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(133 pages de poèmes et textes poétiques, pour la plupart ici sur mon blog)

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"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen

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2 février 2014 7 02 /02 /février /2014 16:17

Junnosuke Yoshiyuki (1924-1994) était fils de poète. On le sent bien lorsqu’on lit sa prose courte, aérée, flamboyante. Que la littérature japonaise est étincelante et inattendue, originale…

Dans ce livre, que certains amoureux de Yoshiyuki n’aiment pas, car trop énigmatique, trop lent, non abouti… Il y a justement tout ce que j’aime dans l’art japonais de l’écrit : le non-dit, les allusions, les incompréhensions, les difficultés de communications entre les être humains et particulièrement les hommes et les femmes et leurs désirs et leurs fantasmes si différents. On a l’impression parfois de lire du Haruki Murakami.

On parle d’épure. Il s’agit bien de cela dans ce livre : un homme de quarante ans vit une drôle de relation amoureuse avec une très jeune femme de vingt-deux ans.  Beaucoup de « Love Hôtels » mais pas de pénétration. Outre les relations et les modes de vie typiquement japonais, il y a de l’universel encore une fois dans ce livre : de la tendresse maladroite et du désir malhabile, des choix difficiles, une vie délicate jamais satisfaite, des orientations inattendues, de la souffrance de part et d’autre.

 

Incompréhension entre les sexes et les générations ? Oui très vraisemblablement.

 

Grand livre, une fois de plus chez cet auteur, grand admirateur et traducteur d’Henry Miller ? Oui, assurément.

 

Jusqu'au soir-Yoshiyuki

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27 novembre 2013 3 27 /11 /novembre /2013 08:53

Scintillation

 

   Difficile de dire à la fermeture de « Scintillation » ce que l’on ressent. Enigmatique, sans nul doute.

   Bien sûr, on vient de lire un livre d’exception, écrit dans une langue forte, celle d’un poète qui vers 30 ans décida d’arrêter de se détruire et d’écrire de la poésie ; 10 ans plus tard après une dizaine de recueils, il se tournera vers le roman. « Scintillation » est le 6ième roman du poète John Burnside.

   Dans une presqu’île polluée à outrance par une ancienne usine chimique abandonnée et par une industrialisation forcenée, dans « Intraville », la vie et la mort semblent se ressembler (un monde dévasté aussi qui pourrait ressembler aux images de Stalker de Tarkovski) ; sous le court prétexte de disparitions d’enfants, l’auteur fait une critique très sévère du capitalisme, du profit, de l’apathie du peuple, du laisser-faire, de la misère du monde moderne ; mais d’un point de vue totalement poétique. Ce qui donne un objet inhabituel, un livre carrément à part.

   Plusieurs personnages dérivent dans le livre, on s’intéresse particulièrement à Léonard, jeune adolescent qui aime les livres ; quand on connaît l’enfance extrêmement difficile de John Burnside, on comprend clairement la parenté (encore que le bibliothécaire dont le prénom est John s’amuse de l’enthousiasme de son jeune lecteur) ; d’autant plus qu’enfant l’auteur s’est lui-même réfugié dans les livres afin de ne pas mourir. Les livres, c’était la liberté. La liberté était dehors, à la maison c’était l’enfer.

   Mais ce fut limite (lire les excellents articles dans le matricule des anges), si le père de Burnside était violent et alcoolique, son fils lui aura cherché à décoller d’une Ecosse triste par les drogues et diverses révoltes, en particulier contre les dérèglements environnementaux ;  ce n’est que très tardivement que ce dernier se mettra à écrire des romans et son premier roman « La maison muette » (1997) est déjà très construit et très personnel.

   Ce qui sous-tend les œuvres de cet auteur, c’est son profond désarroi sur la nature humaine et sur les politiciens et la politique, les notions de révolution, l’importance de l’adolescence : là où on peut « changer ». Un pessimisme à toute épreuve.

   Dans la version française, il y a un petit prologue qu’on comprend mieux à la fin du roman ; l’auteur a enlevé ce prologue dans l’édition américaine afin de laisser davantage d’ambiguïté.

   Ce livre demanderait plusieurs lectures, tant le premier goût reste amer en bouche ; on a l’impression d’être passé proche d’un chef d’œuvre, donc vérifions-le. 

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Lire les excellents articles sur cet écrivain dans le N° d'octobre 2011 du "Matricule des anges". 

Burnside-Matricule des anges

 


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9 septembre 2013 1 09 /09 /septembre /2013 08:41

Cela fait 3-4 fois que je lis ce petit livre de la "chronique d'une folie" ; William Styron ("Le choix de Sophie", "Un lit de ténèbres"... entre autres) a souffert très sérieusement d'une grave dépression l'amenant au seuil de la mort.

Il en parle dans ce petit livre dont Philippe Sollers dit :

"Nous ne croyons pas à l'Enfer, nous sommes incapables d el'imaginer et pourtant il existe, on peut s'y retrouver brusquement au-delà de toute expression. Telle est la leçon de ce petit livre magnifique et terrible.

Récit d'une dépression grave, avec son cortège d'angoisses, d'insomnbies, de "rafales destructrices", de tentations de suicide, il nous montre pour la première fois ce qu'est vréellement cette tempête des ténèbres" intérieure qui peut frapper n'importe qui à chaque instant, mais peut-être plus particulièrement certains écrivains, ou artistes. Hemingway, Virginia Woolf, Romain Gary, Primo Levi, Van Gogh : la liste de ces proies désignées de l'ombre serait longue.

Enfer, donc, comme celui de Dante, douleur sans autre issue que celle de l'autodestruction, état de transe incommunicable que ne soupçonnent pas les autres, pas même les psychiatres. Pourtant, la guérison est possible, on peut en tirer une connaissance nouvelle. Avec précision et courage, le grand romancier qu'est William Styron plaide ici à la fois pour une meilleure compréhension de notre prochain abîmé dans l'horreur, et contre le goût du néant qui nous guette tous." (quatrième de couverture)

 

William-Styron

   Arrivant à Paris pour recevoir un prix littéraire, l'auteur y commence son livre : la vue des endroits où Romain Gary, son ami, se tua, où Jean Seberg quelques années plus tôt fit de même lui rappelle qu'entre dépression, mal-être et mélancolie et suicides réels ou différés-délégués (Camus ?) (Camus  qui sachait que le fils Gallimard était un adepte de la vitesse, aimait rouler vite / Camus ne disait-il pas dans le Mythe de Sisyphe : "Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie.", tout est lié dans cette noirceur. D'autres suicides encore : Abbie Hoffman, Randall Jarrell, Primo Levi...

 

  William Styron est assez dur avec les psychiatres d'autrefois qui prescrivaient des molécules toutes nouvelles, toutes récentes, sans trop connaître les effets indésirables, ni les bonnes posologies. Lorsque Styron se fera hospitaliser en urgence la nuit même où il avait décidé d'en finir, il apprendra qu'il prenait un médicament déconseillé pour son âge, déconseillé pour ses problèmes et qu'il prenait 3 fois la dose recommandée (le Triazolan, interdit depuis dans maints pays...). A l'époque de découverte de tous ces anxiolytiques et anti-dépresseurs, la mode était de les tester un par un chez les patients un peu à l'aveuglette.

 

  William Styron parle de flux et de reflux de vagues mélancoliques, de ses insomnies incroyablement délétères et des pensées suicidaires constantes. La nuit où "a priori" il pensait en finir, il regardait un DVD d'une de ses pièces ; il fut sauvé par la musique, l'incroyable beauté d'une rhapsodie pour contralto de Brahms lui fit prendre conscience brutalement de l'intérêt de vivre. Il alla réveiller sa femme Rose et la nuit même il fut hospitalisé. A l'hopital des médecins plus précautionneux et plus attentifs lui sauvèrent la vie. L'ambiance même de l'hopital, le côté "prison" et le temps qui passe lui furent très bénéfiques. Il écrit : "Pour moi, les vrais guérisseurs furent la solitude et le temps."

 

Fin du livre :

" Quant à ceux qui ont séjourné dans la sombre forêt de la dépression et connu son inexplicable torture, leur remontée de l'abîme n'est pas sans analogie avec l'ascension du poète, qui laborieusement se hisse pour échapper aux noires entrailles de l'enfer et émerge enfin dans ce qui lui apparaît comme le "monde radieux". Là quiconque a recouvré la santé, a presque toujours également recoucré l'aptitude à la sérénité et à la joie, et c'est peut-être là un ecompensation suffisante pour avoir enduré cette désespérance au-delà de la désespérance.

E quindi uscimmo a riveder le stelle.

Et là nous sortîmes pour revoir les étoiles."

William Styron

 

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17 juillet 2013 3 17 /07 /juillet /2013 08:50

«Ne jamais rien faire d'autre que de raconter une histoire.»

 ransmayr

 

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   Je vous ai déjà dit tout le bien  que je pensais du roman atypique de Christoph Ransmayr, "les montagnes volantes" ; un de ses autres romans (le troisième) écrit bien plus tôt et tout aussi déroutant est tout aussi majestueux : Le syndrome de Kitahara (prix Aristeion 1996 - ex aequo avec Salman Rushdie). Après avoir été chroniqueur culturel, depuis 1982 il ne fait plus qu’écrire et ces romans sont malheureusement bien trop rares.

 

La Quatrième de couverture dit :

 

   « Deux morts gisaient noirs, en janvier, au Brésil. Un feu qui bondissait depuis des jours à travers une île sauvage, laissant derrière lui des laies carbonisées, avait libéré les cadavres d'un entrelacs de lianes fleuries, dévoilant également des blessures sous les vêtements brûlés : c'étaient deux hommes à l'ombre d'une saillie rocheuse. Ils étaient étendus, invraisemblablement désarticulés, à quelques mètres de distance seulement, entre des tiges de fougères. Une corde rouge qui les reliait l'un à l'autre se consumait dans la braise. »

 

     Fascinant, flamboyant, hors du temps, Le Syndrome de Kitahara, qui renvoie sans cesse au passé halluciné des crimes nazis, s'inscrit dans l'ère mythique de l'éternel recommencement des guerres et des paix planétaires. Laissant filtrer les lueurs fantasmagoriques d'un véritable crépuscule des dieux, ce roman — Prix européen de littérature (Aristeion 1996) — marque l'apogée de l'oeuvre littéraire entreprise par Christoph Ransmayr avec Les Effrois de la glace et des ténèbres (1984) et Le Dernier des mondes (1988). Sans doute le plus grand livre de la littérature allemande depuis Le Tambour de Günter Grass.

 

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le syndrome de kitahara 

 

Comme j'ai souvent du mal pour parler des romans que j'ai aimés, et particulièrement de celui-ci, mélange de guerre post-apocalyptique et d'uchronie ; les destins de trois personnages bien distincts mais bien réunis par un destin commun et funeste pour deux d'entre eux ; je préfère vous livrer ici quelques lectures trouvées sur le net ; que les vols de ces critiques et mots me soient pardonnés... Bonne lecture again !

 

" Ici reposent onze mille neuf cent soixante-treize morts, tués par les natifs de ce pays. Bienvenue à Moor. " Dans le monde dévasté où nous jette ce roman visionnaire, apocalyptique, règne une pax americana imposée par les bombes et les humiliations. Parce que leur village fut un lieu d'extermination nazie, les habitants de Moor expient éternellement, contraints à mimer chaque année des crimes qu'ils ne veulent pas reconnaître, uniquement préoccupés de survivre. Bering, le forgeron, né sous les bombardements, est l'un d'entre eux. Il s'est pris d'un étrange attachement pour Ambras, un ancien déporté, un vainqueur, certes, mais brisé par des souvenirs atroces. Ces deux errants n'ont d'autre choix que de reconstruire quelque chose qui ressemble à un ordre social. Mais une paix ainsi imposée peut-elle engendrer autre chose que le désir de vengeance et de guerre ? On a pu comparer au Tambour, de Günter Grass, cette œuvre où les tragédies de l'histoire se surimpriment, à chaque page, aux visions d'un monde futur, soumis au nom du bien à un tyrannique juge suprême du nom de Stellamour. Après Le Dernier des mondes, cette nouvelle œuvre confirme la place de premier plan de son auteur, un Autrichien né en 1954, dans la jeune littérature européenne.

 

Après la Seconde Guerre mondiale, mais qui aurait duré trente ans, dans un cadre dévasté en dégradation constante, trois destins s'affrontent. Roman onirique et métaphorique aux personnages archétypiques.

 

Par GAUDEMAR Antoine de

Le «syndrome de Kitahara», qui donne son titre au troisième roman

traduit de l'Autrichien Christoph Ransmayr, serait une affection oculaire provoquant des taches plus ou moins envahissantes dans la vision: une sorte de «trou dans l'oeil», imaginé par l'écrivain et touchant des soldats épuisés par l'affût, des vigiles épuisés par leur veille, mais aussi des gens aveuglés par la haine. S'ils survivent, ces malades deviennent rarement aveugles, il suffit que la tension baisse et avec le temps, ils recouvrent peu à peu l'intégralité de leur vue. Le jeune Bering, le héros du roman de Christoph Ransmayr, souffre de ce syndrome. Il a de quoi. C'est un enfant de la guerre, né après les combats mais dans un pays comme «retombé à l'âge des volcans»: «La nuit, le pays flamboyait sous un ciel rouge. Le jour, des nuages de phosphore aveuglaient le soleil et, dans des déserts de gravats, des hommes sortis de leurs cavernes chassaient pigeons, lézards et rats. Il tombait des pluies de cendres.» Dans ces contrées ravagées répondant au sinistre nom de Moor, les rescapés réapprennent à vivre dans l'expiation alors que les six armées victorieuses font de ce bout du monde leur terrain d'occupation et d'expérimentation favori. Au milieu de ce tohu-bohu, Bering n'a qu'un rêve: devenir un oiseau, s'envoler. Des années plus tard, avec son maître et une belle Brésilienne, il réussira à s'extirper de son cauchemar quotidien, et à partir de l'autre côté de l'océan, vers le Brésil de tous les mirages, où l'attend son destin.

Comme les précédents romans de l'auteur (le Dernier des mondes, les Effrois de la glace et des ténèbres), le Syndrome de Kitahara peut se lire comme une fable sombre et lyrique, aux accents apocalyptiques, sur la vieille Europe centrale et ses démons. Le monde crépusculaire et néo-concentrationnaire de Moor est d'inspiration fantastique mais parfaitement plausible: issu tout droit des horreurs du nazisme, il propose une vision mythique et sans espoir de l'Histoire, en proie à des forces maléfiques dont l'homme est l'incessante victime. Avec un souffle certain, parfois démonstratif, l'auteur semble craindre le retour des pires abominations, comme si les hommes, à l'image de son héros innocent et tragique, avaient encore le regard - et la mémoire - obscurcis par trop d'inquiétantes taches noires.

Né en Haute-Autriche en 1954, fils d'instituteur de village, propulsé vers le succès dès son coup d'essai (le Dernier des mondes, traduit en vingt-six langues), Christoph Ransmayr a fait des études de philosophie et d'ethnologie à Vienne, avant de se lancer par hasard dans le journalisme: essentiellement des reportages issus de ses voyages aux quatre coins du monde, du Spitzberg au Népal. «Ce sont ces voyages qui ont nourri ma veine narratrice», expliquait-il lors d'un récent passage éclair à Paris. «J'ai beaucoup marché sur chaque continent, surtout en Asie, car le rythme de la marche est celui qui convient le mieux au narrateur d'histoires. La plupart du temps, je ne comprenais rien à la langue mais la marche me faisait tout oeil et tout ouïe. A mon retour, longtemps après, le voyage commençait à parler en moi. Cette expérience est devenue, presque à mon insu, le sens de ma vie. C'est comme si je renouais avec un besoin archaïque, celui du conteur. Seule la lecture à haute voix, seul ou devant un petit cercle d'amis, me donne l'assurance et l'énergie nécessaires à la poursuite de mes entreprises. Mais, bien qu'indissociables, le monde réel et celui de l'imaginaire ne sont pas identiques. La guerre à Moor n'est pas la Deuxième Guerre mondiale, le camp de Moor n'est pas Auschwitz, même si le récit ne peut naître qu'à partir d'une certaine expérience du monde. En revanche, j'ai nommé le Brésil, car pour beaucoup d'Européens comme moi, c'est un lieu mythique, d'utopie fabuleuse, et de tous les paradoxes: où voit-on mieux qu'au coeur de ce paradis - où se sont enfuis victimes et bourreaux de l'Holocauste -, la violence de la pauvreté, l'épuisement des ressources et des paysages, l'invraisemblable répartition des richesses? En ce sens, le Brésil est le pays de l'écriture et je ne serais pas ici si je ne pouvais y partir à tout instant.»

Ils ressemblent à ceux de la rive la plus rude du lac de Traunsee. C'est là qu'on trouve les carrières d'Ebensee.

Un jour, alors que l'enfant avait 10 ans, son père amène la classe en excursion dans ces carrières. Ils traversent le lac aux eaux claires. De l'autre côté, il raconte aux enfants l'histoire d'Ebensee. «Ce fut l'un des pires camps de travail nazi, dit Ransmayr. On fit construire aux prisonniers d'immenses tunnels pour y cacher les fusées de Von Braun, ce criminel. Elles n'arrivèrent jamais. Ce n'était pas un camp d'extermination, mais le taux de mortalité était supérieur à celui d'Auschwitz.» En 1995, Ransmayr publie le Syndrome de Kitahara. Le roman s'inspire du camp d'Ebensee. Le village de Moor est occupé par les libérateurs. L'officier américain oblige les habitants à reproduire les cérémonies du camp, dans le rôle des victimes, mais en leur donnant des habits et des couvertures. Il les fait maçonner et crépir sur les parois des lettres «au garde-à-vous dans la carrière, grandes, grossières, recouvertes d'un crépi blanc, des lettres visibles de loin, au garde-à-vous comme les soldats disparus de Moor, au garde-à-vous comme les colonnes de prisonniers à l'appel, comme les vainqueurs sous leurs étendards levés en signe de triomphe». Et comme les bannières tibétaines dans les vallées perdues. Le roman est dédié au père de Ransmayr, mort juste avant sa publication. L'autre dédicataire est le premier éditeur américain des livres de Ransmayr. Le père de cet éditeur était un Juif viennois. En fuyant les nazis, il jura de ne plus jamais prononcer un mot d'allemand. L'éditeur arpenta Vienne pour la première fois en compagnie de Ransmayr. Il s'appelle Fred Jordan, mais l'écrivain a dédié le roman à son nom autrichien, Fred Rotblatt. Ransmayr écrit souvent dans un petit chalet isolé, au sommet d'une montagne dominant le lac de Traunsee. La littérature est un pays lointain.

 

Antoine de Gaudemar

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Autre magnifique analyse trouvée sur le net de Joël Vincent :


Pour l'exemple, à Matthausen, en février 1945, ajoute Menasse, cinq cents prisonniers qui tentaient de s'évader ont presque tous été assassinés par des riverains...

*
*  *

 C'est précisément à côté de ce camp de concentration que Ransmayr situe le lieu de son dernier roman, Le Syndrome de Kitahara. Près des carrières de granit exploitées par les détenus, le village de Moor, après la défaite, subit la présence des troupes américaines. La population, pleine de ressentiment, humiliée et rageuse, se voit contrainte de «singer» le travail des anciens détenus et de participer à des pélerinages, placés sous le signe de l'expiation, organisés par les américains. Et cela alors que les marques de la civilisation refluent tout autour : retour à la bougie, aux coquelicots qui envahissent tout, aux bandes armées, aux meutes de chiens errants ; on est presque à l'âge de pierre, dans une sorte de nulle part, de ìrienî qu'un critique a nommé le «monde pétrifié».
 Face à ce monde qui vient de s'effondrer, ó monde des camps, des meurtres massifs et programmés, de la bombe atomique ó tout l'art de Ransmayr est de contourner cet univers et de présenter une réalité insoutenable par le biais d'un récit allégorique.

 Le premier personnage du roman est Bering, dont le père, qui a fait la campagne de Libye, est devenu une véritable loque humaine. Né sous un bombardement, Bering passe les premiers mois de sa vie dans le noir, au milieu des poules caquetantes. Il se sent presque oiseau. Le martèlement de la forge, l'obsession de la lumière émanant du poste à souder, font de lui un être d'une grande acuité sonore et rêvant d'objets de lumière arrachés à l'obscurité. Peu à peu s'installent en lui des marques de pouvoir : une vieille voiture américaine, une Studebaker, passée entre ses mains, prend la forme d'un oiseau, elle devient la ìCorneilleî ; il maîtrise la meute de chiens ; il invente des objets métalliques... Mais ses épreuves surmontées ne le mènent à rien. Un trouble de la vision, un trou noir, quelque chose de morbide en tout cas, l'empêche d'accomoder les formes du réel. Quand il fait trop d'effort pour essayer de mieux voir, le trou noir s'élargit : la réalité n'est pas élucidable. Il est atteint de la maladie de Kitahara, d'après le nom d'un médecin japonais qui a décelé chez certains de ses contemporains la présence de formes mouvantes, d'intumescences, dans l'oeil. Même s'il entrevoit parfois le début d'une nouvelle humanité, notamment dans ses relations avec Lily, cela devient vite un rêve impossible. Ne pouvant donc percer l'opacité des choses, il vit entre deux mondes, à un niveau infra-conscient, ressassant compulsivement des images archaïques de masses flottantes, de désirs d'oiseaux, qui le ramènent à son origine. Peut-être est-ce alors au lecteur de poursuivre ce parcours initiatique, et de degré en degré, de manifester l'existence de quelque chose qu'on appelle la ìconscienceî ?


 Le second personnage du livre est Ambras, chez qui le temps s'est figé le jour où l'on a arrêté sa compagne juive. Déporté à la carrière pendant la guerre, il vit maintenant, insaisissable, lointain, peu sensible à ce qui est humain, au milieu d'une meute de chiens. En observant des inclusions organiques, images secrètes, intemporelles du monde, sorte d'ambre refermant des insectes englués, on dirait qu'il remonte le temps, à la recherche d'une pureté originelle. Ambras perçoit encore l'odeur des fours, des morts qui partent en fumée. Il a des visions de sang. Il se sent déjà mort, comme ìcouléî dans la carrière.


 Enfin il y a Lily, la chasseresse, hautaine et solitaire, au passé de souffrances (son père, un officier SS, a été reconnu et pendu par d'anciens détenus) qui apparaît aux habitants comme une princesse païenne, sortie d'une Bible d'images : peut-être incarne-t-elle Lilith, la première Ève. Elle seule rêve encore à un avenir possible, en regardant souvent une vieille carte du Brésil, en espérant dans cet ailleurs exotique.
 En passant d'une réalité à une autre, des montagnes aux basses-terres, le récit de Ransmayr entre dans un temps différent. Dans la plaine, occupée aussi par les américains, ce sont les lumières trop aveuglantes de la ville, la grande consommation, l'opulence, la vitrine électronique qui présente le monde sous la forme de l'illusionnisme : sur les écrans les événements sont édulcorés, nivellés ; le champignon atomique de Nagoya est devenu un spectacle comme le reste, alors pourquoi ne pas le reculer de vingt ans  ?

  Bering, Ambras, Lily, comme des ombres fantomatiques, fuient vers une autre terre, le Brésil. Ils y découvrent d'anciens camps, des traces de souffrances vécues par d'autres. Partout où l'on va, le fil invisible du destin paraît conduire aux mêmes cataclysmes. Le monde est un abîme sans fond, sans espoir d'horizon. Peut-être pour Lily, qui regarde ailleurs, reste-t-il une lueur dans la vision tragique de l'écrivain ? Ransmayr semble en effet nous ramener toujours aux mêmes questions : pourquoi il y a-t-il des camps ? des crématoires ? le secret se cache-t-il dans les zones obscures du champ visuel de Bering, dans son monde troué ?

*  *
*

 L'écrivain ne peut pas tenir tous les fils de sa propre histoire. La littérature est pour lui un détour, une fiction heuristique, aidant à comprendre ce que nous vivons. En sachant bien, que le langage reste quelque chose de fragile, et, comme le dit Pascal Quignard, qu'il «n'est pas inné en nous, que nous l'avons acquis et que nous pouvons le perdre, que la pensée est presque une musculation physique». La littérature a donc pour tâche d'élucider, si possible, les points de rupture de la raison, là où celle-ci n'entretient plus le dialogue nécessaire avec la nature et ses métamorphoses, mais se travestit en vérité unique, en folie meurtrière, ou bien s'allie avec des forces irrationnelles ou avec la plus simple bêtise. Ainsi pour Ransmayr, l'humain est encore à venir.

Joël Vincent

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24 mars 2013 7 24 /03 /mars /2013 09:13

"Il n'y a guère que l'insatisfaction qui puisse nous satisfaire."

 

Roland Jaccard

 

jaccard

 

    J'ai toujours aimé les livres de Roland Jaccard ; en outre je pense que je pourrais aimé l'homme (et le jalousais), il représente en effet ce que parfois - ou dira-t-on ? très souvent - j'aurais souhaité être si j'avais eu quelque talent littéraire, ou quelque talent tout court dans la vie, et surtout quelque volonté  : nihiliste, aimant les jeunes filles, parlant du suicide, lettré, voyageur, cultivé, ayant cotoyé maintes personnalités brillantes et intellectuelles, refusant la famille et son oisiveté, solitaire, intelligent - bref toutes ces choses qu'à 17 ans on choisira de faire et que la vie doucettement mais de manière insolente nous déroute vers des chemins plus classiques, moins "excessifs". Bref qui n'est pas rentré dans le rang ? Bien peu, finalement.


    Bref chaque livre de cet auteur me réjouit ; ce dernier ne déroge pas à la règle, écrit à 70 ans, l'auteur parle à nouveau des rencontres de sa vie : mélange de divines créatures (jeunes très souvent, asiatiques par préférence)(aimer Louise Brokks et les Lolita d'abri-bus, dit-il), de lectures importantes et d'hommes "écrivants" (la vie de l'écrivain semble souvent intéressé autant l'auteur que la nature de ses ouvrages), de rencontres amicales pour discuter de la mort, du suicide, des milieux littéraires parisiens ou vaudois, et bien sûr de jeunes filles ou femmes, qui -jeunes- attendent "tout" de la vie.

Il y a toujours au cours de la lecture des livres de Jaccard un mélange d'inutilité et d'importance ; futilité et gravité, bref une étrange complémentarité.

 

En outre dans ce dernier opus, Jaccard parle - comme par hasard - des écrivains que j'aime : Haruki Murakami*, Henri Miller, Yi Sang, Natsume Sôseki, Cioran*, Topor, Henri Roorda*, Richard Brautigan* etc etc

On a l'impression qu'il connait tous ces auteurs personnellement comme cette apparition dans une librairie parisienne de Yi Sang, malade, proche de la mort et dont Jaccard trouve la peau bien pâle et qui finalement s'installera chez lui.

 

Comme l'écrit un des amis de l'auteur : "L'art de suggérer ce qu'il y a à la fois d'anodin et de grave dans la frivolité, la superficialité, bref la substance de toute vie. En paraphasant Nietzsche : ça devient profond à force d'être superficiel."

 

Il y a chez cet auteur - qui conçoit la littérature comme des fragments d'une grande confession, un profond pessimiste du monde, mais le bonheur d'une libido active, mais le bonheur dans l'art des livres : celui de les écrire, mais aussi de les lire!

 

Nihiliste, grand cynique, Jaccard ne laisse jamais indifférent.

 

Dans la vie recherche-t-on le bonheur ? Si oui, quel chemin idéal emprunter ? Celui d'une culture solitaire et de "petits" plaisirs "égoïstes" ? Ou celui de rentrer dans le rang : famille, travail, patrie ? Existent-ils des voies parallèles qui exploiteraient un peu des deux ?

 

Chaque livre de Roland Jaccard est un petit aparté vers le monde intraverti de soi-même, les difficultés de vivre bien sûr (de l'inconvénient d'être né) mais c'est chaque fois pour le lecteur engourdi, endormi par sa propre vie, un réel bonheur...

 

(*) voir sur ce blog.

 

ma vie et autres trahisons

Ma vie et autres trahisons, Grasset, Roland Jaccard, 2013

 

Site-Roland-Jaccard

Site et blog de Roland Jaccard cliquez ci-dessus

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12 mars 2013 2 12 /03 /mars /2013 17:34



    Que dire de « L’écume des jours » de Boris Vian, ce grand chef d’œuvre de la littérature ?

    Bien sûr le « plus poignant des romans d’amour contemporains » (dixit Raymond Queneau) est célèbre, mais ce texte ne peut pas se réduire à cela. Et Vian n’est définitivement pas un écrivain « accessoire », lui qui fut malheureusement considéré si longtemps comme un simple « amuseur » !
Pourtant publié en 1947, ce livre ne reçoit qu’indifférence, Vian, très déçu râle : « j’ai essayé de raconter aux gens des histoires qu’ils n’avaient jamais lues. Connerie pure, double connerie : ils n’aiment que ce qu’ils connaissent déjà… » Dès 1948, Gallimard cesse de diffuser l’œuvre et annule le contrat de Vian. Repris par Pauvert en 1963, l’œuvre complète de Vian reçoit alors un accueil grandiose, dommage l’auteur est mort depuis 4 ans.

« L’histoire est entièrement vraie, puisque je l’ai imaginée d’un bout à l’autre. »



    Alors je ne vais pas faire une critique littéraire de ce livre, j’en suis incapable. Mais je veux simplement dire l’épouvantable sensation de liberté et d’audace et d'invention et d'imagination poétique que l’on ressent aux diverses lectures de ce livre atypique et innovant :

    - la langue/le langage : est bien sûr le rivage le plus évident de ce livre, quelle liberté prise avec les mots ! Quelle jouissance de lire « enfin » les délires d’une langue française travaillée, essorée magnifiquement. Et les trouvailles lexicales qui fusent tout le long de ce livre ! Un langage univers disait-on, le lexique propre à Vian assurément. Une langue à la fois proche et éloignée des dadaïstes et des surréalistes. Une richesse inouïe dans l’emploi des jeux de mots, des mélanges des temps, des anglicismes, des mots inventés à foison, (un humour démesuré aussi) ; par exemple la sentinelle se mit au quant-à-soi (au lieu de garde-à-vous), la fontanelle du carreau laissait passer l’air, c’est jubilatoire. Bien sûr des trouvailles linguistiques, des jeux de mots, des mots ou expressions inventés, il y en a plusieurs à chaque page. (comme ce délicieux Sauternes phosphorescent).

    - la structure du roman est très particulière : absence de profils psychologiques des personnages : ils n’ont ni passé, ni futur ; une description succincte à l’instant « t », ainsi Colin est décrit comme « un grand bébé de 22 ans » qui a suffisamment d’argent pour ne pas travailler. C’est tout. On n’en saura guère plus. Idem plus ou moins pour les autres personnages (Chloé a les cheveux bruns et les yeux bleus, c’est tout, aussi.). 6 personnages « interchangeables » riches de leur jeunesse et d’une adolescence d’esprit, c’est à dire une grande insouciance. Tout est vu « immédiatement ». Ils sont distants du monde...

    - un mélange de surréalisme et d’anarchisme (les masses ont tort et les individus toujours raison) et d’existentialisme (Jean-Sol Partre), une dérision du christianisme, une approche très distanciée de la mort, une recherche de l’amour et d’un érotisme « naturel », le jazz omniprésent, une critique du travail industriel (un petit côté « temps modernes »), une petite dose d’antimilitarisme, la maladie enfin (nénuphar dans le poumon droit)

" L’écume des jours s’inscrit dans l’effort long, sourd, quasi clandestin d’une de ses traditions pour transférer à la prose narrative les procédés de la fonction poétique. " Michel Gauthier-Darley

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Bref un livre insolent, puissant, inventif à l'excès, sans équivalent, il est inouï que ce livre fut ignoré à ce point à sa parution, il a fallu attendre la génération de Mai 1968 pour le découvrir à sa juste valeur. Un bijou à relire régulièrement pour se dire : oui la grande littérature existe bien ...

affiche du film de Charles Belmont, je n'ai jamais vu ce film, je me demande ce que cela donne, ça doit être très difficile...
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1 décembre 2012 6 01 /12 /décembre /2012 16:29

     En découvrant avec extase ce livre si atypique écrit en 2006 : successions de très courts paragraphes , avec des retours à la ligne évoquant les rythmes libres utilisés par les poètes, je me dis que l'écriture est parfois réellement "merveilleuse" ; d'ailleurs l'auteur au début de son ouvrage note :

"Depuis que la plupart des poètes ont pris congé de la langue versifiée et recourent, à la place des vers, à des rythmes libres et à une phrase flottante articulée en strophes, le malentedu s'est fait jour ici et là, qui veut que tout texte constitué de phrases flottantes, donc de lignes d'inégale longueur, relève de la poésie. C'est faux. La phrase flottante - ou mieux : la phrase volante - est libre et n'appartient pas seulement aux poètes."

C. Ransmayr

(*) ce procédé étrange et somme toute très rare dans la production de romans et de nouvelles a été repris aussi dans le très puissant "Un voyage en Inde" de Gonçalo M. Tavares, un des tout meilleurs livres de cette rentrée 2012.

 

 

    Et merveilleuse aussi la lecture. Qu'il soit encore possible de rêver les montagnes, de rêver les pays (ici : Irlande et Tibet), de chanter avec de tels exploits, la vie et la mort, avec un art suprême : celui des mots, tient du prodige. 

    Quant à moi, je ne suis pas sûr comme le dit l'auteur qu'il ne fasse pas partie lui même d'une race particulière de poètes, de celles par exemple qui n'écriraient pas de poésie, mais de longs textes chantants, une lente et longue mélopée. Car il s'agit ici bien d'un long poème en prose racontant les amours et difficultés de deux frères Pad et Liam, l'un proche de la mer, l'autre des rêves d'Internet, avec des souvenirs importants de l'Irlande et d'un père défenseur de son pays, mais autoritaire. Tous deux décident un jour d'escalader une montagne magique mal répertoriée sur les cartes et dont les tibétains locaux disent qu'elle est éphémère ; localement les deux frères somme toute très différents réussiront leur quête : à vous de découvrir laquelle ou lesquelles...

    Très vraisemblablement chef  d'oeuvre de la littéraure mondiale, ce livre exceptionnel doit nous donner envie de découvrir les autres livres de cet auteur. 

 

Ici : j'ai volé sur Internet la bien belle description de Hubert Trouiller parue dans "le choix des libraires" ; Hubert Trouiller est libraire à la librairie "Le marque-page" à St Marcellin :

Publié par Albin Michel en janvier 2008, ce récit nous emmène dans les hautes altitudes où la poésie et le rêve peuvent se déployer sans limites.
Deux frères irlandais Pad et Liam, aussi proches et différents que peuvent l'être les membres d'une même famille, rejoignent le Tibet oriental pour gravir PHUR-RI, la montagne volante, montagne éphémère qui n'apparaît qu'à de brefs intervalles entre la fin de l'hiver et le début de la mousson. D'après une légende tibétaine, transmise par les pasteurs du Kham qui sillonnent les hauts plateaux à la suite de leur troupeaux de yacks, les montagnes déposées par les dieux ne resteront pas toujours dans le monde des humains mais s'envoleront de nouveau dans les airs et disparaîtront comme elles sont venues.
Ces montagnes qui ont volé au secours des hommes quand ceux-ci ont commencé à se redresser de la position animale pour lever la tête et le regard vers le haut, les deux frères réaliseront leur rêve ; l'un y laissera la vie après avoir sauvé celle de l'autre.
Une longue et lente mélopée contemplative, rendue par une prose rythmée musicale et nostalgique, un long poème non versifié, une phrase " flottante " englobant tout (pensées, dialogues, descriptions) et cela coule et s'amplifie comme le Yang Tse, minuscule ruisseau à sa source tibétaine et fleuve gigantesque à son embouchure chinoise.
Avec en toile de fond cette vision orientale d'une nature habitée, secrète et mystérieuse, où tous, humains, animaux, végétaux et minéraux sont solidaires.
Et cette idée que tout revient toujours à sa source pour commencer à nouveau.
Avec la montagne volante, Christoph Ransmayr rejoint les grands visionnaires de la montagne.

Alexandre David Néel et le voyage d'une parisienne à Lhassa - René Daumal et le mont analogue - Thomas Mann et la montagne magique - Yasushi Inoué et la paroi de glace - Jiro Tanigushi et le sommet des dieux - Ramuz et la grande peur dans la montagne, sans oublier son compagnon et ami Reinhold Messner... une belle photo de famille.

 

Hubert Trouiller

 

la montagne volante

La note de Sophie Deltin du Matricule des anges

http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=57761

La note de Fabienne Pascaud dans TELERAMA :

http://www.telerama.fr/livres/24018-christoph_ransmayr_la_montagne_volante.php

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23 octobre 2012 2 23 /10 /octobre /2012 09:39

Adolphe-Constant

 

« Adolphe » de Benjamin Constant, quel plaisir de lecture !



  Je ne vais pas ici vous faire une explication de texte, il y en a plein sur le net ou dans les livres, de ce seul roman publié par B.Constant. 10 ans pour peaufiner ce tout petit texte : 1806-1816 ; 1816, date de parution, B. Constant a alors 49 ans. Il sera ensuite député.
  Juste donc le plaisir devant cette écriture exceptionnelle : poétique, d’un niveau remarquable ; c’est un grand charme à la lecture. Une découverte jouissive de la grande écriture de cette charnière 18e et 19e siècle.


  L’histoire est cependant banale : une histoire d’amour qui finira mal ; le personnage, jeune homme timide et solitaire, fuyant la compagnie des hommes. Il est taciturne mais ne dédaigne pas hommes et femmes cependant. « Je veux être aimé... » est le sempiternel sentiment bien masculin décrit dans ce livre. Il y a une grande part d’autobiographie dans ce court texte, aussi bien pour ce qui concerne les affaires de cœur car B. Constant a eu maintes relations (dont une avec Mme de Staël) que pour les relations conflictuelles avec le père. Enervé aussi par les dogmes officiels.
  Ces relations avec le père sont même assez fondamentales pour la compréhension de ce récit (le père de Constant est sans doute le père d’Adolphe). De même les critiques sociétales.

  Adolphe fait son introspection et son autocritique, il est à la fois le narrateur (je) et le personnage, c’est une double position, comme un peu un journal intime. En ce sens, « Adolphe » est bien plus un roman psychologique ou d’analyse, qu’un roman romantique alors qu’on est en plein dans les mots (et maux) du romantisme. Le dessein de plaire à une femme : ni tout-à-fait sincère, ni tout-à-fait de mauvaise foi. Adolphe est tour à tour égoïste et sensible. Tout l'art masculin.
L’histoire est simple : Adolphe plait, il cherche à séduire, il tombe amoureux d’Ellénore, femme de 10 ans son ainée. Elle est dans une situation « de sécurité », compagne d’un comte.
  Elle hésite longtemps, repousse le jeune homme, mais la possibilité d’une dernière passion prend le dessus et elle abandonnera tout pour suivre Adolphe et passer un an avec lui. Sitôt, l’affaire conclue, Adolphe sent qu’il est moins amoureux, il s’ennuie, devient triste et maussade. Ellénore le sent et cela la rend malade ; comprenant par une lettre qu’Adolphe va la quitter, elle tombe malade et mourra de douleur amoureuse. Adolphe se sent alors coupable et réfléchit à son égoïsme, à son impossibilité d’aimer, à son indifférence au monde qui l’entoure, à la jouissance de son amour-propre. Adolphe n' a pas le courage d'assumer la rupture. A la « perfidie » féminine répond le détachement masculin.
  A la mort de sa compagne, Adolphe écrit : « J’étais libre, en effet, je n’étais plus aimé : j’étais étranger pour tout le monde. » Responsabilité en matière amoureuse, culpabilité ?
La liberté et l’amour sont-ils définitivement incompatibles ?

« Malheur à l’homme qui, dans les premiers moments d’une liaison d’amour, ne croit pas que cette liaison doit être éternelle. » (chap. III)
« Il y a des choses qu’on est longtemps sans se dire, mais quand une fois elles sont dites, on ne cesse jamais de les répéter. » (chap. IV)
« Nous parlions d’amour de peur de nous parler d’autre chose. » (chap. V)
« C’est un affreux malheur de n’être pas aimé quand on aime ; mais c’en est un bien plus grand d’être aimé avec passion quand on n'aime plus. » (chap. V)

 


A propos du père :

"Ma contrainte avec lui [mon père] eut une grande influence sur mon caractère. Aussi timide que lui, mais plus agité, parce que j’étais plus jeune, je m’accoutumai à renfermer en moi-même tout ce que j’éprouvais, à ne former que des plans solitaires, à ne compter que sur moi pour leur exécution, à considérer les avis, l’intérêt, l’assistance et jusqu’à la seule présence des autres comme une gêne et comme un obstacle. Je contractai l’habitude de ne jamais parler de ce qui m’occupait, de ne me soumettre à la conversation que comme à une nécessité importune et de l’animer alors par une plaisanterie perpétuelle qui me la rendait moins fatigante, et qui m’aidait à cacher mes véritables pensées. De là une certaine absence d’abandon qu’aujourd’hui encore mes amis me reprochent, et une difficulté de causer sérieusement que j’ai toujours peine à surmonter. Il en résulta en même temps un désir ardent d’indépendance, une grande impatience des liens dont j’étais environné, une terreur invincible d’en former de nouveaux.
Je ne me trouvais à mon aise que tout seul, et tel est même à présent l’effet de cette disposition d’âme que, dans les circonstances les moins importantes, quand je dois choisir entre deux partis, la figure humaine me trouble, et mon mouvement naturel est de la fuir pour délibérer en paix. Je n’avais point cependant la profondeur d’égoïsme qu’un tel caractère paraît annoncer : tout en ne m’intéressant qu’à moi, je m’intéressais faiblement à moi-même. Je portais au fond de mon cœur un besoin de sensibilité dont je ne m’apercevais pas, mais qui, ne trouvant point à se satisfaire, me détachait successivement de tous les objets qui tour à tour attiraient ma curiosité. Cette indifférence sur tout s’était encore fortifiée par l’idée de la mort, idée qui m’avait frappé très jeune, et sur laquelle je n’ai jamais conçu que les hommes s’étourdissent si facilement."

 

"Adolphe" un chef d'oeuvre de la littérature française, j'aime tellement ce livre et je l'ai lu tant de fois, (en plus c'est un bon résumé des relations homme-femme, encore qu'il y aurait beaucoup à dire), que j'ai préféré ne pas voir le film qui en a été tiré, certain d'être déçu, un jour peut-être...

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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 10:12

my-dear-bomb yohji-yamamoto

 

Dieu sait si je n’aime pas « la mode » et toute cette industrie du luxe ; comme je suis énervé lorsque je vois aux journaux télévisés la présentation des défilés proposée comme des moments uniques exceptionnels ; surtout quand on voit ce que ces créateurs de pacotille arrivent à faire : dénaturer le corps féminin, l’enlaidir, l’habiller de façon totalement « improbable » ; et toutes ces pauvres mannequins obligées de marcher anormalement et stupidement, avec des maquillages invraisemblables, et une silhouette anorexique ; rajoutez à cela les tronches qu’elles tirent (!) en défilant, comme si elles venaient tout juste d’enterrer toute leur famille… et vous comprendrez donc « l’idée » que je me fais de ce monde « luxueux » de « créateurs » … Bien sûr certains comme Lacroix ou d’autres avaient un peu ma sympathie, soit parce que je juge leur travail « correct » et intéressant, soit parce que leur « personne » (ceci grâce la plupart du temps à des interviews ou à des reportages) me semble « artistique » et digne d’intérêt…

C’est le cas de Yohji Yamamoto ; outre le fait que je ne trouve pas moche ses vêtements noirs et amples, je le savais ami de Wim Wenders et Pina Bausch et intéressé par mille choses / Enfin je fus intrigué par l’article à propos d’une sorte de « biographie » parue de lui que je lisais dans « Le monde » du 18 décembre 2010. Le titre était : « Quand j’écris, les doutes se font plus importants. », un tel titre est alléchant pour un apprenti écrivain. Je me rappelais aussi que c’était lui qui avait réalisé les splendides costumes du film « Dolls » de Takeshi Kitano, un de mes cinéastes préférés…

 

Je viens de finir ce livre et ai pris un goût certain à le parcourir ; outre le fait que l’objet est singulier : couverture noire, tranche noire, titre en relief ; le texte est fort intéressant. On y découvre l’œuvre d’un créateur amusé et poétique, mais aussi d’un homme torturé et inquiet.

Le livre est premièrement « découpé » en deux : l’homme puis le créateur ; puis un second morceau : « biographie », enfin un long texte de Seigow Matsuoka diablement intéressant lui aussi sur le Japon et ses coutumes.

Il s’agit d’autre part d’une succession de paragraphes très courts, très concis habités d’une écriture claire et lucide, se mettant à jour sans hypocrisie ni fioritures. « Un farceur effronté » pour reprendre un qualificatif donné par un de ses amis.

Enfin : petites chansons écrites par lui, photos, dessins, sentences, parsèment l’ensemble et donnent un côté aérien et poétique à l’ouvrage : bref tout pour me plaire.

La première partie du livre est un bijou poétique : souvenirs d’enfance, touches pointillistes : disparition du père, amies - amantes, souffrances du petit enfant et du créateur, corrélations au monde surtout : quoi faire de sa vie ? C’est rempli d’anecdotes personnelles et signifiantes : le rapport au tissu (« c’est le tissu qui décide »), l’enterrement du Leica de son père (le corps n’ayant jamais été retrouvé) en guise d’obsèques avec Yohji faisant du tricycle dans le cimetière, les femmes désirées et aimées dans cet univers de mannequinat (« Femmes, soyez femmes toute votre vie ! Ne vivez pas sous un titre emprunté, séductrice, épouse de…, career woman. Restez femmes, juste femmes, telles que vous êtes. »), l’angoisse de la création, des défilés, et beaucoup de souvenirs d’enfance : grosse introspection dans une profonde mélancolie – sans doute comme tous les dépressifs anxieux chroniques qui se rabattent sur le passé. Beaucoup de réflexions philosophiques aussi sur la rage et la résignation, sur la vie « une répétition de hasards », sur cette « sensation de manque qui m’habite depuis l’enfance ».

Bien belle virée imaginative et poétique d’un vrai créateur, bref d’un artiste… à lire /

 

« Puisque la beauté infinie du corps féminin s’offre à mon regard, pourquoi devrais-je suivre un parcours décidé par d’autres ? Le point d’arrivée est le même c’est vrai. Chaque fois, le même. En définitive, le vêtement, telle l’enveloppe d’une cigale est toujours vide. Néanmoins je ne peux m’empêcher de poursuivre le voyage. Sans me lasser, aujourd’hui encore je poursuis ce voyage éternellement recommencé… »

 

« Cet amour sans limites, toujours présent

Même après avoir franchi maintes collines

Franchissant une colline, puis une autre et cette autre

Qui m’attend là-bas à l’horizon ainsi toujours plus loin

Je poursuis mon voyage sans fin à travers les dunes

Toujours différentes des corps féminins »

 

« Femme aux yeux d’ambre, la courbe de ta chevelure

Brune glisse sur ton visage comme l’arc de la lune

A son premier quartier, et se répand au pied

De douces collines

A partir du creux qui termine ta clavicule

S’allonge ton bras fragile que terminent des doigts

Pareils à de longues gouttes d’eau »

 

Yohji Yamamoto

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9 septembre 2012 7 09 /09 /septembre /2012 13:55



    Sergueï Essénine est né en Russie centrale en 1895 dans la campagne russe, ses origines sont profondément paysannes ;  à l’âge de14 ans il écrit déjà des vers reconnus. Il se lie avec de grands poètes du moment tel Marina Tsvetaiéva, mais on lui refusera de rentrer au parti bolchévique pour cause d’individualisme ( !!!) en 1918. Dès lors et très tôt, il prend conscience de l’échec de cette révolution. Il rencontre Isadora Duncan, plus âgée que lui, et l’ épouse. Ce fut l'un des premiers pas d'une vie amoureuse très tumultueuse, parmi lesquels sa difficulté de vivre son "homosexualité" et de la reconnaitre. Dès 1922, il parle de suicide, devient dépressif. Pourtant il est alors l’un des poètes les plus lus en Russie et est très populaire :
« Je n’écris plus de poésie, je ne fais que des vers »
Il rentre en clinique en 1925.
Il se suicidera en décembre à l’âge de 30 ans (Depuis il est probable qu’il ait été plutôt assassiné par la police secrète soviétique, (la Guépéou) car de nombreuses zones d’ombre demeurent…), mais son suicide reste tout à fait probable vu le personnage.


il laissera un dernier poème écrit avec son sang adressé au jeune poète juif Kliouïev


Ami, adieu
Ami, adieu. Mon ami, au revoir.
Toi jamais perdu, je n’oublie rien.
Prédestiné, il en était ainsi, tu le sais, de ce parcours.
Il en sera ainsi : ce revoir promis.

Main et mot ? Non, laisse - pourquoi encore parler ?
Ne te lamente pas et ne t’efface pas de moi.
Mourir -, maintenant, je sais, cela est déjà arrivé ;
mais, vivre aussi cela a du déjà avoir lieu une fois.



    Je viens de lire le seul roman écrit ( tout le reste est poésie, et quelle poésie ! somptueuse ! )par cet auteur et ce à 18 ans, bien que ce roman soit extrêmement sombre et voit défiler une quantité invraisemblable de morts, il reste incroyablement heureux et joyeux, heureux de décrire le monde naturel de la « ravine », le monde paysan, le fort côté païen de réception du monde et de ses paysages naturels. La vie soudée et commune et profondément humaine de tous les personnages. Enfin , une langue ! un langage comme personne n’a écrit, c’est somptueux, une sorte de long poème en prose, les descriptions des forêts, des animaux, des hommes vivant là sont superbes, on est bien loin de "la mare au diable". Il ya un fort sentiment rimbaldien dans cette lecture-là, et je me suis amusé à me penser que Rimbaud aurait pu lui aussi écrire à 18 ans un tel récit. Bref : à mon humble avis : un chef-d'oeuvre !

    « La Ravine » ? un roman à lire de toute urgence pour retrouver quelque part un peu les fondamentaux d’une littérature de qualité, exigeante et sereine. A dessein.



   

    "Serguei Essenine fut élevé dans les traditions des paysans de Riazan. Cependant, la mythologie slave païenne viendra véritablement édifier sa perception du monde. Son paradis est celui de la terre et c’est ainsi que dans « La Ravine » il nous restitue quelque chose d’une sagesse mythique du paysan. Jardinier, Essenine fait germer une sève, une histoire qui est celle de la grandeur tragique de l’existence. Entre loups et ours, parmi les forêts de bouleaux et les isbas, les hommes travaillent dur et boivent sans modération. Ils sont habités par une nature épaisse qui réveille la sauvagerie et l’intuition animale. Les femmes, elles, sont beaucoup plus légères et la belle Olimpia aussi passionnée que l’aube. Les vies de tous ces villageois leurs échappent et se tissent à la fois, noblesse et pureté se mêlent sans cesse aux cris douloureux des corps et des coeurs. En cette vaste terre froide, l’existence humaine est habitée par le désespoir et la rosée du merveilleux. La langue de « La Ravine », imprégnée de paganisme, procède du conte et de l’opéra littéraire. Une atmosphère de fable, au goût de terre et de sang mélangé, imprègne le lecteur au fil des pages parcourues, les vapeurs de vodka partagée et le goût des lèvres des femmes donnent à l’atmosphère le sentiment d’une grande générosité. De cette tension, les mots s’articulent comme des sons, comme une marche en cette terre russe qu’Essenine aimait tant. Il faut donc lire absolument « La Ravine », symphonie composée avec exigence par Harpo &, pour notre plus grand bonheur."
       
    Frédéric Calmettes, décembre 2008

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Très intéressant article de synthèse sur Essénine sur "esprits nomades" , cliquez sur le visage du poète / bonne lecture /


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25 août 2012 6 25 /08 /août /2012 15:38

« Incapable de croire en quoi que ce soit, ou pratiquement ; déçu par avance de la politique ; spectateur oisif de la course collective à l’argent ; étranger aux bénéfices de la procréation ; incapable de m’enthousiasmer pour quelque vocation professionnelle irréalisable ; inutile pour le travail en général ; incrédule devant toute option religieuse ; trop timide ou incompétent pour une vie sexuelle enthousiaste ; dépourvu de toutes ces choses, il ne me resta d’autre solution que de marcher. » S.Chejfec

 

mes deux mondes - Chejfec

 

Difficile d’écrire sur « ce » livre, après une lecture éprouvante

où le lecteur que je suis termina abasourdi, anéanti presque :

enfin un roman sur l’absence au monde ou sur son hyperprésence (ce qui revient au même), la marche vu quasiment comme thérapie l’auteur part dans des digressions ahurissantes et compose avec ses yeux des paysages puissants : un roman sur la présence de l’homme au monde dans tout ce qu’elle a d’énigmatique et de singulier...

la marche pour « se perdre » ou « se trouver »… car il s’agit bien de « contemplation » (d’ailleurs le mot est utilisé lors de sa « rencontre » avec des tortues et des carpes), contemplation du monde telle une interface entre l’esprit intelligent et le monde autour qui n’a cesse d’envoyer des signes et des messages. Bref une « contemplation réciproque » que Chejfec semble interpréter comme une « réalité ». Roman profondément existentiel, proche d’un intellectualisme forcené, voire démesuré ? Chaque observation, le reflet d’un gravier, l’irrégularité d’un chemin de terre, la perfection de l’alignement de cygnes-pédalos, est commentée et analysée : on part loin dans les délires de l’âme humaine « analysante ». la marche comme exutoire et comme analyse. Monde intérieur de l’écrivain plein d’inquiétude et de questionnements se reflétant dans le monde qu’on voudrait dire « réel » ; ce sont ces reflets miroitants dont il est question dans ce livre d’une densité absolue. Sens paranoïaque de l'être observé et observant (= orgueil et/ou la suffisance des être vivants), ressentir la quintessence de l’instant présent tout en indolence récurrente...

La lecture du coup en est éprouvante, et quant à moi je l’ai parcouru par petites lampées comme un alcool trop fort ou trop amer.Un Borges plus "moderne". 

Enrique Vilas-Matas écrivait déjà :

« Mes deux mondes, c’est l’histoire d’un écrivain en visite dans une ville du Brésil. Parcourant un parc emblématique, il voit dans cet espace à la dérive des signes de sa propre incomplétude, la preuve cosmique que « de même que nous ne choisissons pas le moment de notre naissance, nous ignorons les mondes changeants  que nous allons habiter. » Cette longue promenade, menée par une prose aux phrases parfois ahurissantes,  nous ramène aux souvenirs d’auteurs remarquables comme Sebald, Saer et Aira. Puis nous réalisons que Chejfec ne ressemble à personne, qu’il a choisi son propre chemin, insolite et unique. Il semble appartenir à cette race d’écrivains apparue il y a bien longtemps, au temps où Proust méprisait une littérature réduite à un défilé cinématographiques des choses. »

Sans nul doute : le meilleur livre (du moins le mieux écrit) que j’ai lu ces derniers temps ; en outre ce face à face entre les soucis d’un homme qui a du mal à se définir à travers son espace-temps et les reflets du monde réel cherchant à lui répondre sont au cœur de mon propre mal de vivre, de mes propres questionnements, de mes propres inquiétudes, des recherches de mes diverses altérités ; bref Chejfec un vrai frère humain…

La force aussi de ce livre écrit en petits paragraphes est que vous pouvez l'ouvrir à n'importe quelle page, lire un petit paragraphe et prendre du plaisir dans votre lecture, donc à tout moment tellement c'est dense !

Si la littérature ne doit pas être divertissement, sinon autant regarder la télé (dixit Chloé Delaume), alors ce livre est de la grande littérature !

Vous trouverez sur le net quantité de critiques et d'analyses toutes intéressantes sur ce livre fort énigmatique...

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1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 09:07

« Quand le désir de vivre est intense, nous n’en venons jamais à penser que nous en savons déjà assez sur le monde. Chaque réponse repose une nouvelle question. Voilà pourquoi on dit que la curiosité maintient en vie. Et nous fait mourir. »  

Enrique Vilas-Matas

 

Chet-Baker-pense-a-son-art

   Il y a d'abord ce beau titre, moi qui aimais sans faille et sans réserve ce trompettiste de génie et qui ai eu la chance de le voir dans une petite boîte de nuit quelques semaines avant sa mort, la tronche dévastée par l'alcool, les drogues et les femmes (si, si il parait que cela fait vieillir prématurément aussi - :-) ) ; mais avec sa voix de bluesman impeccable et ses phrasés de trompette inoubliables ; voilà il a voulu voler ou il s'est endormi au bord de sa fenêtre suicidaire...

   En désirant écrire une « fiction critique », l’auteur part à Turin,seul, sans famille « pour se retrouver écrivant » et nous livre ici un autoportrait  critique : parler de ses goûts en littérature, comparer certains livres esentiels, tel Finnegans Wake de Joyce ou Monsieur Hire de Simenon. Au passage : livres surprenants de sa bibliothèque / C’est très intello et très « littéraire »nous prouvant par là même qu’il existe bien « un monde spécifique de la littérature » ; avec ses lieux, ses personnages et toutes les histoires qui se mélangeront ensemble ; une grande connaissance et des recoupements seront certes nécessaires pour en tirer la substantifique moelle . Enrique Vilas-Matas prouve ainsi sa grande maitrise du monde des lettres et sa position singulière de « voyeur-critique-écrivain » ; tout cela ponctué d’excellents extraits d’œuvres littéraires majeures selon Vila-Matas qui va du refus du désordre inconsidéré de la vie de Monsieur Hire au chaloupé inventif et plein de folie du traitement du langage par Finnegans Wake et ainsi atteindre « un fugace bonheur presque tangible ».

   Bien sûr, c'est très "intello" ; et parfois ma lecture fut en diagonale, mais il en reste une impression forte de puissance de la littérature et de ceux qui en parlent ; un monde "autre" près de nous, dont nous pourrions discuter lontemps sans nous endormir ni nous ennuyer. Une culture essentielle, à nous, pauvres occidentaux lecteurs. 

   Enfin c'est grâce à ce livre que j'ai découvert puis lu "mes deux mondes " de Chejfec qui est sans nul doute un des plus beaux et étranges romans découvert depuis belle lurette !

 

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15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 11:31

chiens-féraux

 

  Quatrième de couverture : 
1980, Nord du Chili, sous la dictature de Pinochet. Les terres arides du désert d'Atacama ne sont ensemencées que par les fosses communes du régime. Rocio, ancienne étudiante en médecine, a suivi son mari, Carlos, lieutenant de police, affecté à la réserve de Huara où il n'y a rien à faire et trop à méditer. Carlos consigne son ennui, ses doutes et ses inquiétudes concernant l'état psychologique de sa femme. Car Rocio, elle, n'est pas seule. A la différence des autres "Blancs", elle voit les villageois andins qui fuient leur présence comme une malédiction ; elle voit les chiens retournés à l'état sauvage rôder, craintifs et affamés, autour de la déliquescence morale des oppresseurs ; et surtout elle entend ces voix d'enfants qui l'habitent, comme le remords de son ventre infécond, comme le cri vengeur d'un peuple et d'un lieu martyrisés.


"Chiens féraux", le premier roman de Felipe Becerra Calderon, a reçu au Chili le prestigieux prix Roberto Bolano en 2006. 


 Dans ce roman surréaliste et polyphonique, Calderon explore les effets de la folie et de la solitude sur deux êtres ordinaires qui ont la particularité d'appartenir au camp des bourreaux. Il nous offre un texte dense, où la langue se fait schizophrène pour chanter la contagion du mal.

 

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«On ne peut pas continuer comme ça, maman, on ne peut pas. Il fait si froid, ici, dans l'ombre, dans ce tourbillon noir. Et ce sifflement persistant, comme une douleur, maman chérie. Laisse-nous leur raconter ton histoire, laisse-nous nous délivrer de tout ce fardeau, s'il te plaît, on ne fera de mal à personne. On ne peut pas continuer comme ça. Les amis veulent connaître ton histoire. Leur confier ce qui t'est arrivé ne te fera aucun tort. Et nous, on sera soulagés. Tu vas voir, maman chérie, on ne pleurera plus, on ne va plus te griffer, la nuit, on ne cognera plus sur ta tête pour que tu t'ouvres de part en part. Tu vas voir, on sera bien sages. Allez. Laisse-nous leur raconter ta vie,… »

 

C'est ainsi que commence ce chef d'oeuvre, écrit par un jeune homme de 19-20 ans...

ou comment les chiens féraux (c'est à dire les bourreaux chiliens, ces hommes civilisés redevenus sauvages ; mais pourquoi pas non plus les victimes, elles aussi rendues au rang animal...) arrivent à perturber deux "honnêtes" personnes "civilisées" (mais qui sont du côté "paisible" du mal : une femme intelligente Rocio, traumatisée jadis par une histoire de têtes coupées à l'Université de médecine où elle était étudiante, et qui entend des voix d’enfants ; remords de tous ces silences face aux monstruosités de la junte militaire et son mari Carlos qui seul dans son désert chilien attend lui aussi le boomerang de ces propres cauchemars :

de la magie des indiens indigènes qui ne connaissent pas même le drapeau du Chili et ne participent pas à la fête nationale qu'organise Carlos pour se "réconcilier", aux techniques d'hypnose utilisées pour la torture, aux enfants que cette femme stérile (elle tombera enceinte à le fin du livre mais cela est présenté plus comme une mort que comme une naissance) n'aura jamais et qui viennent l'inquiéter par leurs babillages incessants , aux peurs de l'officier de police qui ne comprend plus rien à ce nuage noir qui se déforme et vient vers lui – en qui à la fin il reconnaîtra un enfant tenant un chien menaçant en laisse / un très sombre roman hypnotique, schizophrène, écrit avec une ardeur et une violence rares / on passe du court au début au long des derniers chapitres : il faut se laisser porter par les derniers paragraphes totalement surréalistes lorsque tous les morts momifiés, enterrés vivants et les chiens féraux et les cristaux des rêves et les étoiles et les remords forment un mélange poétique où le lecteur avide de sensations fortes aimera à se perdre...

frenchpeterpan

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Féral, ce mot quelque peu inusité,  signifie revenu à l’état sauvage pour un animal domestique. Chiens féraux, Bagual en sa traduction hispanique, est le premier roman du chilien Felippe Becerra Calderon. Des chiens qui peuplent un horizon désertique du Chili dans lequel  Carlos et sa femme Rocio vivent. Mais sont ils vraiment  aussi réels que l’ombre de la culpabilité?

Rocio est intelligente, ancienne étudiante en médecine traumatisée, Rocio est en couple avec Carlos, policier envoyé dans cette province désertique du Chili, un village où tout n’est que poussière.  Rocio et Carlos tourbillonnent dans leur histoire, celle de leur pays, sans que rien ne se passe pour les entrainer d’un bord ou de l’autre. Vont-ils ensemble sombrer dans la folie que leurs hallucinations respectives sous-entendent ? C’est la voix d’abord de leurs enfants à venir qui va nous conter cette descente dans l’indicible.  C’est la voix de ce futur qui sera débarrassé de la dictature de Pinochet mais qui a cette sensation de vivre dans l’ombre du secret, dans les pas de l’horreur, dans ses racines que l’on ne peut raconter. C’est la voix de l’enfance de ceux qui sont nés du côté des bourreaux.

Ce roman qui fut prix Bolano  n’est pas une narration simple. Les voix s’entrechoquent : d’abord celle des enfants futurs, puis celle de Carlos qui écrit l’ennui, l’apathie sur son carnet, puis toutes celles qui existent dans la tête des protagonistes. Il n’y a pas vraiment de péripéties, juste la suggestion des actes, ceux qui ont entrainé dans le silence les charniers de Pinochet. C’est donc un roman politique sur la barbarie, la folie.  Un roman qui entre réalisme fantasque et folie permet à Calderon d’imposer un style digne de ses grands anciens ( Bolano, Arias … ). Un roman en forme d’interrogation : peut on s’isoler au point de ne pas voir les dangers de la meute ? doit on s y inclure pour survivre ? doit on devenir un chien féral pour être épargné ou est on un chien féral pour être un bourreau ? Dans une construction de voix aussi labyrinthiques que fantastiques, Calderon crée un rythme hypnotique qui nous emmène jusqu’aux confins de l’esprit avec cette volonté de «  laver les corps », ce désir de rédemption chevillé à la mémoire.

Chronique rédigée par Abeline 

texte volé ICI

 

Coup de coeur de la FNAC :
Merveilleux... Une révélation littéraire et une écriture au dela de la modernité... Un huis clos intense dans un Chili de sable.Solitude, hallucinations, voix intimes... Un livre qui brasse les univers profonds de la fragilité de l'esprit."

Magazine ARTPRESS n° septembre 2011 (Olivier Renault)
"L'ensemble est d'un baroque onirique, mâtiné de science-fiction, mêlant les registres d'écriture. Un roman sonore : tout bruisse, tinte, chuchote, chante, crie. L'ouïe est la clé. "Car ma génération n'a pas vécu la dictature, elle l'a seulement entendue. (...) Nous sommes entrés par ouï-dire dans cette histoire", précise l'auteur dans sa préface. Troublant écho sonore de l'horreur. On en sort en méditant."

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29 mars 2012 4 29 /03 /mars /2012 17:02

    « L’arrangement » (1967) d’Elia Kazan est un sacré livre ! De ce livre-là Nicolas Bouvier disait « qu’il avait mis une semaine pour s’en remettre », était-il donc possible de vivre autre chose, de changer, de vivre une autre vie ? Notre vie entière ne serait-elle qu’une simple imposture ?

40 ans après, ce livre n’a rien perdu de sa force.




« Il a fallu que sa voiture se déporte et se jette contre un camion pour qu'Eddy Anderson, meurtri mais indemne, prenne le temps de s'interroger sur sa façon de vivre. Cet accident n'a-t-il pas été, au fond, une tentative de suicide ? Mais quelles raisons aurait-il de se tuer ? Aucune apparemment, puisqu'il est nanti d'une belle situation (dans une agence de publicité), marié à une femme charmante (Florence) et possesseur d'une maison avec piscine et pelouse (dans le quartier chic de Los Angeles). A ce bilan officiel de prospérité s'ajoutent les conquêtes sur lesquelles Florence a le bon goût de fermer les yeux.

En somme, un arrangement agréable dont soudain Eddy ne parvient plus à se contenter. Est-ce parce qu'il a dû rompre avec Gwen qui est si bien son type ou parce que ces masques l'étouffent ? Dans un sursaut d'énergie, il décide de repartir à zéro sans épouse ni fortune ni emploi, mais aussi sans masque et sans contrainte. Cela n'a rien de facile et c'est ce qui fait de cette histoire nourrie de réalité une œuvre forte et fascinante qui a connu un immense succès aux Etats-Unis.

En 1969 Elia Kazan réalise un film à partir de son livre Avec Kirk Douglas , Faye Dunaway , Deborah Kerr , Richard Boone. »


Tout va bien donc dans la vie d’Eddie Anderson, publicitaire de renom, jusqu’au jour où « une main invisible » tourne le volant de son cabriolet de sport qui vient s’encastrer sous un camion. Suite à cet accident Eddie change et profondément. Changer de vie ? est-ce possible ? Quitter femme officielle et fortune ? repartir de zéro ? Au début la vie est simple : idéale, non ? un métier stable et beaucoup d’argent, une épouse « parfaite », une maîtresse idéale, une belle pelouse, une grande piscine, trois voitures etc.

Mais est-ce là l’imposture ? « changer de vie » pour s’aimer à nouveau soi-même ? A 44 ans c’est le moment ou jamais. Gwen, sa maîtresse « rajeunissante » ne lui dit-elle pas : « Vous auriez pu être ce que vous auriez pu être ? » et aussi : (en vert : extraits du livre)
« Si tu veux la vérité, Eddie, je crois que tu ne peux pas t’arracher à ton existence ; tu es trop enfoncé. »

    « Laissez-moi vous présenter les choses une dernière fois, dans les termes les plus simples. Personne ne peut vivre absolument comme il le désire. Nous payons tous quelque chose, en temps perdu et en dégout de soi-même, pour payer le loyer et l’épicerie. C’est un compromis que nous faisons avec la société, qui en elle-même n’est qu’un compromis, vous comprenez ? en somme, voilà ce qui se passe : je renonce à une portion de mon âme, vous me donnez du pain. Nous tous, à un degré ou à un autre, feignons d’aimer ce que nous détestons. En général, nous le faisons pendant si longtemps que nous oublions que nous le détestons. Mais en dépit de tout, c’est une civilisation comme les autres . Non ? Dites-moi. »

    En pleine crise existentielle, Eddie rejoint subitement cette frontière entre réalité et imaginaire, entre raison et folie. Kazan nous dit :
« je suppose que c’est un des plaisirs de la vie. Cette frontière mouvante.

Une frontière entre quoi et quoi ?
Entre le rêve et la réalité, la raison et la folie. Le territoire qui les sépare est très étroit et mouvant. »


    Eddie oscille entre deux personnes, la conventionnelle pleine d’esbroufe et de faux et la vraie. La vraie mettra à la fin du livre le feu à la maison de son enfance, là où sa mère a souffert, là où son père échoua.
« j’étais de nouveau amoureux de la vie » dira-t-il ensuite.

    Il repartira de zéro avec cette Gwen qui lui donnait tant de force ; mais en fin de compte aura-t-il réussi ? Tous ces sacrifices auront été vains ? cette recherche de son moi profond, cette volonté de s’aimer davantage et mieux, d’être plus respectable ? Force est de voir que les dernières lignes du roman donnent plutôt une impression à nouveau d’échec : (il possède avec Gwen et l’oncle de celle-ci un petit magasin) :


« En fait, sans l’avoir voulu, j’étais devenu un bon citoyen, conscient et organisé. …/…
Dans l’ensemble, nous n’avons pas une vie aventureuse et ça m’inquiète un peu ; par exemple, le fait que pour tout le monde je sois un homme de confiance. Je ne sais pas trop si c’est une bonne chose. Je continue à me considérer comme un rebelle. Mais Gwen elle-même pense que je suis…eh bien un bourgeois. …/…
Ai-je réalisé mes ambitions ? Quelles ambitions ? J’ai du mal à me les rappeler. J’espère que c’est parce que je suis satisfait de la vie. Je continue d’écrire tous les matins. Mais je me demande par exemple où est passé mon désir de quitter le pays ? …/…
Cependant il m’arrive de m’inquiéter. Est-ce donc pour aboutir à ça que j’ai vécu tout ce drame, tout ce renoncement…pour cette vie et ces travaux quotidiens et faciles, pour cette petite aisance au jour le jour ? »

    Ce livre est bien sûr fortement autobiographique, quand il parle de son père et de sa difficulté à « s’intégrer » en tant qu’immigrant grec. Il y parle bien sûr de ses frustrations familiales, de ses fantasmes sexuels. Mais on ressent surtout une profonde sincérité dans cette histoire. On sent aussi bien sûr le désarroi et le remords de Kazan. Sa culpabilité, son conflit intérieur :

    " En 1952, Elia Kazan témoigne devant la Commission des activités anti-américaines, livre les noms de collègues communistes et fait un serment d'allégeance patriotique. Les traces de cette trahison marqueront désormais son oeuvre, tout en lui donnant une ambiguïté, une complexité qu'elle ne possédait pas jusque-là, celle d'un homme à la recherche de lui-même et de ses racines, explorant ses doutes et ses conflits intérieurs._
" L'Arrangement est une réflexion fiévreuse sur les compromissions de la vie, l'ambiguïté de la réussite, où l'autobiographie se masque à peine. " Jean-Loup Passek



    Le film est réellement excellent avec un Kirk Douglas (initialement Marlon Brendo devait jouer le rôle) très inspiré et une Faye Dunaway touchante ; le film est moderne et présente un patchwork étonnant de trouvailles (zooms excessifs, cartoon, flashs backs perpétuels etc…) On n’est qu’en 1969. On a dit que c’était le film le plus « personnel » de Kazan. Un film-somme.
   
    Mais le livre lui est bien plus supérieur, le style d’écriture de Kazan est très simple mais efficace ; certains effets de style sont puissants (les répétitions) tout en restant sobres. Bref un réel chef-d'oeuvre et un livre très troublant qui pose des questions essentielles sur ce que devrait ou pourrait être "notre" vie.

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19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 11:31
«L'absurdité est surtout le divorce de l'homme et du monde.»




    « L’étranger » date de 1942.  Il fait partie de la trilogie dite de « l’absurde ».
Camus n’a alors que 28 ans. « L’étranger » est pour lui « le point zéro ». (in Carnets II p.31)

    La lecture de ce court roman laisse une impression ambigüe ; on est surpris par l’indifférence du héros (voir plus bas), du coup le ressentiment général à la fin de la lecture est étonnant : qu’ais-je lu, quel est donc cet étrange héros où réellement peu de gens pourrait se reconnaitre. Est-il insensible ? Meursault voit (et vit) un autre monde inconnu pour nous, mais un monde où le mensonge n’existe pas. Un monde sensuel cependant, où les jupes d’une femme, le soleil et la nature donnent raison de vivre.

    On connait tous les premières phrases du roman :

    « Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J'ai reçu un télégramme de l'asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C'était peut-être hier. »

(Tout ce qui est en bleu est de Camus, tout ce qui est en rouge a été glané sur le web)



    Les éditions Frémeaux & Associés ont eu la très bonne idée de récupérer la lecture faite par l’auteur en 1954 pour la radio de l’époque (ORTF). J’ai acheté ce petit coffret (Label : FREMEAUX & ASSOCIES ; voir « la Librairie sonore »)(Livret de Roger Grenier). Très agréable déjà d’entendre la voix de Camus. Même essentiel tant cet écrivain m’apparait aujourd’hui encore comme le chef de file d’une littérature d’exception que j’aimerais lire davantage.
    La lecture / diction de Camus est étonnante, au début on est un peu « déçu » par cette voix légèrement nasillarde un peu trop plate, impersonnelle (comme les acteurs de Robert Bresson) (on n'oublie pas cependant que jadis, jeune Camus fit du théâtre) et par la vitesse excessive (à mon humble avis) de la diction ; mais au fil du récit, la voix de l’auteur s’impose avec clarté et justesse et la fin est superbe et passionnée (le discours avec l’aumônier !).

    « S’en suit un procès où chacun de ses gestes, de ses actions avant le meurtre devient plus important aux yeux de la cour que le meurtre en lui-même. Meursault assiste, impuissant et passif, au jugement de son « insensibilité ». Ce que la cour définit comme de l’indifférence, Meursault l’explique simplement par cette phrase « (…) j’avais une nature telle que mes besoins physiques dérangeaient souvent mes sentiments ». La lecture par Camus transcende ces mots, et toute la chaleur, la langueur, la lenteur du texte transpire au long de ces trois disques. Cependant à la fin du roman, lorsqu’un aumônier tente de le convaincre de s’en remettre à Dieu pour sauver son âme, la voix de Camus devient tout à coup passionnée : l’enregistrement s’achève alors dans une tourmente à laquelle l’auditeur n’était pas préparé. Un disque indispensable à tout passionné de Camus. »

Arno GUILLOU (OEIL ÉLECTRIQUE)

    Il est vrai qu'une telle lecture s'accorde à l'insensibilité de Meursault et au style du récit, dans lequel Roland Barthes voyait une "parole transparente", un "style de l'absence."»

    « Le roman met en scène un personnage-narrateur, Meursault, vivant en "Algérie française", celui-ci reçoit un télégramme lui annonçant que sa mère vient de mourir. Il se rend à l’asile de vieillards et assiste aux funérailles sans prendre l'attitude de circonstance que l'on attend d'un fils endeuillé, ce qui le desservira cruellement plus tard. Le narrateur est un modeste employé de bureau, à Alger, qui décrit son existence journalière et médiocre, limitée au déroulement mécanique de gestes quotidiens et à la quête instinctive de sensations élémentaires. Il vit dans une sorte de torpeur, une étrange indifférence : au moment d'agir, il note d'ordinaire qu'on peut faire l'un ou l'autre et que « ça lui est égal ». Il représente l'homme avant la prise de conscience de l'absurde, mais déjà préparé à cet éveil lucide : sans illusion sur les valeurs consacrées, il se comporte comme si la vie n'avait pas de sens. L'effet produit sur le lecteur par une telle narration, objective et déprimante, est cet écœurement, qui selon Camus, est une bonne chose, car il nous conduit au sentiment de l'absurde. »

    Tout le texte est construit avec le passé composé ce qui donne à l’ensemble un côté « rapport de police » ou « aveu » certain. On est tous coupable, nous disait-on déjà dans « La chute ».
    Camus a un style de narration où il aime à se montrer comme témoin, chroniqueur. La peste, la chute et l’étranger sont ainsi.



    « Plus tard, il rencontre un voisin de palier qui l'invite à la plage. Ce dernier est souteneur et s'est montré brutal avec sa maîtresse mauresque ; il craint des représailles. Sur la plage, ils croisent deux hommes dont l'un est le frère de la jeune femme. Une bagarre éclate. Peu de temps après, Meursault, accablé par la chaleur et la lumière, marche seul sur la plage et rencontre à nouveau l'un des hommes près d'une source de fraîcheur. L’Arabe - qui restera anonyme - sort son couteau ; Meursault serre le revolver que Raymond lui a prêté. Abruti par la chaleur et la luminosité agressive de l'après-midi, ébloui par le reflet du soleil sur le couteau, Meursault tire une fois, tuant l’Arabe. Puis, quatre fois de plus, comme pour mettre fin à une existence heureuse. Ensuite il refuse de mentir à son procès et se montre tel qu’il est et sera condamné à mort. »


    J’aimerais bien voir le film qu’en a tiré Visconti avec Mastroianni dans le rôle principal, mais il est apparemment inexistant en DVD. Camus de son vivant avait refusé toutes les adaptations cinématographiques.

     « "Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort." Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société ou il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi des lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir. [...] ...On ne se tromperait donc pas beaucoup en lisant dans L'Étranger l'histoire d'un homme qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité. Meursault pour moi n'est donc pas une épave, mais un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d'ombres. Loin qu'il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace l'anime, la passion de l'absolu et de la vérité. Il m'est arrivé de dire aussi, et toujours paradoxalement, que j'avais essayé de figurer dans mon personnage le seul christ que nous méritions. On comprendra, après mes explications, que je l'ai dit sans aucune intention de blasphème et seulement avec l'affection un peu ironique qu'un artiste a le droit d'éprouver à l'égard des personnages de sa création. »   A. Camus


    Dans L’Etranger, Camus nous raconte l’histoire d’un homme qui erre dans la marge de la société dans laquelle il vit. Un homme « nu » et qui se tient seul face à un monde absurde. Un homme qui refuse de « jouer le jeu » de la société et « qui, sans aucune attitude héroïque, accepte de mourir pour la vérité », selon les propres termes de Camus.


    Meursault, un personnage apathique et indifférent ?

Meursault, le personnage narrateur, se présente comme un homme d’une apathie et d’une indifférence déconcertantes. Son caractère apathique est apparent dans sa propension à fournir le moins possible d’efforts dans la vie. Quand il ne voit pas Marie, il passe son dimanche à dormir ; il n’éprouve même pas le besoin de descendre de chez loi pour aller acheter du pain. Cette apathie est manifeste également dans son comportement au bureau, avec ses collègues et notamment vis-à-vis de son patron. Quand ce dernier lui propose une occasion d’évoluer (un poste à Paris), Meursault répond qu’un poste n’en vaut pas un autre et que « cela lui est égal ».

« Cela m’est égal », « cela ne veut rien dire ». Deux formules qui constituent le leitmotiv de l’indifférence de Meursault à l’égard des êtres et des valeurs. A l’égard de la société à laquelle il ne s’identifie pas. Meursault est indifférent vis-à-vis des autres personnages, ses semblables (quoiqu’il ne leur ressemble point). Il ne cherche aucunement à nouer des relations avec eux et, par conséquent, il ne nous dit pas long sur eux. Quand le vieux Salamano lui conte son histoire avec son chien, ou quand son autre voisin de palier, Raymond, lui propose d’être son ami, il écoute, il acquiesce, pourtant pour lui « cela ne veut rien dire ». Enfin, quand Marie lui propose le mariage, union et communion sacrées, il accepte juste parce qu’elle le lui demande. Sinon, avec Marie ou avec une autre femme, « cela lui est égal ».

Meursault est également indifférent vis-à-vis des valeurs. Je l'ai dit à propos du mariage. Mais il est aussi indifférent vis-à-vis de la mort (celle de sa mère en est l’exemple parlant), de l’amitié (ses relation avec ses voisins de palier, notamment avec Raymond) et finalement de la justice. En effet, Meursault est indifférent vis-à-vis de son procès qui ne lui ressemble pas, comme tout le reste. Son avocat s’est substitué à lui et dit « je » à chaque fois qu’il parle de son client. Ce dernier pense que cela signifie « l’écarter plus de son procès, le réduire à zéro ». Il se sent alors « loin de cette salle » et court après des fragments de souvenirs pour retrouver le soleil éclatant et « le rire et les robes de Marie ».


    Si Meursault est indifférent à tout et à tous, il est pourtant réceptif

    Je l'ai expliqué ci-haut, Meursault est un personnage apathique et indifférent. Cependant, c’est un homme réceptif. S’il est impassible vis-à-vis de tout ce qui puisse lui rappeler les Hommes, il ne reste pourtant pas insensible à la chaleur et à la lumière du soleil et au rire, notamment celui de Marie (« Elle a ri… elle a ri encore » / « Elle a ri de telle façon que je l’ai embrassée »). Meursault est très sensible aux éléments du cosmos : la mer, le sable, l’eau, le ciel bleu mais surtout à la chaleur et à la lumière du soleil. Ces mêmes éléments, ce même soleil qui symbolise la fatalité conspirera au meurtre et, subséquemment, à la mise à mort de Meursault. Ne répond-il pas au président de la cour lorsqu’il l’interroge sur le motif du crime que « c’était à cause du soleil » ?

Somme toute, Meursault est un homme qui a fait l’expérience de l’absurde qui l'a mené au rejet des valeurs de la société. Cette même société qui le condamnera à mort non pour le crime qu’il a commis, mais pour son refus du mensonge ; pour son refus de l’hypocrisie sociale. Dans une attitude quelque peu messianique, nous semble-t-il, Camus conclut une entrevue à propos de L’Etranger en adoptant ces termes : « J’ai figuré dans Meursault le seul christ que nous méritons ». Naturellement, il ne s’agit pas du Christ le prophète, mais du christ l’homme qui a subi la Passion pour sa cause. Meursault a subi sa propre « Passion » pour sa propre cause : la vérité.



    « Quand la sonnerie a encore retenti, que la porte du box s'est ouverte, c'est le silence de la salle qui est monté vers moi, le silence, et cette singulière sensation que j'ai eue lorsque j'ai constaté que le jeune journaliste avait détourné les yeux. Je n'ai pas regardé du côté de Marie. Je n'en ai pas eu le temps parce que le président m'a dit dans une forme bizarre que j'aurais la tête tranchée sur une place publique au nom du peuple français... »

<< Meursault est un homme pauvre et nu, amoureux du soleil qui ne laisse pas d'ombres. Loin qu'il soit privé de toute sensibilité, une passion profonde, parce que tenace, l'anime, la passion de l'absolu et de la vérité. Il existe comme, une pierre ou la mer ou le vent, sous le soleil, qui, eux, ne mentent jamais. >>

A. Camus (préface de l'édition américaine)


    “Il y a des conduites qui valent mieux que d’autres. Je cherche le raisonnement qui permettra de les justifier… » (interview de Camus par Gaétan Picon, in « le littéraire » 10-08-1946)


    « Le monde où vit M. Camus est une vaste prison, sur laquelle pèsent d’éternelles menaces. La nature elle-même a mauvaise conscience. Baudelaire écrivait : « homme libre toujours tu chériras la mer. » M. Camus écrit : « seule la me, au bout du damier terne des maisons, témoignait de ce qu’il y a d’inquiétant et de jamais reposé dans le monde. » dans les descriptions qu’il a faites des choses et des êtres, M. Camus, en homme qui ne veut que l’étrange ou l’absurde et par voie de conséquence refuse le  comique, se place au-delà de l’ironie. D’un obstiné qui consacre ses journées entières à faire passer inutilement des pois d’une marmite dans une autre, il dit : « A en croire sa femme, il avait donné très jeune des signes de sa vocation. » Le mot « vocation » a été placé là sans sourire et n’invite pas au sourire. sur le plan où se place M. Camus, la vocation de transvaser sans raison des petits pois en vaut une autre. Il propose de voir un héros dans le fonctionnaire qui passe ses nuits à  corriger l’unique phrase de son « roman », oui, un héros car cette forme d’héroïsme-là, elle aussi, en vaut une autre… Pour lui, une lumière grise égale se pose impartialement sur toutes choses. Nous sommes dans un monde sans joie, un monde de pierre, fatal et absurde. »               Marcel Thiébaut.

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