublier le reste, les yeux scrutent le sol, l’esprit fait marcher. Les pas succèdent aux pas.
Donc définir sa vie, il y a ceux qui voyagent, ceux qui bricolent leur maison, et pour les autres ? ceux qui cherchent dans l’ovale de deux lèvres tout l’or du monde, ceux qui s’en éloignent. Ceux qui dans les livres cherchent des réponses et ceux qui n’y trouvent que questions ?
Mal à la tête, ce vin était trop fort, Gigondas et ses cailloux chauffés comme silex et ses vignes brunes rousses, le pampre lui-même roux.
Donc marcher, je vais faire ce grand tour, ceindre mon univers, rechercher la faille, les lézardes puissantes, le temps a creusé.
Donc elle me dit : alors ?
Oui alors, c’est une bonne question, mais à dire vrai je ne donne pas de réponse, je suis déjà trop épuisé par trop de nourriture et trop d’attentisme ; ou trop de fébrilité, l’inorganisation de mon monde et de ses annexes. Parfois je m’imagine soldat, un gros trou dans le front et bien sûr : je dors. Le refuge dans le sommeil, quelle bonne idée, et puis les endorphines marchent mieux, les synapses lancent désespérées leurs petits bras salvateurs, très souvent le vide cérébral est là rageant, brûlant, avec une impression de rien du tout.
Il y a un effet mécanique dans la marche, presque robotique qui doit plaire aux vrais marcheurs, utiliser le corps mais pas le cerveau. Il doit y avoir un effet mécanique dans la baise : utiliser le corps, mais pas le cerveau, tout juste l’utilisation raisonnée de quelques muscles, savoir les maîtriser essentiellement. Enfin le cerveau reprendrait le dessus peut-être au moment ultime, lèvres de feux, sperme bouillant. Encore une histoire d’endorphines ? mensonge suprême !
Les nuages, oui regarder les nuages, les beaux nuages, là aussi retourner en enfance, dans les champs enfantins où les nuages étaient amis ; maintenant ils ont pris des noms latins pour nous satisfaire, car l’homme adulte a la brutale obligation de la classification ; moi-même, bien piètre coléoptériste et naturaliste, j’avais commencé à classifier, à parler latin, cherchais-je déjà à me rassurer ? maintenant je n’apprends plus les noms, même ceux des gens je les oublie, j’essaye plutôt la mémoire des traits, du regard ou du grain de la peau. Je me suis fait des amis ainsi, j’en ai perdu d’autres ; certains sourient, d’autres sont perdus. De toute façon je ne suis plus un jeune adulte, je suis un adulte déjà vieillissant. Et j’aime l’enveloppe des arbres, le grain de ce chêne par exemple, surpris de découvrir des glands géants sur ce minuscule arbre ratatiné en pleine garrigue.
Bon à vrai dire, il faut donc décider ce que sera sa vie, voilà une tâche bien ardue et peu commode, donnant beaucoup à regretter, la maladie du remords, le vieillissement prématuré, les artères qui s’encrassent.
Je me rappelle donc de ma jeunesse, mon adolescence, le bon cul de S., mon premier dans la chambre du bas très claire, avec la lumière qu’il fallait, en biais. Son sourire était fameux ; elle est maintenant mariée à G. un ami lycéen de jadis, le monde est petit ; les gens ont tant de mal à se rencontrer. Le monde m’a toujours semblé n’être qu’un astre de solitude désespérée, une boule noire, les communications coupées. Heureux qu’il y ait eu le sexe pour se rapprocher, s’emboîter, s’approcher, devenir timide.
Les études, un métier qui s’impose et puis voilà : ma vie résumée en quelques phrases maladroites ; maintenant je cherche cette insuffisance centrale de l’âme dont tout le monde parle. Je ne me reposerais qu’après l’avoir pressentie.
Ca y est encore : le vide revient ; j’hésite sur la direction à prendre, après tout je suis censé vous narrer une histoire, un roman, un récit, juste des phrases, un baptême de l’écriture.
Ou écrire ou reprendre la marche, pourquoi suis-je si seul sur ce chemin, cette garrigue remplie d’exhalaisons ; bon, de toute façon ne pas rester là contre ce chêne, je ne suis pas un druide gaulois cherchant le feu, mais bien un papillon perdu tournoyant en vain, refusant sa bien trop courte vie. Donc je repars, la pluie est fine, aiguail clair, le soleil est là, j’aime ces mélanges de lumière et d’eau : un photographe ou un peintre auraient su quoi en faire, moi simplement je les traverse dans ma marche, démarche ébrieuse. J’essaye de me redresser, épaules en arrière, nuque relevée, mais la vie moderne m’a tellement plié en deux que j’ai beaucoup de mal à me remettre droit, c’est pourtant la meilleure façon de voir loin. Etrange sentiment là, sous cette lumière mordorée, au pied de la Sainte Victoire, garrigue enchantée, pieds enfoncés, cheveux trempés j’ai eu presque le sentiment d’exister. Mais par rapport à quoi ? à qui ? ce n’est pas la nausée que je ressens, mais une impression d’irréalité, comme si j’étais l’acteur d’un film, jeune homme prometteur ; or je sais qu’il n’en est rien, ce n'est pas moi qui toucherais aux starlettes dévêtues et rieuses, insouciantes. Je sais déjà que je tourne en rond, fais du surplace même si on me voit m'agiter beaucoup. Agitation des condamnés, des solitaires, des dépressifs. Revient sur mes pas, vers mon passé.
Ou, le silence et l'immobilisme ; il fait si bon ce silence, rester sans trembler là dans la lumière et ne chercher rien, rien du tout ; simplement prendre conscience des secondes qui s'égrainent. La dérision pourrait être mon arme ultime ; c'est une arme qui déplait aux autres ; mais moi je suis démuni, simple nabab orgueilleux d'amitié et en recherche de désespoir ; mystique sans mysticisme, amoureux seulement de la pluie tombante car chaque gouttelette éjacule en moi sa force terrestre, bouillonnante ; sa gravité seulement et moi ma morosité taciturne.
Se taire donc et avancer, oh! Belle montagne! Belle couleur! Zoom arrière et l'immensité apparaît. Juste, manque la mer.

