« Ah ! autrui ! le besoin d’autrui ! un homme ne peut se dépecer lui-même jusqu’au bout. Pour le dernier sang il est bon qu’il ait quelqu’ami pour l’aider. »
Henri Michaux in "qui je fus"
Certaines choses
Nous entourent « et les voir
Equivaut à se connaître »
George Oppen
"Mais rien de cette nature n'est définitivement acquis. Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous
prête ses couleurs. Puis se retire, et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette espèce d'insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et
qui, paradoxalement est peut-être notre moteur le plus sûr." Nicolas Bouvier
« La poésie vient vers nous, on ne sait d’où, et elle nous quitte, allant vers on ne sait quel au-delà. Mais en passant, elle nous laisse des mots et elle nous fait des signes dont l’interprétation est inépuisable. » Gabriel Bounoure
" Avec tes défauts. Pas de hâte. Ne va
pas à la légère les corriger. Qu'irais tu mettre à la place ? " Henri Michaux
"Savoir que nous ignorons tant de choses suffit à mon bonheur." George Oppen
« Ah ! autrui ! le besoin d’autrui ! un homme ne peut se dépecer lui-même jusqu’au bout. Pour le dernier sang il est bon qu’il ait quelqu’ami pour l’aider. »
Henri Michaux in "qui je fus"
Qu’il est bon ainsi de longer ce fleuve aux dents immenses
froisser les ronces et les herbes, les fleurs, colonies d’insectes vrombissent
Quelques pêcheurs moitié hommes moitié eau
en rondeur leur corps penche vers le point central du fleuve
Une petite sente va gaiement d’un point à l’autre de la source à d’autres mers brille même la nuit d’idées déposées
L’homme brouillon alors qui résonne par ses pas
Prend pour ami ces lieux secrets, il les chante de ses yeux
Il bourdonne
Il aimerait lui-même butiner et voler au creux des vagues et dans l’intime des pétales déclarer sa flamme à ce papillon là
Le chemin est doux et parfumé d’effluves magiques
Eau croupie qui pose, eaux filantes à reflets mercure
Toute chose est vivante protégée nourrie par le fleuve
Le fleuve donne à manger les îlots encerclés, comme un parent
riche de mille précautions
De grands oiseaux hésitent d’un point à l’autre par grappes incertaines
Changeant de cap à tout va et sans prévenir
Par grandes bouffées d’oxygène et de pâleur lunaire, l’homme aussi
Revient parfois sur ses pas, parfois par inquiétude
Parfois par contentement
S’immobilise souvent dans la tiédeur du vent qui amènera la pluie
Tièdes bourrasques enrichissantes et nourrissantes
Un lait du ciel ni amer qui remplit le fleuve encore et de nouveau
Je n’ai rien d’autre à dire, dit l’homme
Affalé de son corps vers les eaux grises
Si ce n’est voir le fond de ces bancs de sable
Y chercher l’emplacement d’un tombeau
Gisant sous-marin sous ces mètres qui filent
J’y serai en grand repos, en toute fin
Espérer peut être là dans le mouvement final
Ces fameux espoirs que certains nous dictent alors que l’on sait (et tous) que la mort au mufle chaud est là derrière, dans ton dos, on y sent cette haleine chaude, humide, animale, précise
Le fleuve est le lieu unique où dissocier ses atomes
Vers un arc-en-ciel naturel
Vers cette nature unique puissamment vivante
D’eaux et d’air, de terre mouillée, prête à enfanter
Où sans cesse la vie renait chaque seconde tant de coups à donner
Un grand silence, le lieu fourmille de vie en tout sens
prends ma main, je mouille ta nuque et un baiser
Dans la fouaille de l’été, nous nous sommes encore rencontrés
Touchant par nos peaux nos moments d’éternité
La couleur couchante du ciel donne des traits uniques
Au grand paysage unique semblant dire
et unir les mondes
Ce qui fit le dégel, le déluge c’est mon sang s’abattant abrupt pour une cascade soudaine lorsque j’appris ta mort ; ce fut comme si on me coupait les bras ; comme si on m’asphyxiait un sac en plastique enfoncé profondément ; je ressentis à plein corps une chute, un ravin ou un précipice inconnu ; c’est ton visage qui vint d’un coup, où perlaient au milieu deux yeux coquins, puis ton sourire, enfin tes lèvres bleues, tes lèvres peintes.
Et donc ta voix et ton timbre de rossignol, dans cet univers grisâtre tu bleuissais comme une étoile vive, ton visage unique était mon meilleur amer à moi…
Je me réveillais ce matin gris, mauvais rêve. J’appris que tu n’étais pas morte puisque personne ne vint me l’annoncer. Du coup je me risquais à aller chez toi. Une bonne heure à pied, mais mes godillots sont solides. En ce mois de janvier, le romarin et les genêts étaient déjà en fleurs. J’arrivais, ton chien m’entendit, mais n’aboya pas, je me cachais derrière cette belle haie d’un vert d’hiver taché cependant de quelques baies rouges. Je fis ma respiration plus lente. Tu sortis, tu montas sur une chaise pour distribuer dans les mangeoires des graines aux oiseaux, tu étiras ainsi ton corps, fusiforme soudainement et bien féminin. La neige devait tomber le lendemain, tu étais prévoyante. Je me fis voyeur de ce tout petit instant de nos toutes petites vies de rien du tout. Mais j’étais là à te regarder et tu l’ignorais, je marquais un point. Puis tu rentras et la cheminée se mit à cracher une fumée qui sentait bon les résineux pas assez secs. Je refis le chemin inverse sachant que je devais aller te voir tout à l’heure. Les mauvais rêves sont étranges et on les dit parfois prémonitoires, mais tout en toi respirait la vie, la vie même que j’ai si souvent écarté, refusé, éloigné de moi comme s’il s’agissait d’une tare. Une tare ancienne. Mais tu le savais, cette histoire sordide ou triste, c’était une histoire d’enfance, encore une. De ces histoires d’enfance qu’on traîne toute sa vie et dont on veut parfois faire un roman. De ces histoires qu’on avait bien oubliées et qui brusquement, on ne sait pourquoi, ressurgissent à la cinquantaine, avec ce cortège de non-dit et de souffrance d'enfant. Avec des pics, des griffes, des clous encore parce que faire mal c’est l’idée de ces histoires d’enfance.
Peu importe, je suis une grande personne maintenant. N’est ce pas ?
Au retour, je fis ce détour pour voir la grande ville là en bas, on entendait quelque bruit. Puis je rentrais. J’essayais de me faire beau pour tout à l’heure, je rentrais mon ventre, lissais mes joues, coupais mes sourcils qui partent dans tous les sens, puis me parfumais. Je mis même ma vieille chemise de grand père. Là encore un souvenir de notre adolescence. Puis je me dis que la vie était sereine ainsi, que ton corps était rouge de désirs de femme, que ton chien était fidèle. Il pouvait neiger je m’en foutais. Je marcherais.
Je me souvenais de notre dernière soirée ensemble, nous étions allés écouter chanter l’ami Jacques Bertin. La petite salle était remplie d’une petite centaine de personnes. Un comédien connu, François Morel, était là tout près de toi, j’appris peu après que lui aussi écrivait des petites chansons. Quand Jacques chante, il se fait un silence unique, chacun retient sa toux avec force pour que les mots du chanteur ou du poète ne soient pas amputés. De sa masse assise sur la chaise se dégage une force incroyable, incalculable, presque impensable. Il me chante moi, et mon enfance ; il chante ma mémoire, ma vie près de la Loire, mes amours disparus. Il chante tout à fait mon monde « à moi ». C’est ainsi, mais il ne le sait pas, qu’il est devenu mon grand frère.
Effectivement, il neige déjà.
Je bois mon café doucement, tout à l’heure j’irai voir ton nombril rigolo briller sous mes doigts facétieux. J'essaierai de te caresser au mieux, car je te veux du bien.
Il neige beaucoup, et alors, le bruit que fait mon pas dans la neige est un bruit de ravissement. Et ton corps à venir une extase. Que j'imagine, que je fétichise, que j'idéalise. Le plaisir des femmes est pour nous choses inconnues.
Ariettes oubliées
Il pleure dans mon cœur
Comme il pleut sur la ville.
Quelle est cette langueur
Qui pénètre mon cœur ?
Ô bruit doux de la pluie
Par terre est sur les toits !
Pour un cœur qui s'ennuie,
Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison
Dans ce cœur qui s'écœure .
Quoi ! nulle trahison ?
Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi,
Sans amour et sans haine,
Mon cœur a tant de peine
(je n'ai pas dit la troisième strophe que j'aime beaucoup moins... Que le grand Verlaine me pardonne !)
Mon avion en flammes mon château inondé de vin du Rhin
mon ghetto d’iris noir mon oreille de cristal
mon rocher dévalant la falaise pour écraser le garde champêtre
mon escargot d’opale mon moustique d’air
mon édredon de paradisiers ma chevelure d’écume noire
mon tombeau éclaté ma pluie de sauterelles rouges
mon île volante mon raisin de turquoise
ma collision d’autos folles et prudentes ma plate-bande sauvage
mon pistil de pissenlit projeté dans mon œil
mon oignon de tulipe dans le cerveau
ma gazelle égarée dans un cinéma des boulevards
ma cassette de soleil mon fruit de volcan
mon rire d’étang caché où vont se noyer les prophètes distraits
mon inondation de cassis mon papillon de morille
ma cascade bleue comme une lame de fond qui fait le printemps
mon revolver de corail dont la bouche m’attire comme l’œil d’un puits
scintillant
glacé comme le miroir où tu contemples la fuite des oiseaux mouches de ton regard
perdu dans une exposition de blanc encadrée de momies
je t’aime
Benjamin Peret
(in "Je sublime", 1936)
En découvrant avec extase ce livre si atypique écrit en 2006 : successions de très courts paragraphes , avec des retours à la ligne évoquant les rythmes libres utilisés par les poètes, je me dis que l'écriture est parfois réellement "merveilleuse" ; d'ailleurs l'auteur au début de son ouvrage note :
"Depuis que la plupart des poètes ont pris congé de la langue versifiée et recourent, à la place des vers, à des rythmes libres et à une phrase flottante articulée en strophes, le malentedu s'est fait jour ici et là, qui veut que tout texte constitué de phrases flottantes, donc de lignes d'inégale longueur, relève de la poésie. C'est faux. La phrase flottante - ou mieux : la phrase volante - est libre et n'appartient pas seulement aux poètes."
C. Ransmayr
(*) ce procédé étrange et somme toute très rare dans la production de romans et de nouvelles a été repris aussi dans le très puissant "Un voyage en Inde" de Gonçalo M. Tavares, un des tout meilleurs livres de cette rentrée 2012.
Et merveilleuse aussi la lecture. Qu'il soit encore possible de rêver les montagnes, de rêver les pays (ici : Irlande et Tibet), de chanter avec de tels exploits, la vie et la mort, avec un art suprême : celui des mots, tient du prodige.
Quant à moi, je ne suis pas sûr comme le dit l'auteur qu'il ne fasse pas partie lui même d'une race particulière de poètes, de celles par exemple qui n'écriraient pas de poésie, mais de longs textes chantants, une lente et longue mélopée. Car il s'agit ici bien d'un long poème en prose racontant les amours et difficultés de deux frères Pad et Liam, l'un proche de la mer, l'autre des rêves d'Internet, avec des souvenirs importants de l'Irlande et d'un père défenseur de son pays, mais autoritaire. Tous deux décident un jour d'escalader une montagne magique mal répertoriée sur les cartes et dont les tibétains locaux disent qu'elle est éphémère ; localement les deux frères somme toute très différents réussiront leur quête : à vous de découvrir laquelle ou lesquelles...
Très vraisemblablement chef d'oeuvre de la littéraure mondiale, ce livre exceptionnel doit nous donner envie de découvrir les autres livres de cet auteur.
Ici : j'ai volé sur Internet la bien belle description de Hubert Trouiller parue dans "le choix des libraires" ; Hubert Trouiller est libraire à la librairie "Le marque-page" à St Marcellin :
Publié par Albin Michel en janvier 2008, ce récit nous emmène dans les hautes altitudes où la poésie et le rêve peuvent se déployer sans limites.
Deux frères irlandais Pad et Liam, aussi proches et différents que peuvent l'être les membres d'une même famille, rejoignent le Tibet oriental pour gravir PHUR-RI, la montagne volante, montagne éphémère qui n'apparaît qu'à de brefs intervalles entre la fin de l'hiver et le début de la mousson. D'après une légende tibétaine, transmise par les pasteurs du Kham qui sillonnent les hauts plateaux à la suite de leur troupeaux de yacks, les montagnes déposées par les dieux ne resteront pas toujours dans le monde des humains mais s'envoleront de nouveau dans les airs et disparaîtront comme elles sont venues.
Ces montagnes qui ont volé au secours des hommes quand ceux-ci ont commencé à se redresser de la position animale pour lever la tête et le regard vers le haut, les deux frères réaliseront leur rêve ; l'un y laissera la vie après avoir sauvé celle de l'autre.
Une longue et lente mélopée contemplative, rendue par une prose rythmée musicale et nostalgique, un long poème non versifié, une phrase " flottante " englobant tout (pensées, dialogues, descriptions) et cela coule et s'amplifie comme le Yang Tse, minuscule ruisseau à sa source tibétaine et fleuve gigantesque à son embouchure chinoise.
Avec en toile de fond cette vision orientale d'une nature habitée, secrète et mystérieuse, où tous, humains, animaux, végétaux et minéraux sont solidaires.
Et cette idée que tout revient toujours à sa source pour commencer à nouveau.
Avec la montagne volante, Christoph Ransmayr rejoint les grands visionnaires de la montagne.
Alexandre David Néel et le voyage d'une parisienne à Lhassa - René Daumal et le mont analogue - Thomas Mann et la montagne magique - Yasushi Inoué et la paroi de glace - Jiro Tanigushi et le sommet des dieux - Ramuz et la grande peur dans la montagne, sans oublier son compagnon et ami Reinhold Messner... une belle photo de famille.
Hubert Trouiller
La note de Sophie Deltin du Matricule des anges
http://www.lmda.net/din/tit_lmda.php?Id=57761
La note de Fabienne Pascaud dans TELERAMA :
http://www.telerama.fr/livres/24018-christoph_ransmayr_la_montagne_volante.php
« La poésie en détruisant édifie, en se refusant se donne. Elle ne peut s'ouvrir à la fin qu'à l'altérité. De l'intime à l'extrême, du coin de la table où j'écris, à l'invisible des lointains. »
Jacques Dupin
Ton bruit – souffle gris –
Ton sexe de paille vieilli
Neige empourprée
En ce sein vous romprez
Ventre refleuri
Je suis ta cavalerie
Enfin fillette
Tes billes je cueillette
Et en toi je grandis
My sweet milady
De jeunes filles joyeuses ont passé
Trains des ennuis trop enlacés
Pensées de corsage délacé
Ont fui mes vies effacées
La vie ? – plainte grise –
Souvenirs en fouillis
Désertification en route
Mois d’août en black-out
Je regarde les décors
Et ton corps comme accord
Enfin fillette
Ma fille parfaite
Et en toi je grandis
My sweet milady
De jeunes filles joyeuses ont passé
Trains des ennuis trop enlacés
Pensées de corsage délacé
Ont fui mes vies effacées
L’avenir – cintres gris –
Comme une treille vieille
Un panier peu rempli
Où bien tard j’y sommeille
C’est une parole bègue
Que bien triste je lègue
Enfin fillette
Belle femme coquette
Et en toi je grandis
My sweet milady
De jeunes filles joyeuses ont passé
Trains des ennuis trop enlacés
Pensées de corsage délacé
Ont fui de mes vies effacées
(la jeune fille aux bas noirs / Bonnard, 1893)
DICTION : Cendrars
Tout le monde est sur le pont
Nous sommes au milieu des montagnes
Un phare s'éteint
On cherche le Pain de Sucre partout et dix personnes le découvrent à la fois dans cent directions différentes tant ces montagnes se ressemblent dans leur piriformité
M. Lopart me montre une montagne qui se profile sur le ciel comme un cadavre étendu et dont la silhouette ressemble beaucoup à celle de Napoléon sur son lit de mort
Je trouve qu'elle ressemble plutôt à Wagner un Richard Wagner bouffi d'orgueil ou envahi par la graisse
Rio est maintenant tout près et l'on distingue les maisons sur la plage
Les officiers comparent ce panorama à celui de la Corne d'Or
D'autres racontent la révolte des forts
D'autres regrettent unanimement la construction d'un grand hôtel moderne haut et carré qui défigure la baie (il est très beau)
D'autres encore protestent véhémentement contre l'abrasage d'une montagne
Penché sur le bastingage tribord je contemple
La végétation tropicale d'un îlot abandonné
Le grand soleil qui creuse la grande végétation
Une petite barque montée par trois pêcheurs
Ces hommes aux mouvements lents et méthodiques
Qui travaillent
Qui pèchent
Qui attrapent du poisson
Qui ne nous regardent même pas
Tout à leur métier
Chute contentement aux feuilles chutant
Peu à peu petit à petit
Cliquetis doux métallisé et fin
Au tapis au sol des orange et ocre
Et marron miellat de l’automne en faim
Les arbres enfin pincent leurs pétioles
Et respirent nus aux heures courtes
Tel jour plus court
Vertical au souffle contemple flocons feuilles foulées
Fuites désespérées en nappage crême
Fleurissent en tapis jaunes chatons chatouillent tes doigts oh mon enfant d’avant
Diaprée lumière diffuse d’ici couleurs partagées
L’entracte des saisons
Blessure des terres enchevêtrées serties brasse brandie
Reste des arbres la cécité d’hiver
Les portes fermées aux feuilles qui frappent
un petit poème d'un de mes fidèles lecteurs...
ETRE LIBRE
Etre libre, faire un pas
En faire un autre
Le faire droit
Ou de travers
Ou pas
Ou les deux à la fois
L’ordre, la trajectoire, le choix
Etre libre c’est quoi ?
Etre libre, faire un pas
Ou deux, ou trois
Ou rien du tout
Prendre ses jambes à son cou
Liberté, liberté chérie
Viens par ici foutre la zizanie
Liberté des avantages acquis
Que de crimes commis
En ton nom tout petit
De l’espoir à boire
Et des colères en fer
L’enfer pour les uns
Et pour les autres, rien
Etre libre !
Tu vibres toi, l’homme en bois ?
Avec tes bras en croix
Fauché, fini
Pitoyable bandit
Libre d’avoir tout donné
Tes cheveux et tes os
Les ongles de tes pieds
Et ton humanité
Etre libre de quoi ?
Libre de soi je crois
Parler, rugir, s’exprimer
Pleurer peut-être, ou rire
Sortir de soi.
Trouver en soi un homme des bois
Le suivre et grogner
Japper, aboyer, gueuler surtout !
La jouer rock, très rock,
Avec des croutes et des cloques
Du sang et du feu
Et des hurlements
Combien de hurlements ?
Combien de cris contre le vent ?
Combien t’en veux ?
Des mots à hurler ou à dire
Les plus grossiers, les pires
Les cachés, les indignes, les malencontreux
Des mots à maux et à mentir
Des mots à vomir par phrases entières
A reconduire à la frontière
Du sourire
Et les bruits qui ne sont pas dits
Qui sont faits
Et même joués
Joués d’accords
Mais cognés d’abord
Et envoyés
Tout droits
Sinon quoi en faire
Quoi faire sinon chercher de l’air
Chercher un air et chanter fort
Ou mieux encore parler
Et dire je t’aime
Est-ce vraiment approprié ?
Etre libre c’est quoi ?
C’est petit ou c’est grand ?
C’est jeune ou c’est vieux ?
C’est une idée ancienne, une idée âgée,
Avec des fesses ridées
Et de beaux cheveux blancs
Qui pense encore à la baiser ?
Etre libre, faire un pas
C’est peut-être ce qu’on veut
Ce qu’on veut que ce soit
Ce qu’on veut sortir de soi
Un homme, une femme parfois
Un être aux abois
En devenir de rien
Juste une idée, une cible
L’ombre d’une ombre en équilibre
Etre libre c’est quoi ?
La fumée, le vent, les nuées ?
Etre libre c’est quoi ?
Partir, foutre le camp ?
Quitter qui, quitter quoi,
Se quitter soi, mourir ?
Pour un murmure, un soupir
Un simple frémissement
Une ondulation
Une action qui commence
Le début de quelque chose
Juste le début
Trois fois rien
Un cœur battant
Faiblement
Mais qui va de l’avant
Apeuré, contracté, constipé,
En plein encombrement
Un souffle dérobé arraché au néant
Un premier cri
Une tétée
La vie
La liberté
Ce qu’on ne sait pas de nous
Ce coin de ciel au delà de la rage
Ce gout de rêve à respirer
La liberté je la vois, je la sens
Mais être libre, vraiment,
Je ne sais pas
Et après tout
Pourquoi pas ?
Dangolsheim, mars 2010
Insectes
M'éloignant davantage vers l'Ouest, je vis des insectes à neuf segments avec des yeux énormes semblables à des râpes et un corsage en treillis comme les lampes des mineurs, d'autres avec des antennes murmurantes ; ceux-ci avec une vingtaine de paires de pattes, plus semblables à des agrafes ; ceux-là faits de laque noire et de nacre, qui croustillaient sous les pieds comme des coquillages ; d'autres hauts sur pattes comme des faucheux avec de petits yeux d'épingle, rouges comme ceux des souris albinos, véritables braises montées sur tiges, ayant une expression d'indicible affolement ; d'autres avec une tête d'ivoire, surprenantes calvities dont on se sentait tout à coup si frères, si près, dont les pattes partaient en avant comme des bielles qui zigzaguaient en l'air.
Enfin, il y en avait de transparents, carafes qui par endroits seraient poilues ; ils avançaient par milliers, faisant une cristallerie, un étalage de lumière et de soleil tel, qu'après cela tout paraissait cendre et produit de nuit noire.
Henri Michaux (Mes propriétés, 1929)
Il paraît que ressasser son passé, c'est augmenter les risques de dépression ; Jean Sommer quand il chantait disait même que c'était comme "enterrer deux fois les morts" ;
alors je trouvais ces mots de Goethe :
"Alors l'esprit ne regarde ni en avant ni en arrière. Le présent seul est notre bonheur." Goethe Faust II
Ce à quoi, mon neveu, aimant beaucoup se remémorer son passé me répond :
Jacques Dupin vient de nous quitter il y a quelques jours, à l'âge de 85 ans. Ami de Char, et grand connaisseur de Miro et de divers autres artistes de l'époque (Giacometti, Tàpies...), il n'écrivit que de la poésie et divers essais sur l'art contemporain. Son oeuvre assez atypique est à mettre au même niveau que Char ou que Bonnefoy.Il travailla aussi à la fondation Maeght (dont je rêvais lorsque j'étais jeune d'y travailler) et y organisa en 1977 une rétrospective de l'oeuvre peinte de mon poète préféré Henri Michaux.
Une forêt nous précède
et nous tient lieu de corps
et modifie les figures et dresse
la grille
d'un supplice spacieux
où l'on se regarde mourir
avec des forces inépuisables
mourir revenir
à la pensée de son reflux compact
comme s'écrit l'effraction, le soleil
toujours au coeur et à l'orée
de grands arbres transparents
Jacques Dupin ( in "l'embrasure", 1969)
La lune pleine court dans le noir
Une étoile voisine la suit
Les nuages gris étirés et lents
prendront eux aussi de la vitesse
perdre ou non cet allant des choses
ce que le monde vivant conçoit
je suis à l’heure fleur des roses
je vis l’instant présent
éloignement des murs
des estafilades du cœur
ont les parfums des songes passés
nez de mers de feuilles foulées
asphalte gris humus maigre
suivre cette lune qui fuit
me reveiller encore dans un futur autre
s’éveiller dans l’autre
une autre peau d’éveil
suivre la lune qui fuit silencieuse
et les nuages statiques qui guident son chemin
penser à la vie fuyante et nous
au milieu des chemins
mal apprenants de nous mêmes et des autres
dans les sucs amusés des désespoirs plus profonds
on passe encore
le temps fuit
mange et boire
le caramel des oublis
l’allumé soleil loupe ses valses
au creux de tes sourires certains
il a tes reins qui montent en vain
vers les morts en extase d’astre